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27e rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie : stabilisation des préjugés racistes

27e rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie : stabilisation des préjugés racistes
Publié le 13/05/2018 à 09:30

La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDGH) a présenté au Premier ministre, Édouard Philippe, le 21 mars dernier, son 27e rapport sur la lutte contre le racisme sous toutes ses formes. Alors que le niveau des préjugés racistes se stabilise, le rapport souligne toutefois « une progression inquiétante des actes les plus violents ».


 


« L’échange fécond avec le Premier ministre nous a permis de rediscuter des attentes de la communauté internationale exprimées lors de l’Examen périodique universel à l’ONU » a souligné la secrétaire générale de la CNCDH, Magali Lafourcade, à la sortie de sa rencontre avec le Premier ministre. Accompagnées de leur présidente, Christine Lazerges, les représentantes de l’Institution nationale française des droits de l’homme ont ainsi présenté au chef du gouvernement l’édition 2017 du rapport sur la lutte contre le racisme. Cette entrevue fait écho avec la présentation par Édouard Philippe, le 19 mars dernier, du Plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme (voir encadré). Ce travail collectif qui a permis de réaliser le 27e rapport sur la lutte contre le racisme met en lumière le « chiffre noir », soit le taux extrêmement faible (3 %) de personnes victimes de racisme signalant cet incident. Aussi, la CNCDH formule-t-elle dans ce rapport des recommandations visant notamment à « promouvoir un apprentissage actif de la citoyenneté à l’école et à lutter contre le déferlement de haine sur Internet ».


 


Stabilisation de l’indice de tolérance


En premier lieu, le rapport 2017 souligne une stabilisation de l’indice de tolérance – qui permet de mesurer l’évolution des préjugés -, s’élevant à 64 points cette année (à noter : plus l’indice se rapproche de 100, plus il révèle un haut niveau de tolérance). En augmentation durant trois années consécutives (+10 points de 2013 à 2016), cette stabilité est toutefois entachée par une légère baisse à l’égard de la population noire (-3 points) et des Roms (-2 points), ces derniers demeurant la minorité la moins acceptée. À l’inverse, les minorités juive, noire et asiatique restent les mieux considérées. La CNCDH se félicite toutefois de ces chiffres : en effet, une régression de la tolérance aurait pu être constatée à la vue du contexte général (chômage omniprésence des thèmes sécuritaires dans les médias, montée du populisme en Europe, crise migratoire, et période d’élection favorisant les prises de paroles « virulentes »). LA CNCDH se questionne toutefois. Cette stagnation ne marquerait-elle pas « un plateau de tolérance » atteint par la France ?


 



 


La délinquance à tendance raciste en baisse


Alors que les actes racistes ayant fait l’objet d’un signalement aux forces de police et de gendarmerie sont en baisse (750 plaintes déposées chaque mois « en raison de la race, de l’origine, de l’ethnie ou de la religion », soit 8 700 enregistrées sur l’année), on constate une progression des actes les plus violents qui inquiète la CNCDH. Dans ce cadre, la population juive semble être la plus touchée.


Au-delà des actes violents, la CNCDH rappelle que le racisme s’exprime plus fréquemment « sous des formes subtiles », à savoir des regards hostiles, des contrôles de police réguliers, etc. Aussi, la CNCDH met en garde contre le risque du racisme ordinaire : « Si la norme sociale antiraciste s’est imposée en France (autrement dit la majorité de la population condamne par principe le racisme), les préjugés racistes sont loin d’avoir disparu ; les argumentaires ont simplement évolué » souligne-t-elle. Aussi, chaque année – sur la période 2012-2016, 690 000 personnes âgées de quatorze ans ou plus ont déclaré avoir subi des injures à caractère raciste, et 71 000 ont subi des violences à caractère raciste. Mais ces chiffres sont à replacer dans un contexte ; loin d’être représentatifs, ces chiffres emphatisent de la sous-déclaration des faits infractionnels rapportés aux autorités, dit « chiffre noir ». « Ainsi, le taux de plainte est estimé à 3 % pour les injures racistes (…) et à 30 % en cas de violences de cette nature » souligne le rapport. La CNCDH alerte ainsi les pouvoirs publics : « Inciter au dépôt de plainte, professionnaliser la mission d’accueil et encourager la poursuite d’investigations approfondies devraient constituer des priorités de l’action publique. ». L’institution recommande ainsi la désignation d’enquêteurs référents dans les commissariats et les compagnies de gendarmerie, d’élargir le périmètre d’actions des référents LGBT déjà nommés, ou une tendance à déconseiller l’enregistrement d’une main courante, lui préférant le dépôt de plainte.


Au travers son rapport, la CNCDH rappelle qu’« Au-delà d’une simple question morale, la lutte contre le racisme est une mission d’utilité publique, puisque le racisme est un renoncement aux valeurs républicaines et une menace pour la démocratie » et est ainsi « convaincue que la lutte contre le racisme repose avant tout sur la déconstruction des préjugés et des idées préconçues ». Le rapport insiste enfin sur l’importance de l’éducation et de la culture comme « leviers pour déconstruire les préjugés et en conséquences lutter citre le racisme. Pour mieux s’approprier les valeurs de la République, il faut mieux les comprendre ».



