ACTUALITÉ

26e congrès de l’Union nationale des professions libérales : les entreprises libérales en mouvement

26e congrès de l’Union nationale des professions libérales : les entreprises libérales en mouvement
Publié le 12/01/2019 à 09:30

Le 26e congrès national de l’UNAPL – Union nationale des professions libérales – s’est tenu le 7 décembre 2018, au Palais Brongniart, sur le thème « Les entreprises libérales en mouvement – La valorisation du capital humain et économique des entreprises libérales dans la transformation de la société ». À travers quatre ateliers et deux grands débats, ce fut l’occasion de faire le point sur les réformes engagées par le gouvernement (loi Pacte ; retraites ; numérique) et leur impact sur les professions libérales. Alors que le pays connaît une crise sans précédent, les intervenants ont rappelé combien ces dernières, qui sont en prise directe avec la société, jouent un rôle essentiel pour le maintien de l’emploi et de l’activité sur tout le territoire.


 


 « Quels défis pour les entrepreneurs libéraux en 2020 ? » se sont interrogés les experts lors de la séance plénière de l’après-midi, modérée par Yves Thréard, directeur adjoint de la rédaction du Figaro. Ont participé à la discussion Corinne Lepage, présidente de Cap21 et ancienne ministre de l’Environnement ; Xavier Bertrand, président du Conseil régional des Hauts-de-France et ancien ministre ; Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites ; Guy Vallancien, membre de l’Académie nationale de médecine et fondateur de Cham ; Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail et Michel Chassang, président de l’UNAPL.


 




«  LES PROFESSIONS LIBÉRALES SONT l’AVENIR »


En introduction, Christophe Barbier, conseiller éditorial et éditorialiste à L’Express, a tenté de donner les grandes lignes directrices du débat. Optimiste, il a commencé par rassurer les participants présents dans la salle : « Je pense que les professions libérales ont de l’avenir, je pense même que les professions libérales, le libéral, c’est l’avenir » a-t-il assuré. Pour lui, en effet, c’est dans le secteur libéral que les innovations peuvent le mieux se déployer, comme le télétravail (rendu possible par le numérique), c’est-à-dire la capacité à fournir un service en étant loin du consommateur, et même du payeur.



Nous entrons dans l’âge du « serviciel », a ajouté le journaliste, le temps de la déconcentration, de la liberté d’installation, et de l’indépendance par rapport aux lieux où se trouvent les matières premières et la main d’œuvre.


"Pour être les rois de la déconcentration, les professionnels libéraux doivent être à la hauteur des nouvelles technologiques » a rajouté Christophe Barbier. L’avenir par exemple sera de pouvoir effectuer un maximum d’actes officiels publics ou privés sans se déplacer. Il faudra également traiter les litiges, les conflits d’assurance de manière automatisée, décentralisée et déconcentrée. 


Selon lui, on assiste aujourd’hui à une autre mutation fondamentale, celle du salariat : « ça a été un combat pour des droits, pour l’égalité. Demain le salariat, c’est-à-dire simplement gagner sa vie, tirer un revenu de ses activités, ça deviendra le combat de la liberté. » Les individus vont vouloir être maîtres de leur temps de travail, de leur lieu de travail, de leur organisation entre vie privée et vie professionnelle. Pour tout cela, « je pense que l’indépendance, donc exercer une profession libérale, c’est une chance. Vous êtes une avant-garde, et de plus en plus de salariés vont exiger d’avoir l’avis des professions libérales, même s’ils n’en ont pas le statut » a assuré lorateur.


Par conséquent, face à tous ces changements sociétaux, les professions libérales doivent prendre leurs responsabilités . « Votre première responsabilité c’est celle de la modernité, les innovations technologiques, mais aussi la dérégulation » a affirmé l’intervenant.


Bien entendu, il faut rester vigilant, car « trop de liberté sauvage ça donne des inégalités insupportables et de l’injustice «  a t-il ajouté, mais a contrario" trop de focalisation sur l’égalité, ça donne l’uniformité, ça tire vers le bas".


Il ne faut donc pas avoir peur de la dérégulation, mais la faire sienne, a-t-il ainsi préconisé. C’est impératif, car tous ceux qui y résistent finissent par être emportés. L’éditorialiste a ainsi donné l’exemple des chauffeurs de taxi « balayés en quelques mois » par Uber. « Soyez les régulateurs de votre monde, sinon vous serez vaincus par quelque chose qui est plus fort que la dérégulation, c’est-à-dire le le disruptif »  a-t-il averti.


