Les élèves-avocats célébraient leur rentrée
solennelle à l’EFB, le 10 janvier
dernier, en salle Pleyel., à Paris. Une rentrée placée sous le signe de la
professionnalisation, mais aussi des droits de la défense et de la défense des
droits. L’occasion pour cette nouvelle promotion, parrainée par Jacques Toubon,
de prêter, à l’unisson, son petit serment.
Jacques Toubon
La salle
Pleyel était comble. Les quelque 1 800 élèves-avocats,
rassemblés à l’occasion de la rentrée solennelle de l’EFB, le 10 janvier dernier, ont saisi le
message : pro-fes-sion-na-li-sa-tion ! Tel sera le maître-mot de leur
scolarité au sein de l’établissement, avant de devenir pleinement avocats.
« L’École
est là pour entamer votre mue. Vous avez reçu l’ordinateur à la fac, maintenant
on va vous donner le système d’exploitation », a lancé son directeur,
Pierre Berlioz, punchline qui a été
accueillie sous les applaudissements.
« Il
n’est plus temps d’apprendre le droit, il est désormais temps de le pratiquer
dès l’entrée à l’École, car préparer l’avenir consiste à vous faire appréhender
la réalité », a confirmé le bâtonnier Marie-Aimée Peyron. Comme l’a
précisé Aliénor Kamara-Cavarroc, directrice pédagogique de l’EFB. Les élèves ne
vont donc pas réétudier ce qu’ils ont acquis à l’Université, mais le corps
enseignant, composé d’avocats, magistrats, directeurs juridiques, notaires,
policiers, négociateurs, comédiens, mais aussi le Défenseur des droits, parrain
de cette promotion, leur donnera « des clefs » pour exercer
leur future profession, et pour répondre aux attentes de leurs interlocuteurs,
parmi lesquels clients, confrères, institutions et juridictions.
La nouvelle
promotion se penchera notamment sur les aspects pratiques, de la réception du
client jusqu’à la décision finale. « Le métier d’avocat est fait de
réflexes, que nous allons vous transmettre, et de rigueur. Nous allons vous
enseigner la manière adéquate de poser des questions à vos interlocuteurs pour
construire efficacement vos dossiers et écrits, pour analyser les pièces et les
documents afin de présenter vos travaux », a indiqué Aliénor
Kamara-Cavarroc.
Les élèves
seront par ailleurs initiés aux data room, aux due diligences, à l’arbitrage et
à la plaidoirie - l’EFB abrite à cet effet une salle d’audience conçue
spécialement pour l’entraînement des élèves.
Et en
matière d’entraînement, la promotion peut aussi compter sur la petite
conférence, calquée sur la Conférence du stage, concours d’éloquence à l’issue
duquel 12 secrétaires
sont chargés d’assurer des missions pénales et commis d’office par le
bâtonnier. Malcolm Mouldaïa-Mauger, 9e secrétaire de la conférence, a insisté
sur les enjeux de ce concours : « La Conférence du stage, c’est la
probité de l’avocat. Vous allez défendre des gens démunis et vous serez leur
seul lien humain ». La petite conférence, quant à elle, ouverte à 64 candidats, débute en mars pour
s’achever en juin. Elle se déroule dans les mêmes conditions que son
aînée ; trois tours au cours desquels « chaque candidat doit
répondre à un sujet issu de l’imagination parfois perverse des secrétaires -
par exemple, “Fromage ou dessert ?” - avec un souci d’entretenir
l’élégance de la langue française », a souri le 9e secrétaire, l’un
des intérêts de l’entraînement étant d’obtenir un feedback des secrétaires sur
sa plaidoirie.
Autre façon
de pratiquer : l’Association des élèves-avocats (AEA) met en place des
permanences pénales afin d’assister l’avocat pénaliste en situation réelle,
d’urgence. « Nous organisons aussi un forum des stages chaque année.
Cette année, 50 cabinets
seront présents : ils veulent vous voir, ils sont motivés pour vous
recruter ! », a
assuré son président, Stanislas Saied, aux étudiants.
Pierre Berlioz
S’ouvrir
Les
intervenants ont par ailleurs tous appelé les élèves-avocats à s’ouvrir à
l’international.