 Les recommandations de la CNCDH


1. La CNCDH invite les pouvoirs publics à former tous les agents exerçant une mission de service public à la lutte contre le racisme et les discriminations, en évaluant régulièrement les modules de formation proposés pour s’assurer que les techniques et les choix pédagogiques retenus sont adaptés aux objectifs poursuivis et aux attentes des bénéficiaires.


2. La CNCDH recommande au gouvernement de soutenir l’organisation de campagnes de mobilisation et de sensibilisation grand public, de renforcer le soutien apporté aux acteurs de terrain, qui agissent au plus près des populations, et de consolider l’ancrage territorial des politiques de lutte contre le racisme (notamment dans le cadre des comités opérationnels de lutte contre le racisme et l’antisémitisme).


3. La CNCDH encourage le développement d’indicateurs alternatifs aux statistiques administratives, du type enquête de victimisation ou de délinquance autodéclarée, de manière à établir avec précision les caractéristiques des populations d’agresseurs et de victimes et à identifier les différents mobiles de la haine de l’autre, ce afin d’orienter l’action publique. Elle appelle également les pouvoirs publics à soutenir la recherche sur ces thématiques, et notamment la réalisation d’une nouvelle enquête « Trajectoires et Origines », inspirée de celle de 2008. Ces différentes enquêtes devraient inclure les outre-mer.


4. La CNCDH préconise la désignation, au sein des commissariats et des compagnies de gendarmerie, d’un enquêteur référent chargé de la lutte contre le racisme et les discriminations pour professionnaliser l’accueil des victimes et la réception des plaintes. Elle appelle en outre le ministère de l’Intérieur à donner aux enquêteurs des consignes visant à proscrire (ou vivement déconseiller) l’enregistrement des mains courantes pour les infractions à caractère raciste, ainsi qu’à encourager des investigations approfondies.


5. La CNCDH appelle le ministère de l’Éducation nationale à mettre en œuvre les recommandations formulées dans son rapport 2016. Elle avait notamment insisté sur une double nécessité : accroître les efforts de formation (notamment en matière d’éducation aux médias); promouvoir un apprentissage plus actif de la citoyenneté (pratiques collaboratives entre élèves, argumentation, engagement…), voie qui permet à l’élève de mieux comprendre et s’approprier les valeurs de la République. La réalisation d’un bilan du nouvel enseignement moral et civique, ainsi que de l’ensemble du parcours citoyen, serait opportune.


6. La CNCDH préconise de suivre la mise en œuvre de l’action de groupe en matière de discriminations et, le cas échéant, de réfléchir aux améliorations souhaitables pour la rendre pleinement effective.


7. La CNCDH rappelle la nécessité pour la France de mettre en œuvre les recommandations des organes des traités relatives à la problématique de l’intersectionnalité (discriminations pluridimensionnelles). Pour ce faire, il serait souhaitable que la France mène une réflexion sur cette approche plus ambitieuse des discriminations et repense son droit, ou à défaut, la mise en œuvre de son droit, en ne perdant jamais de vue le vécu des victimes.


8. La CNCDH recommande que les services de l’État élaborent et pilotent une stratégie territoriale de résorption des bidonvilles, en proposant des solutions alternatives de relogement et un accompagnement global des personnes vers le droit commun, en concertation avec l’ensemble des acteurs concernés (personnes en situation de logement précaire, élus, associations, collectifs de soutien, services de l’État).


9. La CNCDH appelle à la mise en place d’une action globale et coordonnée permettant à tous les enfants d’être scolarisés, quelle que soit leur origine, en prenant appui sur les recommandations précises et complémentaires formulées dans son rapport.


10. La CNCDH appelle les autorités investies du pouvoir hiérarchique à encadrer davantage les pratiques de contrôle :


en mettant en place un dispositif de suivi des contrôles d’identité dans les unités de police et de gendarmerie ;


en engageant une réflexion, d’une part, sur une réforme possible des critères d’évaluation du travail policier (pour prendre davantage en compte le respect de la déontologie et les compétences relationnelles) et, d’autre part, de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 qui conditionne l’octroi de crédits budgétaires aux résultats obtenus, dans la mesure où il est difficile de «chiffrer» les effets de l’activité policière en termes d’efficacité et d’impact sur la population ;


en encourageant les encadrants à faire un point régulier sur les contrôles d’identité réalisés par les patrouilleurs, notamment lors des briefings et débriefings.


11. La CNCDH invite les pouvoirs publics à engager une réflexion approfondie sur les politiques publiques de sécurité, sur les méthodes d’évaluation qui mesurent de manière chiffrée la performance policière et sur les missions attribuées par le politique à la police. Cette réflexion pourrait être menée à l’aune des critères d’efficacité, de nécessité et de nuisance, tels que définis par l’ECRI dans sa recommandation de politique générale n° 11 sur la lutte contre le racisme et la discrimination raciale dans les activités de police. La réflexion devrait également porter sur l’organisation du travail policier au sein des différents corps d’appartenance, sur la conception même du «maintien de l’ordre» en France, et sur les moyens de réintroduire au sein du travail policier la recherche de la proximité avec la population.


12. La CNCDH recommande au gouvernement de ratifier le protocole n° 12 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, en date du 4 novembre 2000, prévoyant une interdiction générale de la discrimination, ainsi que la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, en date du 18 décembre 1990, prohibant toute discrimination en matière de droits fondamentaux à leur égard.


 


Constance Périn


 


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