Acte
authentique électronique, data room, coffre-fort électronique, utilisation de
l’IA et de la blockchain… Les notaires ont pris la révolution numérique à
bras-le-corps ces dernières années. Le colloque organisé par Notaires Conseil
d’entreprise (NCE) à l’École du Notariat, le 18 octobre, a proposé un
petit tour d’horizon des révolutions opérées autour de la profession. Mais à
côté des nouvelles technologies, « et si la vraie modernité était de retrouver leur rôle
d’humain ? »
« Le
notariat était attaqué, mais nous avons su démontrer son utilité, et la spécificité
de l’acte authentique », s’est félicité Benoît Renaud en ouverture du
colloque « Notaires, la nouvelle ère »,
organisé par NCE à l’École du Notariat, le 18 octobre dernier. Allusion à
peine voilée au rapport Darrois, qui, en 2009, avait préconisé de réfléchir à
la création d’une « grande
profession du droit » qui aurait mis fin à la spécificité notariale.
Le directeur général de l’Union notariale
financière (Unofi), ancien président du Conseil supérieur du notariat (CSN),
n’a par ailleurs pas manqué de faire l’éloge d’une profession ouverte aux
mutations numériques. À commencer par l’Acte authentique électronique (AAE),
qui fête ses dix ans cette année, mais dont le projet avait été initié en
2000. Désormais adopté par plus de la moitié des offices notariaux, à l’époque,
cela avait été un « vrai choc
culturel dans la culture du notaire », s’est souvenu Benoît Renaud.
« Il a fallu passer de la culture de
Saint Thomas à une forme de foi publique ! Mais on a essayé de donner à
l’AAE un aspect viral, et cela a marché : il a vite pris.
On a créé un besoin, quelque chose qui fonctionne et qui doit continuer à
s’étendre », a-t-il affirmé.
Dix ans
d’outils numériques
Le directeur de l’Unofi a insisté : « Il est aujourd’hui nécessaire que
l’AAE devienne la règle, et le papier l’exception. »
D’autant que, selon Christophe Vielpeau,
notaire, les avantages pour le client sont nombreux : « Le client, qui ne voyait pas l’acte, le voit
désormais sur un écran, tout comme les modifications, lorsque les clauses sont
discutées ». Par ailleurs, l’horodatage qui accompagne l’AAE,
« très précis, à la seconde près », s’avère un élément important pour
attester de l’heure de la signature en cas de procédure ou contentieux.
Et si le changement de support a pu faire craindre une qualité juridique à la
baisse, Christophe Vielpeau a balayé cela d’un revers de main : « L’aspect électronique n’enlève rien à la
force exécutoire ! » Quant aux notaires, ces derniers y gagnent
aussi : en espace, et en temps. « Et
notre caractère de tiers de confiance et impartial ressort encore mieux »,
a jugé le notaire.
Autre outil en pleine expansion chez les
notaires, permettant là encore de gagner du temps, la visioconférence, dont
Christophe Vielpeau a vanté le « confort »,
ce qui constitue également une réponse à l’expression des « besoins
exponentiels » du client. « Le
client est aujourd’hui maître du dossier. Il veut pouvoir, depuis son canapé,
avoir accès aux éléments de son dossier et interagir avec son notaire ! »
Notaire elle aussi, Clémentine Delafontaine a
pour sa part confié son expérience sur la data room, ce lieu où l’on regroupe,
à l’occasion d’une opération juridique, tous les documents nécessaires aux
parties, de façon sécurisée. Un outil qui permet selon elle d’accélérer, de fluidifier
et de sécuriser les échanges entre les partenaires, pour une meilleure
productivité de l’étude. « Il est
nécessaire dans notre métier que l’on ait accès à des informations constamment
actualisées, aux derniers éléments qui constituent nos dossiers »,
a-t-elle indiqué. Cette dernière a en outre évoqué la mise en place du « zéro papier » au sein de son étude,
pour faire « table rase »
et échanger de manière complètement dématérialisée. Un projet qu’elle a
présenté à la fois comme une démarche managériale (un « projet d’entreprise » qui doit être
partagé par les associés et les collaborateurs en vue d’un écosystème
numérique) ; collaborative, sous-tendue par une participation active ;
d’investissement, eu égard aux moyens humains et financiers (matériel, système
informatique). « Le zéro papier, ça
se construit, ça se pense, ça se partage, ça s’accompagne. On ne peut pas tout
révolutionner, ça se fait nécessairement de façon progressive ! »,
a appuyé Clémentine Delafontaine. Au sein de son étude, six années ont
ainsi été nécessaires entre le constat et l’aboutissement. « On s’est dit qu’on n’avait pas le choix,
qu’il fallait s’adapter, aller de l’avant. Pour cela, il nous a fallu
déterminer des axes de changement : office, clients, partenaires,
prestataires... Nos clients, tout particulièrement, sont au cœur de la
démarche : ce sont eux qui nous font vivre, qui nous permettent de nous
développer. Il faut donc prêter une attention particulière à leurs
besoins : communication plus rapide, suivi actualisé, accompagnement
constant… Nous devons donc proposer des solutions pour faciliter et ne jamais
imposer. Il faut être proactif, réactif, mais il ne faut jamais contraindre. Le
numérique est un moyen, pas une fin en soi », a développé la notaire.
