La Commission nationale consultative des
droits de l’homme (CNCDGH) a présenté au Premier ministre, Édouard Philippe, le
21 mars dernier, son 27e rapport sur la lutte contre le racisme sous
toutes ses formes. Alors que le niveau des préjugés racistes se stabilise, le
rapport souligne toutefois « une progression
inquiétante des actes les plus violents ».
« L’échange
fécond avec le Premier ministre nous a permis de rediscuter des attentes
de la communauté internationale exprimées lors de l’Examen périodique universel
à l’ONU » a souligné la secrétaire générale de la CNCDH, Magali
Lafourcade, à la sortie de sa rencontre avec le Premier ministre.
Accompagnées de leur présidente, Christine Lazerges, les représentantes de
l’Institution nationale française des droits de l’homme ont ainsi présenté au
chef du gouvernement l’édition 2017 du rapport sur la lutte contre le racisme. Cette entrevue fait
écho avec la présentation par Édouard Philippe, le 19 mars dernier, du
Plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme (voir encadré). Ce
travail collectif qui a permis de réaliser le 27e rapport sur
la lutte contre le racisme met en lumière le « chiffre noir »,
soit le taux extrêmement faible (3 %) de personnes victimes de racisme
signalant cet incident. Aussi, la CNCDH formule-t-elle dans ce rapport des recommandations
visant notamment à « promouvoir un apprentissage actif de la
citoyenneté à l’école et à lutter contre le déferlement de haine sur
Internet ».
Stabilisation de l’indice de
tolérance
En
premier lieu, le rapport 2017 souligne une stabilisation de l’indice de tolérance – qui permet
de mesurer l’évolution des préjugés -, s’élevant à 64 points cette année
(à noter : plus l’indice se rapproche de 100, plus il révèle un haut
niveau de tolérance). En augmentation durant trois années consécutives
(+10 points de 2013 à 2016),
cette stabilité est toutefois entachée par une légère baisse à l’égard de la
population noire (-3 points) et des Roms (-2 points), ces derniers
demeurant la minorité la moins acceptée. À l’inverse, les minorités juive,
noire et asiatique restent les mieux considérées. La CNCDH se félicite
toutefois de ces chiffres : en effet, une régression de la tolérance
aurait pu être constatée à la vue du contexte général (chômage omniprésence des
thèmes sécuritaires dans les médias, montée du populisme en Europe, crise
migratoire, et période d’élection favorisant les prises de paroles
« virulentes »). LA CNCDH se questionne toutefois. Cette stagnation
ne marquerait-elle pas « un plateau de tolérance » atteint par
la France ?
La délinquance à tendance raciste
en baisse
Alors que
les actes racistes ayant fait l’objet d’un signalement aux forces de police et
de gendarmerie sont en baisse (750 plaintes déposées chaque mois « en
raison de la race, de l’origine, de l’ethnie ou de la religion », soit
8 700 enregistrées sur l’année), on constate une progression des
actes les plus violents qui inquiète la CNCDH. Dans ce cadre, la population
juive semble être la plus touchée.
Au-delà des
actes violents, la CNCDH rappelle que le racisme s’exprime plus fréquemment
« sous des formes subtiles », à savoir des regards hostiles, des
contrôles de police réguliers, etc. Aussi, la CNCDH met en garde contre le
risque du racisme ordinaire : « Si la norme sociale antiraciste
s’est imposée en France (autrement dit la majorité de la population condamne
par principe le racisme), les préjugés racistes sont loin d’avoir
disparu ; les argumentaires ont simplement évolué »
souligne-t-elle. Aussi, chaque année – sur la période 2012-2016,
690 000 personnes âgées de quatorze ans ou plus ont déclaré
avoir subi des injures à caractère raciste, et 71 000 ont subi des violences à
caractère raciste. Mais ces chiffres sont à replacer dans un contexte ;
loin d’être représentatifs, ces chiffres emphatisent de la sous-déclaration des
faits infractionnels rapportés aux autorités, dit « chiffre noir ».
« Ainsi, le taux de plainte est estimé à 3 % pour les injures
racistes (…) et à 30 % en cas de violences de cette nature »
souligne le rapport. La CNCDH alerte ainsi les pouvoirs publics : « Inciter
au dépôt de plainte, professionnaliser la mission d’accueil et encourager la
poursuite d’investigations approfondies devraient constituer des priorités de
l’action publique. ». L’institution recommande ainsi la désignation
d’enquêteurs référents dans les commissariats et les compagnies de gendarmerie,
d’élargir le périmètre d’actions des référents LGBT déjà nommés, ou une
tendance à déconseiller l’enregistrement d’une main courante, lui préférant le
dépôt de plainte.
Au travers
son rapport, la CNCDH rappelle qu’« Au-delà d’une simple question
morale, la lutte contre le racisme est une mission d’utilité publique, puisque
le racisme est un renoncement aux valeurs républicaines et une menace pour la
démocratie » et est ainsi « convaincue que la lutte contre le
racisme repose avant tout sur la déconstruction des préjugés et des idées
préconçues ». Le rapport insiste enfin sur l’importance de l’éducation
et de la culture comme « leviers pour déconstruire les préjugés et en
conséquences lutter citre le racisme. Pour mieux s’approprier les
valeurs de la République, il faut mieux les comprendre ».
Les recommandations de la CNCDH
1. La CNCDH
invite les pouvoirs publics à former tous les agents exerçant une mission de
service public à la lutte contre le racisme et les discriminations, en
évaluant régulièrement les modules de formation proposés pour s’assurer que les
techniques et les choix pédagogiques retenus sont adaptés aux objectifs
poursuivis et aux attentes des bénéficiaires.
