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« Notaire, la nouvelle ère »

« Notaire, la nouvelle ère »
Publié le 17/11/2018 à 09:30

Acte authentique électronique, data room, coffre-fort électronique, utilisation de l’IA et de la blockchain… Les notaires ont pris la révolution numérique à bras-le-corps ces dernières années. Le colloque organisé par Notaires Conseil d’entreprise (NCE) à l’École du Notariat, le 18 octobre, a proposé un petit tour d’horizon des révolutions opérées autour de la profession. Mais à côté des nouvelles technologies, « et si la vraie modernité était de retrouver leur rôle d’humain ? »



« Le notariat était attaqué, mais nous avons su démontrer son utilité, et la spécificité de l’acte authentique », s’est félicité Benoît Renaud en ouverture du colloque « Notaires, la nouvelle ère », organisé par NCE à l’École du Notariat, le 18 octobre dernier. Allusion à peine voilée au rapport Darrois, qui, en 2009, avait préconisé de réfléchir à la création d’une « grande profession du droit » qui aurait mis fin à la spécificité notariale.


Le directeur général de l’Union notariale financière (Unofi), ancien président du Conseil supérieur du notariat (CSN), n’a par ailleurs pas manqué de faire l’éloge d’une profession ouverte aux mutations numériques. À commencer par l’Acte authentique électronique (AAE), qui fête ses dix ans cette année, mais dont le projet avait été initié en 2000. Désormais adopté par plus de la moitié des offices notariaux, à l’époque, cela avait été un « vrai choc culturel dans la culture du notaire », s’est souvenu Benoît Renaud.
« Il a fallu passer de la culture de Saint Thomas à une forme de foi publique ! Mais on a essayé de donner à l’AAE un aspect viral, et cela a marché : il a vite pris.
On a créé un besoin, quelque chose qui fonctionne  et qui doit continuer à s’étendre
 », a-t-il affirmé.


 


Dix ans d’outils numériques


Le directeur de l’Unofi a insisté : « Il est aujourd’hui nécessaire que l’AAE devienne la règle, et le papier l’exception. »


D’autant que, selon Christophe Vielpeau, notaire, les avantages pour le client sont nombreux : « Le client, qui ne voyait pas l’acte, le voit désormais sur un écran, tout comme les modifications, lorsque les clauses sont discutées ». Par ailleurs, l’horodatage qui accompagne l’AAE, « très précis, à la seconde près », s’avère un élément important pour attester de l’heure de la signature en cas de procédure ou contentieux.
Et si le changement de support a pu faire craindre une qualité juridique à la baisse, Christophe Vielpeau a balayé cela d’un revers de main : « L’aspect électronique n’enlève rien à la force exécutoire ! » Quant aux notaires, ces derniers y gagnent aussi : en espace, et en temps. « Et notre caractère de tiers de confiance et impartial ressort encore mieux », a jugé le notaire.


Autre outil en pleine expansion chez les notaires, permettant là encore de gagner du temps, la visioconférence, dont Christophe Vielpeau a vanté le « confort », ce qui constitue également une réponse à l’expression des « besoins exponentiels » du client. « Le client est aujourd’hui maître du dossier. Il veut pouvoir, depuis son canapé, avoir accès aux éléments de son dossier et interagir avec son notaire ! »


