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50 ans de barreau de Maître Christian Huglo

50 ans de barreau de Maître Christian Huglo
Publié le 20/01/2019 à 09:30

Famille, amis, collègues, relations, tous sont venus entourer Christian Huglo et partager une soirée particulière en l’honneur de l’avocat, d’esprit et de convictions, qui célébrait ses 50 années de Barreau. Le JSS publie sons discours à l’occasion de cet événement.



« 4 spécificités de l’Ordre », par Maître Christian Huglo


(…)


Je tiens à vous remercier tout d’abord, Madame la Bâtonnière, d’avoir organisé cette cérémonie qui doit être considérée comme une fête, non pour moi, mais une fête pour l’Ordre tout entier.


Mes premiers propos iront naturellement à notre profession à laquelle je dois tant : elle me paraît présenter quatre caractéristiques essentielles dont j’ai pu, comme tous, tirer bénéfice.


• La première est que notre Ordre est un lieu de tradition et d’exigence ; les règles éthiques qui nous gouvernent nous orientent vers le service des autres, ce qui permet d’inciter naturellement chacun de ses membres, à donner le meilleur de lui-même. J’ai tenté de le faire.


• La deuxième est celle d’être un lieu de fraternité professionnelle. L’amitié est facilitée avec ceux qui partagent la même éthique et le même idéal ; j’ai pu apprécier cela d’un peu plus loin en fréquentant le Conseil de l’Ordre par personne interposée, grâce à l’élection de Corinne Lepage en 1985.


• La troisième caractéristique est celle d’être un lieu de transmission. Après en avoir profité grâce à mes maîtres, Paul-François Ryziger, Jean-Louis Lachaud et Jean-Marie Michaud, j’ai pu apporter ma part en développant la technique du contentieux administratif qui était peu connue et surtout peu pratiquée par les avocats dans les années 1970.


• La quatrième (et dernière) est celle d’un lieu d’innovation : ainsi, nous pouvons facilement admettre qu’un revirement de jurisprudence vient souvent de l’argumentation de l’avocat en charge du dossier. Heureusement, le champ d’action de l’avocat ne se réduit pas cependant au seul domaine du contentieux. J’y reviendrai.


La vérité est que le métier ne s’exerce pas seul.


Aucun des grands procès que nous avons menés n’aurait pu être réalisé sans le concours de plusieurs éléments ou facteurs qui doivent constamment être mis ensemble.


Le premier, très important, voire essentiel, est la cohésion de toute une équipe. Je pense ici à ceux qui ont travaillé avec nous et tous ceux qui le font encore.


[…]


En second lieu, au-delà des textes, le recours à la doctrine est toujours nécessaire, et la plus classique est totalement indispensable dans un secteur d’évolution constante comme le sont le droit public et le droit de l’environnement.


On y trouve le meilleur exemple dans la conception et la réalisation de l’affaire de l’Amoco Cadiz, qui nous a occupés 14 ans durant. Je dois beaucoup au professeur Emmanuel du Pontavice, à l’aide déterminante du professeur Paul Lagarde et surtout au concours plus qu’efficace du doyen Georges Vedel.


Sans doute, il fallait être un peu fou pour s’attaquer aux États-Unis devant le juge fédéral, mais nous n’avions pas d’autres solutions. Sachez qu’aucun procès d’environnement fait par des étrangers aux États-Unis contre les multinationales américaines n’a jamais réussi (affaire Bhopal/Ixtoc one).


[…]


En troisième lieu, dans le domaine de l’environnement, rien ne peut être considéré comme solide sans le recours aux experts. Les travaux des professeurs Drach/Glémarec/Chassé m’ont servi de repères pour les affaires de pollution marine et le traité du professeur Ramade sur l’écologie appliquée m’a toujours servi de bible.


[…]


Le quatrième facteur est à mes yeux totalement substantiel.


Nous sommes là pour promouvoir la justice certes, mais aussi pour aider la société à s’adapter au monde qui vient, et donc l’aider à évoluer pour qu’elle puisse, à son tour, montrer la voie à suivre (ou au moins à ne pas suivre).


Aussi, devons-nous admettre aisément que sans les magistrats qui rendent vivante la justice, il n’y a pas d’innovation possible.


C’est la jurisprudence qui a créé le droit de l’environnement, ou au moins en a posé les premiers jalons, c’est la jurisprudence également qui fait le droit public.


Pourquoi cette référence ?


C’est que la décision de justice a une fonction éthique, celle d’être une Parole, avec un grand « P », et sur le plan technique, d’être parfaitement construite car elle est rendue suivant ce processus si particulier qui lui donne sa force : le contradictoire.


Cette Parole de la Justice est plus qu’indispensable aujourd’hui car nos gouvernants sont, sauf exception, toujours en retard à l’égard du nécessaire, et que nos institutions sont peu adaptées au nouveau et au juste, comme vient de le relever pertinemment Michel Serres dans un entretien récent paru sur Internet.


La situation d’aujourd’hui rappelle instamment ainsi à l’avocat qu’il doit pleinement jouer son rôle de citoyen, et donc d’homme de réflexion et d’action.


L’avocat est parfaitement adapté à jouer ce rôle car sa culture s’enracine dans la tradition au sens large du terme.