2. La CNCDH
recommande au gouvernement de soutenir l’organisation de campagnes de
mobilisation et de sensibilisation grand public, de renforcer le soutien
apporté aux acteurs de terrain, qui agissent au plus près des populations,
et de consolider l’ancrage territorial des politiques de lutte contre le
racisme (notamment dans le cadre des comités opérationnels de lutte contre
le racisme et l’antisémitisme).
3. La CNCDH
encourage le développement d’indicateurs alternatifs aux statistiques
administratives, du type enquête de victimisation ou de délinquance
autodéclarée, de manière à établir avec précision les caractéristiques des
populations d’agresseurs et de victimes et à identifier les différents mobiles
de la haine de l’autre, ce afin d’orienter l’action publique. Elle appelle
également les pouvoirs publics à soutenir la recherche sur ces thématiques, et
notamment la réalisation d’une nouvelle enquête « Trajectoires et
Origines », inspirée de celle de 2008. Ces différentes enquêtes
devraient inclure les outre-mer.
4. La CNCDH
préconise la désignation, au sein des commissariats et des compagnies de
gendarmerie, d’un enquêteur référent chargé de la lutte contre le racisme
et les discriminations pour professionnaliser l’accueil des victimes et la
réception des plaintes. Elle appelle en outre le ministère de l’Intérieur à donner
aux enquêteurs des consignes visant à proscrire (ou vivement déconseiller)
l’enregistrement des mains courantes pour les infractions à caractère raciste,
ainsi qu’à encourager des investigations approfondies.
5. La CNCDH
appelle le ministère de l’Éducation nationale à mettre en œuvre les
recommandations formulées dans son rapport 2016. Elle avait notamment
insisté sur une double nécessité : accroître les efforts de formation (notamment
en matière d’éducation aux médias); promouvoir un apprentissage plus actif
de la citoyenneté (pratiques collaboratives entre élèves, argumentation,
engagement…), voie qui permet à l’élève de mieux comprendre et s’approprier les
valeurs de la République. La réalisation d’un bilan du nouvel enseignement
moral et civique, ainsi que de l’ensemble du parcours citoyen, serait
opportune.
6. La CNCDH
préconise de suivre la mise en œuvre de l’action de groupe en matière de
discriminations et, le cas échéant, de réfléchir aux améliorations
souhaitables pour la rendre pleinement effective.
7. La CNCDH rappelle la
nécessité pour la France de mettre en œuvre les recommandations des organes
des traités relatives à la problématique de l’intersectionnalité (discriminations
pluridimensionnelles). Pour ce faire, il serait souhaitable que la France mène
une réflexion sur cette approche plus ambitieuse des discriminations et repense
son droit, ou à défaut, la mise en œuvre de son droit, en ne perdant jamais de
vue le vécu des victimes.
8. La CNCDH
recommande que les services de l’État élaborent et pilotent une stratégie
territoriale de résorption des bidonvilles, en proposant des solutions
alternatives de relogement et un accompagnement global des personnes vers le
droit commun, en concertation avec l’ensemble des acteurs concernés (personnes
en situation de logement précaire, élus, associations, collectifs de soutien,
services de l’État).
9. La CNCDH
appelle à la mise en place d’une action globale et coordonnée permettant à
tous les enfants d’être scolarisés, quelle que soit leur origine, en
prenant appui sur les recommandations précises et complémentaires formulées
dans son rapport.
10. La CNCDH
appelle les autorités investies du pouvoir hiérarchique à encadrer davantage
les pratiques de contrôle :
• en mettant
en place un dispositif de suivi des contrôles d’identité dans les unités de
police et de gendarmerie ;
• en
engageant une réflexion, d’une part, sur une réforme possible des critères
d’évaluation du travail policier (pour prendre davantage en compte le respect
de la déontologie et les compétences relationnelles) et, d’autre part, de la
loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 qui conditionne l’octroi de
crédits budgétaires aux résultats obtenus, dans la mesure où il est difficile
de «chiffrer» les effets de l’activité policière en termes d’efficacité et
d’impact sur la population ;
• en
encourageant les encadrants à faire un point régulier sur les contrôles
d’identité réalisés par les patrouilleurs, notamment lors des briefings et
débriefings.
11.
La CNCDH
invite les pouvoirs publics à engager une réflexion approfondie sur les
politiques publiques de sécurité, sur les méthodes d’évaluation qui mesurent de
manière chiffrée la performance policière et sur les missions attribuées par le
politique à la police. Cette réflexion pourrait être menée à l’aune des
critères d’efficacité, de nécessité et de nuisance, tels que définis par l’ECRI
dans sa recommandation de politique générale n° 11 sur la lutte contre le racisme et
la discrimination raciale dans les activités de police. La réflexion devrait
également porter sur l’organisation du travail policier au sein des différents
corps d’appartenance, sur la conception même du «maintien de l’ordre» en France,
et sur les moyens de réintroduire au sein du travail policier la recherche de
la proximité avec la population.
12.
La CNCDH
recommande au gouvernement de ratifier le protocole n° 12 additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme, en date du 4 novembre 2000, prévoyant une interdiction
générale de la discrimination, ainsi que la Convention internationale sur la
protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur
famille, en date du 18 décembre 1990, prohibant toute discrimination
en matière de droits fondamentaux à leur égard.
Constance Périn