Famille, amis, collègues, relations, tous
sont venus entourer Christian Huglo et partager une soirée particulière en
l’honneur de l’avocat, d’esprit et de convictions, qui célébrait ses 50 années
de Barreau. Le JSS publie sons
discours à l’occasion de cet événement.
« 4 spécificités de l’Ordre », par Maître Christian Huglo
(…)
Je tiens à vous remercier tout d’abord, Madame la
Bâtonnière, d’avoir organisé cette cérémonie qui doit être considérée comme une
fête, non pour moi, mais une fête pour l’Ordre tout entier.
Mes premiers propos iront naturellement à notre
profession à laquelle je dois tant : elle me paraît présenter quatre
caractéristiques essentielles dont j’ai pu, comme tous, tirer bénéfice.
• La première est que notre Ordre est un lieu de
tradition et d’exigence ; les règles éthiques qui nous gouvernent nous
orientent vers le service des autres, ce qui permet d’inciter naturellement
chacun de ses membres, à donner le meilleur de lui-même. J’ai tenté de le
faire.
• La deuxième est celle d’être un lieu de fraternité
professionnelle. L’amitié est facilitée avec ceux qui partagent la même éthique
et le même idéal ; j’ai pu apprécier cela d’un peu plus loin en
fréquentant le Conseil de l’Ordre par personne interposée, grâce à l’élection
de Corinne Lepage en 1985.
• La troisième caractéristique est celle d’être un lieu
de transmission. Après en avoir profité grâce à mes maîtres, Paul-François
Ryziger, Jean-Louis Lachaud et Jean-Marie Michaud, j’ai pu apporter ma part en
développant la technique du contentieux administratif qui était peu connue et
surtout peu pratiquée par les avocats dans les années 1970.
• La quatrième (et dernière) est celle d’un lieu
d’innovation : ainsi, nous pouvons facilement admettre qu’un revirement de
jurisprudence vient souvent de l’argumentation de l’avocat en charge du
dossier. Heureusement, le champ d’action de l’avocat ne se réduit pas cependant
au seul domaine du contentieux. J’y reviendrai.
La vérité est que le métier ne s’exerce pas seul.
Aucun des grands procès que nous avons menés n’aurait pu
être réalisé sans le concours de plusieurs éléments ou facteurs qui doivent
constamment être mis ensemble.
Le premier, très important, voire essentiel, est la
cohésion de toute une équipe. Je pense ici à ceux qui ont travaillé avec nous
et tous ceux qui le font encore.
[…]
En second lieu, au-delà des textes, le recours à la
doctrine est toujours nécessaire, et la plus classique est totalement
indispensable dans un secteur d’évolution constante comme le sont le droit
public et le droit de l’environnement.
On y trouve le meilleur exemple dans la conception et la
réalisation de l’affaire de l’Amoco Cadiz, qui nous a occupés 14 ans
durant. Je dois beaucoup au professeur Emmanuel du Pontavice, à l’aide
déterminante du professeur Paul Lagarde et surtout au concours plus qu’efficace
du doyen Georges Vedel.
Sans doute, il fallait être un peu fou pour s’attaquer
aux États-Unis devant le juge fédéral, mais nous n’avions pas d’autres
solutions. Sachez qu’aucun procès d’environnement fait par des étrangers aux
États-Unis contre les multinationales américaines n’a jamais réussi (affaire
Bhopal/Ixtoc one).
[…]
En troisième lieu, dans le domaine de l’environnement,
rien ne peut être considéré comme solide sans le recours aux experts. Les
travaux des professeurs Drach/Glémarec/Chassé m’ont servi de repères pour les
affaires de pollution marine et le traité du professeur Ramade sur l’écologie
appliquée m’a toujours servi de bible.
[…]
Le quatrième facteur est à mes yeux totalement
substantiel.
Nous sommes là pour promouvoir la justice certes, mais
aussi pour aider la société à s’adapter au monde qui vient, et donc l’aider à
évoluer pour qu’elle puisse, à son tour, montrer la voie à suivre (ou au moins
à ne pas suivre).
Aussi, devons-nous admettre aisément que sans les
magistrats qui rendent vivante la justice, il n’y a pas d’innovation possible.
C’est la jurisprudence qui a créé le droit de
l’environnement, ou au moins en a posé les premiers jalons, c’est la
jurisprudence également qui fait le droit public.
Pourquoi cette référence ?
C’est que la décision de justice a une fonction éthique,
celle d’être une Parole, avec un grand « P », et sur le plan
technique, d’être parfaitement construite car elle est rendue suivant ce
processus si particulier qui lui donne sa force : le contradictoire.
Cette Parole de la Justice est plus qu’indispensable
aujourd’hui car nos gouvernants sont, sauf exception, toujours en retard à
l’égard du nécessaire, et que nos institutions sont peu adaptées au nouveau et
au juste, comme vient de le relever pertinemment Michel Serres dans un
entretien récent paru sur Internet.
La situation d’aujourd’hui rappelle instamment ainsi à
l’avocat qu’il doit pleinement jouer son rôle de citoyen, et donc d’homme de
réflexion et d’action.
L’avocat est parfaitement adapté à jouer ce rôle car sa
culture s’enracine dans la tradition au sens large du terme.
Or, on ne peut voir le nouveau que si l’on le rapporte
d’abord à l’ancien.
