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Pourquoi l’auteur de l’ « Histoire amoureuse des Gaulles » est-il embastillé ?

Pourquoi l’auteur de l’ « Histoire amoureuse des Gaulles » est-il embastillé ?
Publié le 16/09/2018 à 09:03

Vendredi 17 avril 1665 : Le comte Roger de Bussy-Rabutin, maître de camp général de la cavalerie légère du royaume, arrêté par le chevalier du guet Testu, arrive à la Bastille, dont le gouverneur est François de Montlezun, ancien capitaine des Gardes de Mazarin. Il connaît bien la forteresse parisienne construite par Charles V pour y avoir déjà été incarcéré sur ordre de Louis XIII pendant cinq mois en 1641. à l’époque, il avait laissé ses soldats se transformer en faux-sauniers et faire la contrebande du sel. Cette fraude à la gabelle lui avait valu un séjour en cellule individuelle.


Cette fois-ci, c’est Louis XIV qui le punit, car le Roi ne lui pardonne pas son « Histoire amoureuse des Gaulles » dont une édition peut-être falsifiée par Condé fin de le mettre en difficulté a été imprimée et distribuée à son  insu. Le dimanche 19 avril 1665, le lieutenant criminel Jacques Tardieu (qui sera assassiné le 24 août suivant*), assisté de son greffier, vient procéder à l’interrogatoire de l’embastillé. L’officier général, qui a été reçu à l’Académie française quatre mois plus tôt, élu grâce à ses « Maximes d’amour »,  réaffirme tout le respect qu’il a pour le Roi et sa cour. Pourtant, dans sa chronique, Rabutin met en scène les aventures amoureuses, la frivolité et les polissonneries des membres de la cour, reconnaissables malgré leurs pseudonymes fantaisistes (le Roi y est Théodate, Mazarin y est le Grand Druide…). Les scènes relatées sont particulièrement réalistes. Des hypotyposes qui ne trompent personne. Surtout pas le monarque qui trouve que le cavalier léger a la plume légèrement cavalière.


Rabutin aurait dû se méfier. Car, malgré ses exploits militaires, il n’était guère apprécié par le Souverain. Ce dernier, lors du carrousel de 1662 dans la cour des Tuileries lors duquel il avait adopté le soleil comme emblème, ne l’avait pas invité ! Le Roi Soleil met donc le persifleur à l’ombre, loin de ses rayons. C’est ainsi que l’académicien va rester treize mois dans la forteresse, aidé dans ses tâches quotidiennes par un valet allemand, certes dans une chambre spacieuse, mais très isolé.


Pendant cet enfermement, il ne cesse de penser à celle qu’il aime, Cécile-Elisabeth Hurault de Cheverny, marquise de Montglas, qui est sa maîtresse depuis douze ans. Il l’a mise en valeur dans son « Histoire amoureuse des Gaulles » sous le pseudonyme de « Bélise ». Il aime ses « yeux petits, noirs et brillants ». Il admire sa « gorge la mieux faite du monde », son «  esprit vif et pénétrant », ses qualités de chanteuse et de danseuse.


Hélas pour lui, pendant qu’il se morfond à la Bastille, la marquise Cécile de Montglas l’abandonne. De leur amour, en son absence, elle sonne unilatéralement le glas. Après la chaleur des sentiments, de la rupture le verglas ! Il va en garder une rancune tenace.


à l’issue de son incarcération, celui qui fut un officier courageux du royaume et qui fut le second de Condé est exilé sur ses terres de Bourgogne, dans son château de Bussy-le-Grand, bel édifice aux tours rondes, entouré d’une fausse-braie, dont la façade Renaissance présente une modénature plutôt réussie. Il aime cette demeure, qu’il qualifie de « maison magnifiquement bâtie, avec des dedans d’une beauté singulière qu’on ne voit point ailleurs ». Il est proche de sa cousine la marquise de Sévigné. Tous deux se livrent à des « rabutinages » qui rappellent les traits caractéristiques de leur famille mais sont aussi des moqueries littéraires divertissantes. Les deux épistoliers échangent pendant des années, alternant picoteries et rabibochages, brouilles, compliments et turlupinades réciproques.


Et Rabutin décore une pièce de son château, qu’on présente lors des visites comme la salle des devises, avec des scènes qui ridiculisent la marquise de Montglas, qualifiée de « plus légère que l’air »… Il est vrai que lors de son admission à l’Académie française en janvier 1665, au fauteuil numéro 20, il avait dit dans son discours : « je crois que vous êtes trop justes, pour ne pas excuser les fautes d’un homme, lequel a fait toute sa vie un métier véritablement qui donne de la réputation, mais qui d’ordinaire ne donne guère de politesse ». La marquise, qu’il qualifie de traitresse dans ses écrits, et qu’il compare à un monstre, est représentée en sirène, en hirondelle qui s’enfuit, en croissant de lune. Il se met également en scène lui-même, comme banni, attendant en vain un retour en grâce, avec des formules telle « in me me involgo », « je m’enferme moi-même ».


Bussy-Rabutin… Un être fantasque, libertin, taquin, mondain, caustique, rancunier, passionné, audacieux, ripailleur, moqueur, ne respectant pas toujours le carême, mais soldat valeureux, officier exemplaire et solide écrivain, mémorialiste précieux, qui traduit les lettres d’Héloïse à Abélard et met en valeur la littérature de la marquise de Sévigné. Son château est un peu le miroir de sa personnalité. Il écrit à la fin de sa vie : « Enfin, Dieu m’a fait comprendre ce que dit un Père de l’Eglise : Il n’y a rien de plus malheureux que le bonheur des gens qui vivent au gré de leurs passions. »


* Voir notre chronique « 1665 : qui assassine le procureur de Paris ? » publiée dans le JSS 95du 13 décembre 2017. 


Étienne Madranges,

Avocat à la cour,

Magistrat honoraire


 


 


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