Notaire elle aussi, Clémentine Delafontaine a pour sa part confié son expérience sur la data room, ce lieu où l’on regroupe, à l’occasion d’une opération juridique, tous les documents nécessaires aux parties, de façon sécurisée. Un outil qui permet selon elle d’accélérer, de fluidifier et de sécuriser les échanges entre les partenaires, pour une meilleure productivité de l’étude. « Il est nécessaire dans notre métier que l’on ait accès à des informations constamment actualisées, aux derniers éléments qui constituent nos dossiers », a-t-elle indiqué. Cette dernière a en outre évoqué la mise en place du « zéro papier » au sein de son étude, pour faire « table rase » et échanger de manière complètement dématérialisée. Un projet qu’elle a présenté à la fois comme une démarche managériale (un « projet d’entreprise » qui doit être partagé par les associés et les collaborateurs en vue d’un écosystème numérique) ; collaborative, sous-tendue par une participation active ; d’investissement, eu égard aux moyens humains et financiers (matériel, système informatique). « Le zéro papier, ça se construit, ça se pense, ça se partage, ça s’accompagne. On ne peut pas tout révolutionner, ça se fait nécessairement de façon progressive ! », a appuyé Clémentine Delafontaine. Au sein de son étude, six années ont ainsi été nécessaires entre le constat et l’aboutissement. « On s’est dit qu’on n’avait pas le choix, qu’il fallait s’adapter, aller de l’avant. Pour cela, il nous a fallu déterminer des axes de changement : office, clients, partenaires, prestataires... Nos clients, tout particulièrement, sont au cœur de la démarche : ce sont eux qui nous font vivre, qui nous permettent de nous développer. Il faut donc prêter une attention particulière à leurs besoins : communication plus rapide, suivi actualisé, accompagnement constant… Nous devons donc proposer des solutions pour faciliter et ne jamais imposer. Il faut être proactif, réactif, mais il ne faut jamais contraindre. Le numérique est un moyen, pas une fin en soi », a développé la notaire.


AAE, visioconférence, data room, zéro papier… « La signature du premier acte  authentique électronique à distance poursuit cette évolution », a souligné Benoît Renaud, faisant référence à une petite révolution pour le monde du notariat, puisque le premier acte électronique à distance a été signé le 10 octobre dernier entre deux offices d’Ille-et-Vilaine, en présence des clients, pour une vente en état futur d’achèvement [voir Journal Spécial des Sociétés n° 76 du 24 octobre 2018]. Ce procédé avait été présenté et testé en situation réelle lors du 113e Congrès des Notaires de France en septembre 2017, avant d’être présenté à la garde des Sceaux en mai 2018. Une « nouvelle étape » dans le « développement technologique » du notariat, avait salué Didier Coiffard, signe selon lui que la « profession est encore et toujours à la pointe du numérique pour inventer le notariat de demain et faciliter la vie des clients ».


 


 



 


 


S’adapter aux nouvelles problématiques


Qui dit numérique, dit aussi apparition de nouvelles problématiques qui poussent la profession à s’adapter, a soulevé la notaire Florence Pouzenc. Cette dernière a notamment évoqué la problématique récente des cryptomonnaies, comme les Bitcoins, dans le cadre du divorce, par exemple. « Un client peut récupérer ses Bitcoins grâce à la signature électronique. Mais ensuite, comment les qualifier ? Comment les intégrer dans la liquidation du régime matrimonial ? », s’est interrogée Florence Pouzenc. Le problème des cryptomonnaies se pose également dans le cadre de la succession : « Lorsque des clients viennent me voir pour leur testament, je leur demande automatiquement s’ils ont des cryptomonnaies, et si c’est le cas, je vais garder leur signature électronique. Car le jour où la personne décède, si cette précaution n’a pas été prise, les cryptomonnaies ne peuvent pas être récupérées, alors qu’elles constituent souvent une valeur importante du patrimoine ».


L’objectif, a estimé la notaire, est donc, vis-à-vis de toutes ces questions, « de prendre la balle au bond » : « Notre activité doit absolument se renouveler au regard des nouvelles technologies ».


Thibault Douville, professeur agrégé de droit privé, a pour sa part mentionné des « contrats nouveaux » amenés par la révolution numérique, à l’instar du contrat d’hébergement de site Internet et du contrat de référencement, que le notaire se doit de connaître, par exemple dans le cadre d’une cession de fonds de commerce.


 


Plus facile la vie ?


Les notaires font bien évidemment partie des cibles visées par les entreprises qui tentent de faciliter, via la technologie, la vie des professionnels.