Selon Christophe Barbier, la responsabilité des professions libérales est aussi territoriale. Le télétravail représente en effet une chance pour développer des activités économiques, revitaliser les zones rurales, rebooster les périphéries qui sont souvent des dortoirs.


Les libéraux ont également une responsabilité en matière de solidarité, par rapport aux systèmes de cotisations dont on doit, à son avis, complètement revoir les fondements.


Il reste que si l’on révolutionne le modèle social, il va falloir, selon le journaliste, redéfinir plusieurs choses : qu’est-ce que le travail, quand est-ce que je travaille, et du coup qu’est-ce que l’entreprise ? Quels en seront les cadres ? « Tout cela, il va falloir le réinventer à l’aune des ruptures et des révolutions que j’ai décrites plus haut, et ça vous pourrez le faire parce que vous serez dans les échelons les plus mobiles », a expliqué lexpert.


Cette mobilité, cette indépendance totale c’est ça « le joyau, la pierrepréciseuse » du libéralisme, a-t-il poursuivi. C’est à partir de là que les rapports de force, les négociations, les relations avec l’État, avec les partenaires sociaux, avec les consommateurs, avec les fournisseurs doivent, selon lui, s’effectuer.


« Or, à construire des systèmes pyramidaux (…), on a en permanence mis en danger cette notion d’indépendance » .« La reconquête de l’indépendance (…), pour moi, c’est le défi intellectuel de l’UNAPL et des professions llibérales » a-t-il conclu.


Les invités ont ensuite rebondi sur ces propos introductifs afin d’enrichir leur débat.


 


DE NOMBREUX DEFIS : IBÉRALISATION, NUMÉRIQUE, TERRITORIALISATION, MONDIALISATION


« La libéralisation, c’est bien » a reconnu Xavier Bertrand qui s’est exprimé le premier, « mais à partir du moment où l’on ouvre totalement, qu’est-ce qui empêche des sociétés avec des capitaux beaucoup plus importants de l’emporter et pour que ce ne soit pas la financiarisation qui gouverne ? ».


S’il dit « oui » à lEurope, le président du Conseil régional des Hauts-de-France souhaite également que celle-ci ne s’occupe pas de tout, « qu’elle ne casse pas tout ».


Il y a en effet dans les professions libérales une dimension humaine qui est, selon lui, très importante, et qu’il faut absolument préserver.


« Les professions libérales, c’est toute la France. Ce n’est pas la France des métropoles contre la France des villages ou des départements européens, c’est toute la France » a-t-il déclaré. Ceci rejoint la question de l’aménagement du territoire, du lien territorial, et la préservation de notre modèle, afin d’éviter « que tout ne disparaisse avec la financiarisation ».


Sur la question des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle, Xavier Bertrand prévient : « nous devons adapter les compétences parce qu’il y a des emplois qui vont se transformer et il y en a d’autres qui vont disparaître ». Dans les prochaines années, nous allons assister, selon lui, à une transformation massive des emplois qui va obliger à changer complètement du système de formation et des compétences « pour éviter que nous ayons des bataillons de concitoyens, de salariés qui se retrouvent au chômage ».


Prenant ensuite la parole, Jean-Paul Delevoye a acquiescé à ces propos. Pour lui en effet, « nous sommes dans un monde de l’intelligence artificielle, une société de services. Et le monde de demain n’appartient ni aux anciens ni aux plus puissants, mais à celles et ceux qui sauront s’adapter ».


Pour le haut-commissaire à la réforme des retraites, à cause des nouvelles technologies, une mutation profonde se profile à l’horizon. Ce sont les gens diplômés, de la bourgeoisie moyenne, qui seront frappés de plein fouet par les changements à venir.


La technologie est en effet en train de faire disparaître les frontières. « Le vrai débat, ça ne sera pas de défendre son territoire, mais de développer une politique d’attractivité des territoires pour que les capitaux du monde entier viennent investir chez nous ».


Jean-Paul Delevoye ne voit pas d’un œil totalement positif cette mutation de la société : « nous sommes dans un moment d’ivresse, de liberté offert par les nouvelles technologies, on n’a jamais eu autant accès à l’information, et pourtant, on n’a jamais autant perdu notre sens critique ». Pour lui, si on n’y prend pas garde, on risque peu à peu basculer « dans un esclavage moderne », c’est-à-dire que ceux qui vont mobiliser nos cerveaux, modifier nos comportements, nous inciter à voter, acheter et même penser seront les géants du numérique et ceux qui posséderont les banques de données.