AAE, visioconférence, data room, zéro papier…
« La signature du premier acte
authentique électronique à distance poursuit cette évolution », a
souligné Benoît Renaud, faisant référence à une petite révolution pour le monde
du notariat, puisque le premier acte électronique à distance a été signé le
10 octobre dernier entre deux offices d’Ille-et-Vilaine, en présence des
clients, pour une vente en état futur d’achèvement [voir Journal Spécial des
Sociétés n° 76 du 24 octobre 2018]. Ce procédé avait été présenté et testé en
situation réelle lors du 113e Congrès des Notaires de France en septembre
2017, avant d’être présenté à la garde des Sceaux en mai 2018. Une « nouvelle étape » dans le « développement technologique »
du notariat, avait salué Didier Coiffard, signe selon lui que la « profession est encore et toujours à la
pointe du numérique pour inventer le notariat de demain et faciliter la vie des
clients ».
S’adapter aux nouvelles problématiques
Qui dit numérique, dit aussi apparition de
nouvelles problématiques qui poussent la profession à s’adapter, a soulevé la
notaire Florence Pouzenc. Cette dernière a notamment évoqué la problématique
récente des cryptomonnaies, comme les Bitcoins, dans le cadre du divorce, par
exemple. « Un client peut récupérer ses Bitcoins grâce à la signature
électronique. Mais ensuite, comment les qualifier ? Comment les intégrer
dans la liquidation du régime matrimonial ? », s’est interrogée
Florence Pouzenc. Le problème des cryptomonnaies se pose également dans le
cadre de la succession : « Lorsque des clients viennent me voir pour
leur testament, je leur demande automatiquement s’ils ont des cryptomonnaies,
et si c’est le cas, je vais garder leur signature électronique. Car le jour où
la personne décède, si cette précaution n’a pas été prise, les cryptomonnaies
ne peuvent pas être récupérées, alors qu’elles constituent souvent une valeur
importante du patrimoine ».
L’objectif, a estimé la notaire, est donc,
vis-à-vis de toutes ces questions, « de prendre la balle au
bond » : « Notre activité
doit absolument se renouveler au regard des nouvelles technologies ».
Thibault Douville, professeur agrégé de droit
privé, a pour sa part mentionné des « contrats
nouveaux » amenés par la révolution numérique, à l’instar du contrat
d’hébergement de site Internet et du contrat de référencement, que le notaire
se doit de connaître, par exemple dans le cadre d’une cession de fonds de
commerce.
Plus facile la vie ?
Les notaires font bien évidemment partie des
cibles visées par les entreprises qui tentent de faciliter, via la technologie,
la vie des professionnels.