L’exemple de la justice climatique, qui commence à créer
ce droit qu’il faut absolument développer plus encore, est très clair à cet
égard.
Pour les juges américains, un retour au droit naturel
(décision de la Cour fédérale de l’Oregon dans l’affaire Juliana) s’impose. Les
juges européens, eux, se fondent dans ce domaine sur le droit de chacun à
l’environnement, selon la jurisprudence classique de la CEDH (affaire Urgenda
CA la Haye du 9 octobre).
Mais la réflexion sur les idées nouvelles ne suffit pas,
il y a place pour le juriste à l’action.
Sans aucun doute, nos expériences croisées avec, pour
moi, un engagement primitif pour le Paris-écologique en 1976 avec Brice
Lalonde, et surtout la forte et belle expérience de Corinne dans la fonction
politique de ministre, de députée et de candidate à la présidentielle, nous ont
conduits à imaginer de nouveaux angles d’attaque pour donner à l’écologie toute
sa dimension sociale.
Un mot encore ici du doyen Vedel, à cet égard, avant de
poursuivre.
Bien sûr, nos engagements à travers la jurisprudence, en
particulier dans les procès transfrontaliers, les procès nucléaires Cattenom,
Bugey et bien d’autres (Creys Malville a été annulé par le Conseil d’État), le
procès fleuve du Rhin pour les Hollandais et les procès climatiques qui
s’annoncent.
Mais c’est sous la direction de Corinne qu’a été
conduite une nouvelle démarche, celle d’imaginer et de promouvoir une nouvelle
Déclaration des droits de l’humanité.
Celle-ci s’impose d’autant plus que nous sommes face à
des phénomènes qui vont s’amplifier et dont les éléments caractéristiques
dépassent toutes les prévisions :
• la question de la pollution n’est plus locale mais
globale ;
• elle n’est pas visible mais bien invisible ;
• elle a pour troisième caractéristique l’absence de
toute prévisibilité sérieuse et donc de toute action préventive adéquate ;
• la quatrième caractéristique est celle de la non
réversibilité. Et la dernière celle de non réparabilité.
Ainsi, il ne s’agit plus de chercher à changer le monde
car il s’est parfaitement débrouillé pour changer tout seul, trop vite et trop
seul.
Il s’agit plus que jamais, comme le disait Albert Camus
dans son remarquable discours de Prix Nobel, de le soutenir, et les juristes
peuvent aider.
Mais, pour soutenir, il faut mobiliser de nouvelles
forces pour guider ces forces il faut suivre une direction, et pour suivre une
direction, il faut la désigner.
Cette Déclaration des droits de l’humanité, qui est
aussi celle des devoirs de l’homme, permet de réunir deux éléments :
d’abord celui de notre éthique du futur (jointe à celle du présent si malmenée)
car à l’éthique « qu’as-tu fait de ton frère » vient s’ajouter
maintenant celle « que fais-tu pour ton descendant » ?
Ensuite, de donner à chacun la volonté de la diffuser.
À cette fin, elle a été conçue pour être lisible par
tous ; elle comprend quatre principes, six devoirs de l’humanité
et six devoirs pour l’homme.
Et cela marche !
Enfin, j’avais évoqué plus haut ce que je devais à mes
maîtres « ès Avocats ».
Je ne peux oublier ce qui m’a été transmis en amont puis
en aval.
Je pense fortement à mes parents qui, au passage, m’ont
autorisé, très jeune, à m’échapper de la messe du dimanche à la paroisse
traditionnelle pour me permettre d’assister au service du dimanche à la
cathédrale, pour y écouter le grand orgue et découvrir le beau dans un temple
de lumière et de pierre.
Je leur dois, surtout, de m’avoir inscrit au collège de
la Providence d’Amiens (c’est-à-dire avec 30 ans d’avance sur un certain
E.M.), collège duquel j’ai tenté de m’échapper deux fois. Ils étaient plus malins
que moi, petit adolescent, car j’ai eu l’immense bonheur de bénéficier de
l’enseignement du R.P. Paul Egger, qui m’a initié également à Mircea Eliade,
Nietzsche et bien sûr Teilhard de Chardin ;
ce qui est peu orthodoxe, avouons-le mais me fut bien profitable.
C’était un homme d’esprit et surtout l’assistant du père de Lubac.
[…]
En ce qui concerne l’amont, j’ai déjà évoqué bien des
noms, mais je tiens à faire une place particulière à Monsieur José Corti,
l’éditeur de Julien Gracq et de Bachelard, qui réellement rayonnait dans la
librairie face à la fontaine Médicis.
Il m’a appris à lire le beau et le vrai, et, depuis, je
n’ai jamais su dans quel ordre il faut mettre ces deux termes, et cela dure
encore.
J’ai donc beaucoup reçu de mes parents, de mes maîtres
et je dois en retour, à nos enfants.
Enfin, cela ne vous étonnera pas que je ne croie ni au
mot de retraite, qui rime un peu avec défaite, ni au mot fin, car pour
moi, rien ne finit, et tout commence toujours si on le veut bien.
À cet égard, j’ai un secret : c’est qu’avec
Corinne, nous ne faisons pas 2 mais 3...
Merci de votre merveilleuse présence.
Merci de votre bienveillante et amicale attention.