Puisque ce sont les Chinois et les Américains qui sont le plus en avance dans ces domaines-là, nous sommes en train de mettre sur pied les maîtres du monde de demain.





Malgré tout, à son avis, la période que nous sommes en train de vivre est fascinante, car tout est à inventer. Il faut s’adapter, « et cette adaptabilité et bien plus forte chez les libéraux que dans les structures de caractère collectif » a terminé l’orateur, laissant la parole à Corinne Lepage.


Cette dernière a développé trois sujets majeurs concernant les professionnels libéraux, et les challenges qu’ils auront à relever.


Le premier, c’est celui de l’adaptabilité. Elle-même, en tant qu’avocate, appartient à une profession qui s’est complètement transformée, « une partie de notre activité a presque disparu, notamment la recherche et la veille juridique » a-t-elle témoigné. Il a donc fallu réinventer le métier et se demander comment servir et être le plus utile possible aux clients.


« De toute façon, si nous ne nous réinventons pas, nous allons disparaître » a-t-elle assuré.


Le deuxième point concerne la compétence « sous toutes ses formes  ».  Pour la présidente de Cap21, il faut mener une réflexion permanente sur la question de la compétence professionnelle, mais aussi sur l’adaptation permanente à ce qui est demandé.


En outre, pour Maître Lepage, il y a des choses qui ne s’apprennent ni à l’école, ni à l’université, ni à l’école du barreau, mais seulement « dans la vie, dans les cabinets ».


Le troisième sujet d’importance est, selon elle, l’éthique et la relation aux autres. 


Puisqu’un grand nombre des professions libérales sont des professions réglementées, il faut certes s’adapter, mais également maintenir des règles déontologiques fortes, car c’est la condition pour instaurer la confiance avec les clients.


Sur la question de l’adaptabilité, Guy Vallancien, a opiné. Concernant son corps de métier, la médecine, il a ainsi affirmé « le médecin seul, c’est fini ».


La médecine n’est même plus pour lui libérale, mais entrepreneuriale. Il a ainsi donné l’exemple d’une maison de santé qu’il a visité à Fruges, « une initiative merveilleuse » selon ses termes, « une maison de santé inimaginable. 1 500 mètres carrés, 40 professionnels, 12 médecins, un chef de clinique envoyé de Lille, deux internes, trois externes, des studios, et tout cela pour un bassin de population de 25 000 personnes ».  


Pour ce membre de l’Académie nationale de médecine, il convient d’agir au plus vite et d’aider ces structures de proximité qui sont le terreau de la médecine de demain. « J’ai toujours eu l’indépendance parce que j’ai travaillé en groupe », a-t-il affirmé, «  et je ne crois que c’est ça la vraie leçon à donner aujourd’hui à nous tous les libéraux ».


Pour lui, il devrait également y avoir une association médicale unique de France qui fasse des propositions sur les sujets suivants : la formation (les études sont beaucoup trop longues selon lui), l’installation, l’évaluation et le financement.


Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail, a ensuite pris la parole. Selon lui, les professionnels libéraux doivent faire face à trois défis fondamentaux.


D’abord, celui des nouvelles technologies. Selon le Forum économique mondial (forum de Davos), d’ici 2025, plus de la moitié des tâches actuelles réalisées au travail seront effectuées par des machines, contre 29 % aujourd’hui. 75 millions d’emplois dans le monde seront donc supprimés.


Cependant, dans le même temps, a ajouté Bernard Vivier, 133 millions de nouveaux emplois vont émerger. Mais ce ne seront pas les mêmes métiers, avec les mêmes compétences, il faudra donc revoir entièrement les formations.


Le second défi, c’est celui des frontières mouvantes du salariat. Le directeur de l’IST a annoncé travailler en ce moment au CESE, avec le docteur Michel Chassang, sur les nouvelles formes du travail indépendant, et notamment les microentreprises.


Aujourd’hui en effet, ce régime concerne environ 700 000 individus, pratiquement autant que l’ensemble des professions libérales.