« Ce
sont les GAFAM qui dictent le marché des tendances. Il y a 15 ans, les
géants avaient dit qu’il fallait tout miser sur le cloud. Maintenant, c’est
l’IA, le prédictif, le big data. Il faut certes faire des expérimentations,
mais aussi trouver de bons cas d’usage. L’innovation pour l’innovation ne sert
à rien », a estimé Guillaume de Bruc, directeur général adjoint de GenApi,
éditeur de logiciels pour les notaires. Après avoir développé des outils
permettant la prise de rendez-vous par SMS ou encore le suivi dématérialisé de
l’avancement des dossiers, l’entreprise a créé un chatbot spécial Télé@ctes,
pour lequel elle utilise le robot Watson, d’IBM. « On essaie de travailler autour de l’intelligence artificielle
pour contribuer aux solutions de demain, en fonction de l’avancée de nos
partenaires sur ces technologies. Les solutions aujourd’hui ne sont pas tout à
fait matures, l’IA est encore très assistée, mais on s’y inscrit pour permettre
aux notaires de dégager du temps, et de consacrer leur plus-value à leur
clients ! », a assuré Guillaume de Bruc.
D’autres entreprises créent – et ne cessent
d’ailleurs de créer – des outils à destination de tous types de professionnels
que les notaires ont été invités à utiliser à l’occasion de ce colloque « Notaires, la nouvelle ère ».
Outre les chatbots, « pour
démocratiser l’accès au droit en automatisant des réponses à des questions répétitives
et non ambiguës », Jean-Lou Santurette, consultant innovation et
stratégie, a ainsi présenté tout un panel de « solutions innovantes »,
à commencer par des plateformes où l’IA va permettre de gérer, organiser,
archiver ses documents, à l’instar d’Hyperlex, a cité le consultant, legaltech
fondée en septembre 2017?avec le soutien de Pierre Kosciusko-Morizet qui est
une solution en ligne de gestion et d’analyse de contrats pour les entreprises.
La révolution numérique permet par ailleurs
aujourd’hui au notaire de se doter, s’il le souhaite, « d’un robot virtuel pour l’accompagner dans
son travail au quotidien », a affirmé le consultant – bien que le prix
puisse être, actuellement, encore largement dissuasif. Plus simplement, et plus
raisonnablement pour l’heure, la révolution numérique permet d’accéder à des
plateformes collaboratives (avec des outils comme Workplac, le réseau social
d’entreprise de Facebook) ; de mettre ses clients au cœur de sa stratégie
grâce au legal design, qui promet de rendre l’information juridique technique
plus accessible et est basée sur la co-innovation, c’est-à-dire la construction
de services directement entre usagers (l’École des Avocats du Grand Est a ainsi
mis en place le projet « Lawbydesign »,
adossé au legal design, début 2017) ; et, c’est une évidence, « de gagner en visibilité et en
interactivité avec les clients grâce aux réseaux sociaux », a souligné
Jean-Lou Santurette.
Nouveau
notaire, nouvelles missions
Jacques Binard, DSI de la chambre
interdépartementale des notaires de Paris, est revenu sur le Service Notarial
de Dépôt Électronique. Il s’agit d’un coffre-fort électronique, accessible
uniquement chez un notaire, qui assure la conservation de documents
dématérialisés et l’archivage de données dans des conditions de sécurité
juridique et technologique optimales, et permet de prouver de manière certaine
leur origine, leur date de dépôt et leur authenticité. « Il peut s’agir d’un dépôt de données dans des domaines
multiples : pharmacie, pétrochimie, sites Internet, codes sources
informatiques… L’objectif est de garder la preuve qu’une information existait
et qu’une entité en était détentrice », a-t-il détaillé.
Denis-Pierre Simon, président du Conseil
régional des notaires de Rhône-Alpes, et Nicolas Hersog, dirigeant de la
ChainHero, société qui aide les entreprises et les gouvernements à construire
et déployer des blockchains publiques et privées, ont présenté le projet de
blockchain en cours de développement au CR des notaires de Rhône-Alpes. Les
deux hommes se sont intéressés à la blockchain car ils ont estimé qu’il
s’agissait d’un outil de certification qui devait appartenir aux notaires. En
parallèle, ils ont fait le constat que malgré la profusion de start-up créées
ces dernières années, leur taux de survie était inférieur à quatre ans.