Et
l’international peut commencer à Paris : « Nous avons un barreau
très ouvert sur le monde », a souligné Brice Martin, responsable des
relations internationales à l’EFB, qui a évoqué l’opportunité d’assister à de
grandes rencontres internationales organisées chaque année au sein de l’École,
ou encore la possibilité de rencontrer des associations internationales
d’avocats. Hors de Paris, Brice Martin a
notamment mentionné l’existence de partenariats entre l’EFB et des
établissements à l’étranger, afin de réaliser, par exemple, un LL.M (diplôme
très prisé de troisième cycle en droit, entrepris à l’étranger) accéléré dans
le cadre de leur Projet pédagogique individuel, l’un des stages à accomplir au
cours de la formation à l’EFB ; ou encore des stages dans des pays
anglophones, francophones, en Inde et en Chine, que ce soit en cabinet d’avocat
ou dans tous types de structures, par exemple des juridictions
internationales.
S’ouvrir à l’international, donc, mais aussi s’ouvrir aux autres corps et
institutions. Pierre Berlioz a insisté sur ce point : « Confrontez-vous
aux autres professions ! L’heure est à l’alliance des compétences, à
l’intelligence collective. » Emmanuelle Hoffman, présidente déléguée
de l’EFB, a ainsi cité à ce titre la grande conférence interprofessionnelle
organisée au sein de l’établissement chaque année, afin de « tisser des
liens » avec les autres professions du droit, au premier rang
desquels, les magistrats : « Dès l’école, vous devez comprendre
qu’il est essentiel que nous travaillions ensemble pour une bonne
administration de la justice ». Gardez présent à l’esprit que vous
poursuivez la même mission : être au service des citoyens, de la
justice », a opiné Marie-Aimée Peyron, qui a souligné la nécessité
d’instaurer des relations sereines et empreintes de respect avec les
magistrats. Chantal Arens a d’ailleurs rappelé que magistrats et greffes
accueillaient volontiers les futurs avocats dans les juridictions, « afin
de leur faire découvrir “de l’intérieur” le fonctionnement,
l’organisation, les contraintes des différents services d’une juridiction ».
« Il faut maintenir cette passerelle entre les avocats et les
juridictions », a appuyé la Première présidente de la cour d’appel.
Au-delà des professions du droit, Emmanuelle Hoffman a invité la
promotion à « prendre conscience du lien avec les entreprises »,
et de comprendre les besoins de ces dernières, afin d’établir avec elles une « relation
de confiance ».
Marie-Aimée Peyron
Prendre le virage du numérique
Alors que l’École a dévoilé son nouveau logo (qui se modernise très
subtilement), cette dernière ne cache pas son ambition de modernité, et
Marie-Aimée Peyron non plus : « Depuis un an, nous avons souhaité
mettre fin à un enseignement didactique, académique, avec une refonte totale,
pour plus de réalisme et de dynamisme. »
L’École a notamment souhaité prendre le virage de la révolution
numérique : le Lab EFB, un espace de formation dédié aux enjeux de la
transformation numérique de la filière, a été créé lors de la rentrée
précédente, et inauguré par la garde des Sceaux. « C’était une réponse
politique à une situation de fait : les justiciables sont déjà largement
passés au numérique, et les avocats ont toujours du retard », a
indiqué Alexis Deborde, associé fondateur de la legaltech Hercule et
coordinateur du Lab. L’objectif du Lab est donc de répondre à des attentes bien
précises des clients : plus de fluidité dans la communication avec
l’avocat, une relation dématérialisée, une accessibilité et une transparence de
l’information. « Vous devez vivre dans votre temps, et cela implique de
savoir travailler de manière plus efficiente et confortable », a
souligné Alexis Deborde. À cet effet, un cours en amphithéâtre et des ateliers
sont proposés, lors desquels les élèves sont invités, accompagnés par des
experts, à choisir un thème qu’ils désirent mieux appréhender : business development (développement de
l’activité), marché et droit (concevoir des offres de services plus parlantes
pour le justiciable), modélisation juridique (automatisation et transformation
des modes production), ou legal design
(rendre des problématiques complexes plus simples à l’aide d’une visualisation
schématique).