Or, ces personnes-là rêvent d’une existence que vivent déjà les libéraux, c’est-à-dire un travail libre et indépendant. C’est pourquoi, selon l’expert, nous nous dirigeons vers « une évolution de notre organisation du travail qui va nécessiter de bousculer nos habitudes. Bien évidemment toutes les règles fiscales et sociales, les systèmes de retraite tout cela va être bouleversé » a-t-il prédit.


Le troisième point concerne la représentation collective. Ce qu’il entend par là, c’est qu’il faut absolument redéfinir, structurer ce qui appartient au monde du travail et ce qui ne peut  « appartenir à l’État tout puissant ».
Or, la négociation contractuelle, la négociation collective, la formation professionnelle, les retraites, le chômage tout cela est en train d’
être étatisé. Les acteurs, les structures collectives qui organisent le marché du travail sont en train de disparaître, et c’est, selon lui, une des causes de la crise actuelle. Il n’y a plus d’intermédiaires entre l’État et les citoyens.


Le docteur Michel Chassang a totalement approuvé ces propos. Pour lui aussi les corps intermédiaires sont indispensables. Or, qu’est-ce qu’on en a fait ? s’est-il interrogé.


Les professions libérales, à dimension humaine, qui sont quotidiennement au contact de la population, donc intermédiaires, n’ont pas été écoutées. Or, celles-ci ont compris depuis longtemps ce qui est en train de se passser. « Nous subissons tout de plein fouet chaque fois qu’il y a une fracture qui se fait jour », a soutenu le président de l’UNAPL.


En effet, tous les jours, un client vient en consultation et n’a pas d’argent pour payer. C’est encore bien souvent à un professionnel libéral que les gens s’adressent quand ils ont des soucis pour remplir un papier administratif (notaire, avocat, expert-comptable…). On peut donc dire, selon le docteur Chassang, que les libéraux jouent un « rôle d’amortisseur social », car ils aident les gens à mieux vivre.


Or, pour que ces professionnels puissent remplir ce rôle, il leur faut des conditions de réussite.
La première, c’est qu’ils doivent être indépendants vis-à-vis de tous les pouvoirs qui les entourent.


La deuxième condition de réussite, c’est la responsabilité. Cela signifie le fait d’établir des actes en étant pleinement responsable.


Enfin, les libéraux doivent exercer à proximité, d’où la volonté des pouvoirs publics de réguler la démographie de ces professionnels (notaires, médecins…). C’est pourquoi, selon le président de l’UNAPL, la liberté d’entreprendre nécessite une grande réglementation. La dérégulation c’est bien, a-t-il reconnu, mais celle-ci doit être contrôlée, pour ne pas mettre en péril la protection du public, des usagers, et des patients.


Concernant la question du numérique, Michel Chassang a prévenu : « ça reste quand même qu’un outil, et rien d’autre, au service de l’humain ». Attention donc à ne pas laisser au bord de la route « les plus faibles d’entre nous ». Et cest, selon son opinion, l’enseignement qu’il faudrait peut-être tirer de la crise des « gilets jaunes » que connaît le pays.


 


LE POINT DE VUE DES LIBERAUX SUR LA CRISE SOCIALE ACTUELLE


Lors de cette manifestation, les experts ont été amenés à donner leur point de vue sur la crise sociale et économique que traverse l’Hexagone.


Tous ont été unanimes : la situation actuelle est inédite.


Ainsi, pour Jean-Paul Delevoye, nous sommes à un moment clé de notre Hstoire. On assiste en effet à une fragmentation de notre corps social. "Il y a un monde de l’élite qui est dans le monde, et un monde de désespérance localisé. On observe la localisation des échecs et l’évasion de la réussite ».


Pour ce dernier, la réponse est européenne. Rien ne peut se résoudre sans une vision d’un projet de société. Dans quel type de société voulons-nous vivre ? s’est-il demandé.


D’abord, selon lui, il est nécessaire que l’on puisse vivre du fruit de son travail. Il faut également réfléchir aux notions de solidarité et de partage, en effet, «  il faut que nous nous réappropriions et le sens de l’impôt et le sens de la cotisation » a-t-il préconisé. En outre, « le sens de la solidarité passe par la définition d’un bien commun qui doit être au cœur de tout projet politique » a -t-il professé.


Guy Vallancien, le fondateur de CHAM, a été davantage pessimiste. Ce que révèlent la crise actuelle, et le « ras-le-bol » de tous ces gens dans la rue, c’est que « la vieille Europe est en train de s’écrouler. C’est la fin d’une civilisation ». Selon lui en effet, « le monde blanc, chrétien, européen est mort. Nous sommes gras et assistés. Nous vivons dans un climat génial dont on n’a rien à faire, et nous sommes en train de le payer ».