« Ce sont les GAFAM qui dictent le marché des tendances. Il y a 15 ans, les géants avaient dit qu’il fallait tout miser sur le cloud. Maintenant, c’est l’IA, le prédictif, le big data. Il faut certes faire des expérimentations, mais aussi trouver de bons cas d’usage. L’innovation pour l’innovation ne sert à rien », a estimé Guillaume de Bruc, directeur général adjoint de GenApi, éditeur de logiciels pour les notaires. Après avoir développé des outils permettant la prise de rendez-vous par SMS ou encore le suivi dématérialisé de l’avancement des dossiers, l’entreprise a créé un chatbot spécial Télé@ctes, pour lequel elle utilise le robot Watson, d’IBM. « On essaie de travailler autour de l’intelligence artificielle pour contribuer aux solutions de demain, en fonction de l’avancée de nos partenaires sur ces technologies. Les solutions aujourd’hui ne sont pas tout à fait matures, l’IA est encore très assistée, mais on s’y inscrit pour permettre aux notaires de dégager du temps, et de consacrer leur plus-value à leur clients ! », a assuré Guillaume de Bruc.


D’autres entreprises créent – et ne cessent d’ailleurs de créer – des outils à destination de tous types de professionnels que les notaires ont été invités à utiliser à l’occasion de ce colloque « Notaires, la nouvelle ère ». Outre les chatbots, « pour démocratiser l’accès au droit en automatisant des réponses à des questions répétitives et non ambiguës », Jean-Lou Santurette, consultant innovation et stratégie, a ainsi présenté tout un panel de « solutions innovantes », à commencer par des plateformes où l’IA va permettre de gérer, organiser, archiver ses documents, à l’instar d’Hyperlex, a cité le consultant, legaltech fondée en septembre 2017?avec le soutien de Pierre Kosciusko-Morizet qui est une solution en ligne de gestion et d’analyse de contrats pour les entreprises.


La révolution numérique permet par ailleurs aujourd’hui au notaire de se doter, s’il le souhaite, « d’un robot virtuel pour l’accompagner dans son travail au quotidien », a affirmé le consultant – bien que le prix puisse être, actuellement, encore largement dissuasif. Plus simplement, et plus raisonnablement pour l’heure, la révolution numérique permet d’accéder à des plateformes collaboratives (avec des outils comme Workplac, le réseau social d’entreprise de Facebook) ; de mettre ses clients au cœur de sa stratégie grâce au legal design, qui promet de rendre l’information juridique technique plus accessible et est basée sur la co-innovation, c’est-à-dire la construction de services directement entre usagers (l’École des Avocats du Grand Est a ainsi mis en place le projet « Lawbydesign », adossé au legal design, début 2017) ; et, c’est une évidence, « de gagner en visibilité et en interactivité avec les clients grâce aux réseaux sociaux », a souligné Jean-Lou Santurette.


 


Nouveau notaire, nouvelles missions


Jacques Binard, DSI de la chambre interdépartementale des notaires de Paris, est revenu sur le Service Notarial de Dépôt Électronique. Il s’agit d’un coffre-fort électronique, accessible uniquement chez un notaire, qui assure la conservation de documents dématérialisés et l’archivage de données dans des conditions de sécurité juridique et technologique optimales, et permet de prouver de manière certaine leur origine, leur date de dépôt et leur authenticité. « Il peut s’agir d’un dépôt de données dans des domaines multiples : pharmacie, pétrochimie, sites Internet, codes sources informatiques… L’objectif est de garder la preuve qu’une information existait et qu’une entité en était détentrice », a-t-il détaillé.