Plus poussé, le parcours « Talents et innovation » à
destination des élèves souhaitant développer un projet ou simplement
approfondir ces notions, « donne les moyens humains et méthodologiques
de se saisir de cette révolution digitale », a témoigné Christophe
Delaisement, élève-avocat de la promotion 2018-2019. « On nous apprend
ce qu’est un client, comment établir son projet, comment faire un business
model. On sort du cadre juridico-juridique, c’est rafraîchissant ! »,
a confirmé sa camarade Clara Zlotykamien, qui s’est penchée sur le sujet de la
propriété intellectuelle dans l’optique de rendre cette matière plus
accessible, via infographies, motion design, explications de jurisprudence et
fil d’actualité dédié.
Une façon, comme l’a énoncé la Première présidente de la cour d’appel de
Paris, Chantal Arens, de répondre à l’exigence de se former à l’utilisation des
outils numériques, mais également « de se positionner efficacement à
leur égard, car c’est en connaissant bien ces nouveaux instruments que les
avocats pourront en retirer le meilleur ».
L’avocat innovateur
Plus « ouvert », plus « numérique »,
l’élève-avocat, et, dans son prolongement immédiat, l’avocat, est ainsi amené,
aujourd’hui, à devenir plus créatif, un précurseur. C’est en tout cas le
souhait émis par le directeur de l’EFB. « Georges Ripert a dit qu’un
juriste est un conservateur, à peine de ne plus être un juriste - c’était en
1955. En 2019, un juriste est un innovateur, à peine de ne plus être un juriste »,
a assuré Pierre Berlioz.
À côté de la technique du métier, l’équipe pédagogique s’est dotée d’un
objectif plus large : « On vous aidera à anticiper, à être agiles,
réactifs, capables de vous adapter à l’évolution ». Pour le directeur
de l’EFB, il est en effet essentiel que face à l’automatisation, l’avocat soit
conscient de la révolution des services. « Être un bon juriste, ce
n’est pas être une base de données sur pattes : cela ne sert à rien
d‘accumuler des connaissances, car nous avons l’information à disposition. Au
contraire, il faut être stratège, avoir de l’imagination, tenter des choses,
essayer. Si on ne prend pas le risque de dire des âneries, on peut pas dire de
choses intelligentes ». Le directeur de l’EFB a donc invité ses
étudiants à ne jamais rien prendre pour acquis et à être imaginatifs ; en
bref, à devenir de vrais caméléons du droit. « Ne restez pas à votre
bureau, ouvrez vos fenêtres ! Voyez le sang, le labeur, les larmes, la
sueur du monde. »
L’avocat réformateur
Si Chantal Arens a rappelé le rôle déterminant des avocats dans le bon
fonctionnement d’un système judiciaire indépendant, affirmant que l’ « L’Histoire
nous enseigne que partout où la défense recule, la démocratie, les valeurs
fondamentales et la justice suivent la même dérive », la Première
présidente de la cour d’appel a également réclamé des avocats qu’ils sachent,
plus que jamais, remettre en cause les dysfonctionnement et saisissent les
enjeux actuels inhérents à la justice et du droit. Face à la multiplication de
textes législatifs et réglementaires nationaux « trop souvent conçus
dans la précipitation et parfois mal rédigés », l’importance
grandissante du droit européen et la rapide évolution des jurisprudences de la
Cour de cassation, « Votre génération doit participer activement à un
mouvement de modernisation des méthodes, sans lequel la crédibilité de nos
professions respectives ne pourra être confortée », a certifié la
Première présidente de la cour d’appel.
Autre combat dans lequel la « nouvelle génération »
devra s’engager : celui de l’égalité hommes-femmes au sein même de la
profession, a pointé l’avocate Valence Borgia. Puisqu’aujourd’hui, et malgré
des progrès, l’avocature, qui compte 54 % de femmes,
souffre toujours d’un écart de revenus allant en moyenne du simple au double
entre les hommes et les femmes. Une réalité contre laquelle tous les membres de
la profession doivent s’élever, tous sexes confondus, a considéré l’avocate.
Que ce soit en matière d’égalité et de respect des droits plus
globalement, les élèves-avocats auront ainsi « un rôle déterminant à
jouer pour proclamer le droit, un rôle citoyen, une mission d’intérêt général »,
a pour sa part estimé le Défenseur des droits.
Un « crépuscule des
droits fondamentaux » ?