Il faut donc s’adapter de toute urgence au monde qui arrive, sinon, « nous deviendrons le Café de flore du monde » a-t-il assuré.


L’enjeu est d’importance, car la jeune génération en a marre et serait même prête à accepter un régime plus autoritaire au prix d’une amélioration de son statut.


Pour Xavier Bertrand également, la crise des « gilets jaunes » indique qu’il y a une grosse faille dans notre système : « quand dans une société, vous travaillez et que vous narrivez pas à vous en sortir, alors cest que cette société va droit dans le mur ». Pour lui, les gilets jaunes sur les ronds-points ne font pas la manche, « ils bossent, mais n’y arrivent plus ».


C’est pourquoi, à son avis, avant de faire des projets d’avenir, il faut répondre à ce malaise national, « le malaise d’une société dans laquelle on fait de beaux discours sur le travail, mais quand on travaille, on ne s’en sort pas ».


Quant à Corinne Lepage, elle a pointé du doigt les inégalités et la mauvaise répartition des richesses dans le monde. Faisant référence au coefficient de Gini (mesure statistique développée par le statisticien italien Corrado Gini) qui mesure l’inégalité des revenus dans un pays, elle s’est indignée du fait que celui-ci se soit accru « dans des proportions délirantes ».


Ainsi, a-t-elle précisé, les États-Unis sont revenus à une inégalité de richesses antérieure à la Première Guerre mondiale. « Tous les efforts de progrès social dans le sens d’une plus grande égalité ont été anéantis par les trente ans qu’on vient de vivre »  s’est-elle désolée.


Pire encore, dans un univers de communication, le sentiment d’injustice est encore plus prégnant, car les individus se comparent. Ils peuvent voir comment d’autres personnes vivent pas très loin de chez eux, alors qu’eux-mêmes ne peuvent finir leur fin de mois.


Ce décalage insupportable explique en partie, selon l’ancienne ministre, la montée des populismes en Europe. Il est donc urgent de trouver des solutions européennes à ces questions.


Face à cette crise sans précédent, « ne faudrait-il pas revoir toute notre organisation sociale pour que ça soit plus équitable ? » a demandé Yves Thréard, directeur adjoint de la rédaction du Figaro, à ses invités. « L’État a décidé que les entreprises pouvaient donner une prime aux salariés, n’avez-vous pas l’impression qu’il s’est déchargé de son rôle de régulateur social sur elles ? » a-t-il ajouté.


Xavier Bertrand a tout d’abord précisé que cette prime est à l’origine une idée des entrepreneurs eux-mêmes. Leurs conditions cependant étaient que celle-ci soit non obligatoire, libre au niveau du montant et complètement défiscalisée.


« Je pense que ce système de primes nous permet de rentrer dans une logique où, pardonnez-moi, les rapaces que sont l’URSSAF et le fisc, ne se jettent pas sur toutes les sommes qui sortent de l’entreprise » a-t-il expliqué.


Le but de cette « récompense » n’est pas de demander aux entreprises de faire le boulot de l’État, a ajouté le président du Conseil régional des Hauts-de-France, car cette dernière n’est qu’une réponse partielle aux problèmes d’aujourd’hui. Dans les mois qui viennent, il faudra une remise à plat fiscale complète dans notre pays.


Pour Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, ce bonus a pour objectif de « redonner sens au fait que l’entreprise est une communauté de destins communs entre salariés, patrons et actionnaires »  Cela est d’autant plus important qu’il existe aujourd’hui un conflit d’intérêts entre les trois.


À son avis, il est urgent en France de mener une réflexion globale sur les politiques d’intéressements et de participation, pour donner aux salariés « le juste fruit d’une contribution à l’effort et à la réussite collective que représente le résultat d’une entreprise ».


Quant à l’outil fiscal, Jean-Paul Delevoye a rappelé que lors de la Révolution française, quand on a voulu créer le citoyen, on a donné à chaque individu deux armes, le droit de vote et l’impôt. Or, « aujourd’hui les gens votent de moins en moins, et ceux qui paient l’impôt le contestent », a-t-il regretté.


Selon lui, l’impôt est un outil qui donne un sens à la communauté, mais nous avons perdu de vue cette finalité.