Or, on ne peut voir le nouveau que si l’on le rapporte d’abord à l’ancien.


L’exemple de la justice climatique, qui commence à créer ce droit qu’il faut absolument développer plus encore, est très clair à cet égard.


Pour les juges américains, un retour au droit naturel (décision de la Cour fédérale de l’Oregon dans l’affaire Juliana) s’impose. Les juges européens, eux, se fondent dans ce domaine sur le droit de chacun à l’environnement, selon la jurisprudence classique de la CEDH (affaire Urgenda CA la Haye du 9 octobre).


Mais la réflexion sur les idées nouvelles ne suffit pas, il y a place pour le juriste à l’action.


Sans aucun doute, nos expériences croisées avec, pour moi, un engagement primitif pour le Paris-écologique en 1976 avec Brice Lalonde, et surtout la forte et belle expérience de Corinne dans la fonction politique de ministre, de députée et de candidate à la présidentielle, nous ont conduits à imaginer de nouveaux angles d’attaque pour donner à l’écologie toute sa dimension sociale.


Un mot encore ici du doyen Vedel, à cet égard, avant de poursuivre.


Bien sûr, nos engagements à travers la jurisprudence, en particulier dans les procès transfrontaliers, les procès nucléaires Cattenom, Bugey et bien d’autres (Creys Malville a été annulé par le Conseil d’État), le procès fleuve du Rhin pour les Hollandais et les procès climatiques qui s’annoncent.


Mais c’est sous la direction de Corinne qu’a été conduite une nouvelle démarche, celle d’imaginer et de promouvoir une nouvelle Déclaration des droits de l’humanité.


Celle-ci s’impose d’autant plus que nous sommes face à des phénomènes qui vont s’amplifier et dont les éléments caractéristiques dépassent toutes les prévisions :


• la question de la pollution n’est plus locale mais globale ;


• elle n’est pas visible mais bien invisible ;


• elle a pour troisième caractéristique l’absence de toute prévisibilité sérieuse et donc de toute action préventive adéquate ;


• la quatrième caractéristique est celle de la non réversibilité. Et la dernière celle de non réparabilité.


Ainsi, il ne s’agit plus de chercher à changer le monde car il s’est parfaitement débrouillé pour changer tout seul, trop vite et trop seul.


Il s’agit plus que jamais, comme le disait Albert Camus dans son remarquable discours de Prix Nobel, de le soutenir, et les juristes peuvent aider.


Mais, pour soutenir, il faut mobiliser de nouvelles forces pour guider ces forces il faut suivre une direction, et pour suivre une direction, il faut la désigner.


Cette Déclaration des droits de l’humanité, qui est aussi celle des devoirs de l’homme, permet de réunir deux éléments : d’abord celui de notre éthique du futur (jointe à celle du présent si malmenée) car à l’éthique « qu’as-tu fait de ton frère » vient s’ajouter maintenant celle « que fais-tu pour ton descendant » ?


Ensuite, de donner à chacun la volonté de la diffuser.


À cette fin, elle a été conçue pour être lisible par tous ; elle comprend quatre principes, six devoirs de l’humanité et six devoirs pour l’homme.


Et cela marche !


Enfin, j’avais évoqué plus haut ce que je devais à mes maîtres « ès Avocats ».


Je ne peux oublier ce qui m’a été transmis en amont puis en aval.


Je pense fortement à mes parents qui, au passage, m’ont autorisé, très jeune, à m’échapper de la messe du dimanche à la paroisse traditionnelle pour me permettre d’assister au service du dimanche à la cathédrale, pour y écouter le grand orgue et découvrir le beau dans un temple de lumière et de pierre.


Je leur dois, surtout, de m’avoir inscrit au collège de la Providence d’Amiens (c’est-à-dire avec 30 ans d’avance sur un certain E.M.), collège duquel j’ai tenté de m’échapper deux fois. Ils étaient plus malins que moi, petit adolescent, car j’ai eu l’immense bonheur de bénéficier de l’enseignement du R.P. Paul Egger, qui m’a initié également à Mircea Eliade, Nietzsche et bien sûr Teilhard de Chardin ;


ce qui est peu orthodoxe, avouons-le mais me fut bien profitable. C’était un homme d’esprit et surtout l’assistant du père de Lubac.


[…]


En ce qui concerne l’amont, j’ai déjà évoqué bien des noms, mais je tiens à faire une place particulière à Monsieur José Corti, l’éditeur de Julien Gracq et de Bachelard, qui réellement rayonnait dans la librairie face à la fontaine Médicis.


Il m’a appris à lire le beau et le vrai, et, depuis, je n’ai jamais su dans quel ordre il faut mettre ces deux termes, et cela dure encore.


J’ai donc beaucoup reçu de mes parents, de mes maîtres et je dois en retour, à nos enfants.


Enfin, cela ne vous étonnera pas que je ne croie ni au mot de retraite, qui rime un peu avec défaite, ni au mot fin, car pour moi, rien ne finit, et tout commence toujours si on le veut bien.


À cet égard, j’ai un secret : c’est qu’avec Corinne, nous ne faisons pas 2 mais 3...


Merci de votre merveilleuse présence.


Merci de votre bienveillante et amicale attention.


 


 


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