Succédant à
Jean-Michel Darrois, parrain de la promotion précédente, Jacques Toubon,
parrain de la promotion 2019-2020, a placé la rentrée de l’EFB sous le signe de
la défense des droits et des droits de la défense. Pointant une absence de
débat « réel, rationnel, informé » entre exigences sécurité et
garanties nécessaires du respect des libertés, ainsi qu’un recul du principe
universel de l’état de droit, ce dernier a interpellé ses filleuls sur un
« crépuscule des droits fondamentaux ». « Le droit
pénal et la procédure pénale introduisent continûment de nouvelles restrictions
aux libertés, en particulier aux droits de la défense ; pilule empoisonnée
dans notre corps social et dans notre corps juridique », a lancé
Jacques Toubon. À l’appui de ces accusations, ce dernier a notamment cité
l’article 27 du projet de loi Justice, dans le
cadre duquel le procureur pourra procéder en urgence à une interception qui
pourra durer jusqu’à 24h, « sans autorisation et sans contrôle, sans
protection des droits de la défense », a-t-il fermement dénoncé.
« Vous
ne serez pas seulement des auxiliaires de justice, vous devez être des hérauts
du droit », a donc souligné le Défenseur des droits. Ayant lui-même
lancé le projet Educadroit, programme destiné à sensibiliser les enfants et les
jeunes au droit et à leurs droits, Jacques Toubon a également recommandé à sa
promotion de se former et de former dans des domaines « loin d’être
acquis », tels que les droits de l’enfant, mais aussi de la
non-discrimination. « Le droit n’est pas seulement un outil, il doit
être le vôtre, comme il est mon combat permanent, a persisté le Défenseur des
droits. Les Français doivent comprendre que le droit est comme l’oxygène de
l’air : indispensable à la vie. »
La déontologie, « obligation
fondamentale dont on ne se départ jamais »
Basile Ader a
prévenu les élèves-avocats : l’ADN fondamental de l’avocat est la
déontologie. « Vous allez devenir des citoyens à qui on réclame plus
qu’un citoyen ordinaire. Le principal enseignement de cette année sera donc de
vous apprendre à avoir un comportement éthique ». Et en effet, la
déontologie est l’examen le plus important à passer pour réussir l’examen du
barreau. Au centre de cette dernière, le secret professionnel doit faire
l’objet de toutes les attentions. « Tout ce que votre client va venir
vous dire, dès la première minute, sera couvert par le secret. C’est une
obligation fondamentale, absolue, dont on ne se départ jamais », a
rappelé le vice-bâtonnier de Paris.
Et pour
Catherine Champrenault, la déontologie, qui constitue le « meilleur
rempart » face aux défis et aux mutations qui attendent ces futurs
avocats, est aussi l’essence même du serment prêté par l’avocat. « Ce
serment insiste sur la responsabilité éthique et déontologique sans lesquelles
on ne peut se prétendre auxiliaire de justice. Ce sera la fondation de votre
profession, et cela deviendra de véritables réflexes, qui présideront à votre
stratégie de défense et à vos rapports avec vos interlocuteurs », a
martelé la procureure générale de la cour d’appel de Paris, qui s’est par
ailleurs dite « convaincue que le respect qu’une profession inspire se
mesure à l’aune des exigences qu’elle impose et à la capacité de ses membres à
les accepter et à les respecter ».
Mais avant de prêter serment « tout court », les
élèves-avocats étaient tous ensemble invités à prêter leur petit serment face à
la cour d’appel de Paris, spécialement délocalisée pour les besoins de cette
audience de rentrée. « L’unisson ne saurait occulter le fait que ce
serment vous engage, chacune et chacun d’entre vous, individuellement et
fortement ! », a rappelé, non sans bienveillance, la procureure
générale. Et si ce petit serment n’est pas encore celui de l’avocat, « Il
a essentiellement pour objet de vous permettre de participer à toutes les
activités de formation en partageant le secret professionnel et les secrets
auxquels sont tenus ceux qui vont vous former, a de son côté indiqué Chantal
Arens. Reste qu’il importe que vous soyez immédiatement conscients que vous
devrez être prêts, à l’issue de votre scolarité, à exercer les fonctions
d’avocat avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité »,
a prescrit la Première présidente de la cour d’appel.
En attendant d’être prêts, l’ensemble des élèves-avocats étaient donc
pleinement éclairés. Je jure de conserver le secret de tous les faits et actes
dont j’aurai eu connaissance en cours de formation et de stage… » :
d’une seule voix, ferme, et d’une main droite levée, à peine tremblante, la
promotion 2019-2020 l’a affirmé solennellement : « je le
jure ».
Bérengère Margaritelli