« On a voulu mettre en avant la
créativité et offrir aux jeunes startuppers un outil qui permette de protéger
leur idée et de la valoriser », a expliqué Denis-Pierre Simon. La
blockchain mise en place présente différents niveaux, de l’enregistrement de
l’idée à sa mise en vitrine. Le notaire a pour rôle ici de valider, conseiller
et protéger. C’est aussi un intermédiaire : il effectue la mise en
relation entre celui qui a l’idée et l’entreprise qui recherche une idée.
« Il devient donc le premier acteur
économique à contacter l’entrepreneur. C’est une façon de changer l’image du
notariat, qui endosse le rôle de saint patron de l’innovation, et qui maîtrise
l’outil blockchain. Cela va créer un capital confiance et donner lieu à des
demandes sur d’autres déclinaisons », a souligné le président du
Conseil régional des notaires de Rhône-Alpes.
Mais intervenir sur de nouveaux fronts ne
rime pas nécessairement avec blockchain. Vincent Chauveau l’a prouvé, en créant
en janvier 2015?les rendez-vous du Conseil du coin, des consultations
juridiques gratuites assurées chaque premier samedi du mois par des notaires
dans des cafés et autres lieux ouverts au public. L’objectif : l’accès au
droit pour tous et partout en France. Une initiative qui « a bénéficié des relais médiatiques
traditionnels, mais aussi des relais des réseaux sociaux, incontournables
aujourd’hui ».
« Il faut que nous soyons là pour contrôler la machine »
« J’ai
l’impression parfois que nous sommes largués », a plaisanté Jean-Paul
Mattei, député et ancien président de NCE. « Quand il y a un tsunami : on ne sait pas où on va, mais on court.
Ici, c’est un peu pareil », a pour sa part analysé le président de la
chambre interdépartementale des notaires de Paris, Bertrand Savouré. Ce dernier
l’a constaté : « Nous sommes
entrés dans un monde d’ultra-concurrence, ouvert et transparent : tout va
plus vite, plus simplement, avec moins d’intermédiaires, et on commence
seulement maintenant à en percevoir les effets ».
Bien que le pouvoir de l’instance soit limité
dans l’innovation, du fait d’un manque de moyens financiers et de temps, a-t-il
admis, la Chambre des notaires de Paris croit en l’innovation. Cette dernière a
ainsi lancé en juin dernier une « chambre junior », composée de jeunes
collaborateurs et « chargée de réfléchir au notariat de demain », a
précisé Bertrand Savouré. La Chambre a par ailleurs créé l’an dernier un
« Forum technologie et
notariat », dont la deuxième édition, le 8 novembre dernier,
avait pour objectif de présenter les nouveaux outils et services proposés par
les acteurs du numérique, au service de la profession.
« Nous
avons également voté la création d’un fonds d’innovation de plusieurs millions
d’euros abondé par l’intégralité des notaires de la compagnie », s’est
en outre félicité le président de la Chambre. Ce dernier est censé permettre le
financement de projets innovants, par exemple via l’investissement dans des
entreprises qui soutiennent l’innovation dans la profession, et ce, afin « de créer tout un écosystème de
l’innovation ».
Aura-t-on encore besoin de notaires ?
s’est toutefois demandé Bertrand Savouré. « S’il
est difficile de se projeter, je suis sûr en tout cas que ce qui fait la
différence du notaire, c’est que la transaction se réalise car il a identifié
qu’il s’agit de la bonne transaction, avec la bonne personne, au bon moment. »
« Face
à l’IA et aux nouvelles technologies, on ne sait pas très bien de quoi demain
sera fait, mais une tendance se dégage : le conseil et les relations
humaines se développeront davantage », a pour sa part considéré Hubert
Fabre, président de NCE.
Le notaire est au centre du sujet, a confirmé
Jean-Paul Mattei. Selon le député, les notaires doivent certes s’approprier les
nouvelles technologies, mais tout en revendiquant leur rôle de tiers de
confiance. « Et si la vraie
modernité était de retrouver leur rôle d’humain ? a-t-il sondé la salle.
Comme les pilotes de ligne qui doivent être là pour contrôler la machine, il
faut que nous soyons là, nous aussi, pour contrôler la machine ».
Bérengère
Margaritelli