Denis-Pierre Simon, président du Conseil régional des notaires de Rhône-Alpes, et Nicolas Hersog, dirigeant de la ChainHero, société qui aide les entreprises et les gouvernements à construire et déployer des blockchains publiques et privées, ont présenté le projet de blockchain en cours de développement au CR des notaires de Rhône-Alpes. Les deux hommes se sont intéressés à la blockchain car ils ont estimé qu’il s’agissait d’un outil de certification qui devait appartenir aux notaires. En parallèle, ils ont fait le constat que malgré la profusion de start-up créées ces dernières années, leur taux de survie était inférieur à quatre ans. « On a voulu mettre en avant la créativité et offrir aux jeunes startuppers un outil qui permette de protéger leur idée et de la valoriser », a expliqué Denis-Pierre Simon. La blockchain mise en place présente différents niveaux, de l’enregistrement de l’idée à sa mise en vitrine. Le notaire a pour rôle ici de valider, conseiller et protéger. C’est aussi un intermédiaire : il effectue la mise en relation entre celui qui a l’idée et l’entreprise qui recherche une idée. « Il devient donc le premier acteur économique à contacter l’entrepreneur. C’est une façon de changer l’image du notariat, qui endosse le rôle de saint patron de l’innovation, et qui maîtrise l’outil blockchain. Cela va créer un capital confiance et donner lieu à des demandes sur d’autres déclinaisons », a souligné le président du Conseil régional des notaires de Rhône-Alpes.


Mais intervenir sur de nouveaux fronts ne rime pas nécessairement avec blockchain. Vincent Chauveau l’a prouvé, en créant en janvier 2015?les rendez-vous du Conseil du coin, des consultations juridiques gratuites assurées chaque premier samedi du mois par des notaires dans des cafés et autres lieux ouverts au public. L’objectif : l’accès au droit pour tous et partout en France. Une initiative qui « a bénéficié des relais médiatiques traditionnels, mais aussi des relais des réseaux sociaux, incontournables aujourd’hui ».


 


« Il faut que nous soyons là pour contrôler la machine »


« J’ai l’impression parfois que nous sommes largués », a plaisanté Jean-Paul Mattei, député et ancien président de NCE. « Quand il y a un tsunami : on ne sait pas où on va, mais on court. Ici, c’est un peu pareil », a pour sa part analysé le président de la chambre interdépartementale des notaires de Paris, Bertrand Savouré. Ce dernier l’a constaté : « Nous sommes entrés dans un monde d’ultra-concurrence, ouvert et transparent : tout va plus vite, plus simplement, avec moins d’intermédiaires, et on commence seulement maintenant à en percevoir les effets ».


Bien que le pouvoir de l’instance soit limité dans l’innovation, du fait d’un manque de moyens financiers et de temps, a-t-il admis, la Chambre des notaires de Paris croit en l’innovation. Cette dernière a ainsi lancé en juin dernier une « chambre junior », composée de jeunes collaborateurs et « chargée de réfléchir au notariat de demain », a précisé Bertrand Savouré. La Chambre a par ailleurs créé l’an dernier un « Forum technologie et notariat », dont la deuxième édition, le 8 novembre dernier, avait pour objectif de présenter les nouveaux outils et services proposés par les acteurs du numérique, au service de la profession.


« Nous avons également voté la création d’un fonds d’innovation de plusieurs millions d’euros abondé par l’intégralité des notaires de la compagnie », s’est en outre félicité le président de la Chambre. Ce dernier est censé permettre le financement de projets innovants, par exemple via l’investissement dans des entreprises qui soutiennent l’innovation dans la profession, et ce, afin « de créer tout un écosystème de l’innovation ».


Aura-t-on encore besoin de notaires ? s’est toutefois demandé Bertrand Savouré. « S’il est difficile de se projeter, je suis sûr en tout cas que ce qui fait la différence du notaire, c’est que la transaction se réalise car il a identifié qu’il s’agit de la bonne transaction, avec la bonne personne, au bon moment. »


« Face à l’IA et aux nouvelles technologies, on ne sait pas très bien de quoi demain sera fait, mais une tendance se dégage : le conseil et les relations humaines se développeront davantage », a pour sa part considéré Hubert Fabre, président de NCE.


Le notaire est au centre du sujet, a confirmé Jean-Paul Mattei. Selon le député, les notaires doivent certes s’approprier les nouvelles technologies, mais tout en revendiquant leur rôle de tiers de confiance. « Et si la vraie modernité était de retrouver leur rôle d’humain ? a-t-il sondé la salle. Comme les pilotes de ligne qui doivent être là pour contrôler la machine, il faut que nous soyons là, nous aussi, pour contrôler la machine ».


Bérengère Margaritelli


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