Quelle en est la raison ? À son avis, nous n’avons pas, dans notre système éducatif français, suffisamment informé les élèves sur ce qu’est la protection sociale à la française (une des meilleures au monde) et le prix de cette solidarité collective.


Un des remèdes aux tensions que traversent notre pays serait, par conséquent, d’essayer de réfléchir à ce qu’est la solidarité intra et infra générationnelle, autrement "nous allons nourrir  "chacun pour soi" et l’assurance individuelle », a prédit l’expert.


Comment peuvent agir, à leur niveau, les professions libérales pour calmer les tensions sociales actuelles ?


Pour Bernard Vivier, « nous avons besoin d’organiser une relation conjuguée entre les salariés (16 millions de salariés du privé) et les indépendants (3 millions de professions indépendantes) par rapport à un appareil d’État qui continue à grossir, notamment dans la fonction publique territoriale ».


L’autre solution consiste, pour lui, à construire une Europe à travers des regroupements professionnels (établir des relations entre les professions libérales européennes).


Il est nécessaire, selon lui, de démontrer à chacun et chacune que l’Europe sociale est une chance, « et c’est à nous de [la] construire, car je pense que le monde des salariés est beaucoup plus difficile à convaincre que les professions libérales », a-t-il déclaré.


 


BILAN DES DÉBATS


En conclusion de cet après-midi de débats, Michel Chassang, président de l’UNAPL, a fait un bilan des discussions qui ont eu lieu lors de ce 26e congrès. 


Le docteur Chassang est d’abord revenu sur la « crise majeure et inédite qui secoue les territoires et des villes », et qui traduit selon lui la juxtaposition de fractures au sein de la société.


À son avis, les revendications des gilets jaunes sont légitimes (pouvoir d’achat insuffisant et surtaxation), bien que, a-t-il précisé, rien ne saurait justifier le recours à la violence. D’autant plus que pour les professions indépendantes, c’est la double peine, a-t-il expliqué. Elles subissent les augmentations de prix, mais aussi les conséquences des blocages.


Dans cette crise, a-t-il poursuivi, les professions libérales, qui sont des corps intermédiaires, peuvent jouer un rôle majeur.


En effet, à travers leurs activités, les libéraux rencontrent quotidiennement plus de cinq millions de personnes. « Cette proximité fait de nous les témoins des difficultés croissantes vécues par nombre de Français », a-t-il certifié. Cest pourquoi, à de nombreuses reprises, les professionnels libéraux ont demandé à ce que soient fortifiées leurs professions, « non seulement pour nous aider à mieux servir, mais aussi pour développer l’emploi de proximité et préserver le lien social ».


En outre, au CESE, a ajouté Michel Chassang, une commission temporaire va être créée, avec notamment la mise en place d’un tirage au sort de citoyens qui participeront aux travaux du Conseil. « Des ateliers citoyens », et des auditions filmées de « gilets jaunes » et de personnes représentatives de ce mouvement seront également organisés. Une plateforme citoyenne vient en plus d’être lancée au CESE.


Concernant les réformes et des défis qui attendent les professions libérales, Michel Chassang est revenu, entre autres, sur la loi Pacte : « Nous tenons à saluer certains aspects de la loi Pacte », mais « celle-ci reste assez décevante pour nos secteurs d’activité » a-t-il commenté.


Les points positifs concernent l’épargne salariale et l’épargne retraite, avec la disparition du forfait social de 20 % qui « était un handicap pour notre développement », a précisé le président de l’UNAPL. Autre amélioration : la simplification de la forme sociétale en EIRL, laquelle pourrait devenir la forme sociétale par défaut dans les petites entreprises.


Cependant, les déconvenues des libéraux sont nombreuses. Ainsi, les bénéfices de l’entreprise individuelle sont toujours intégralement soumis à taxation fiscale par l’impôt sur le revenu et à taxation sociale. Pour le docteur Chassang, « cela témoigne d’un certain mépris de la part de l’administration qui règne en maître ».


À propos du prélèvement à la source, celui-ci va pénaliser dès le mois de janvier les petites entreprises, a-t-il regretté. Quant à la taxe sur les salaires, elle pénalise l’emploi, mais aussi la hauteur des salaires dans les secteurs des professions libérales, de santé et de l’assurance, a conclu Michel Chassang.


 


Maria-Angélica Bailly


2019-4439


0 commentaire
Poster

Nos derniers articles