Les 25, 26 et 27 septembre derniers s’est
tenu, au Palais des congrès de Paris, le 74e Congrès de l’Ordre
des experts-comptables. Plus de 6 000 professionnels du chiffre se
sont réunis pour réfléchir ensemble – à travers de nombreux ateliers,
flashs, et plénières – sur le sujet de « L’expert-comptable
au cœur des flux », thème choisi pour rappeler combien ces
professionnels jouent un rôle central pour guider les dirigeants d’entreprise
dans toutes les interactions numériques, humaines, économiques qu’ils
rencontrent.
Pour la 74e édition du Congrès de l’Ordre
des experts-comptables, les rapporteurs généraux du Congrès, Sanaa Moussaid,
vice-présidente du Conseil supérieur en charge du secteur stratégie numérique,
Dominique Perier, président du comité technologique du Conseil, et Fabrice
Heuvrard, expert-comptable et commissaire aux comptes, ont choisi le thème suivant : «
L’expert-comptable au cœur des flux ». Pour les organisateurs, en effet, on
observe depuis des décennies que les entreprises évoluent de plus en plus dans
un environnement où circulent des flux financiers, humains, dématérialisés,
virtuels, etc. Par conséquent, « maîtriser
les flux de données, les flux d’informations, c’est maîtriser l’économie de
demain », assure Charles-René Tandé, président du Conseil supérieur de
l’Ordre des Experts Comptables (CSOEC), dans un document de présentation du Congrès.
Au sein de ce nouvel écosystème, les experts-comptables sont
une aide précieuse aux côtés des dirigeants d’entreprise, pour les conseiller,
mais aussi pour gérer, sécuriser et exploiter les flux « afin
de restituer à [leurs] clients une information fiable qui va leur permettre
d’optimiser la gestion de leur entreprise », poursuit Charles-René Tandé
dans ce document.
En outre, il s’agit également, pour la profession, de
s’investir et de se transformer pour parvenir à maîtriser elle-même ces
nouveaux outils numériques, anticiper les nouveaux marchés, et se doter de
nouvelles organisations…
Pour ce congrès 2019, le choix de la Ville lumière
n’est pas non plus un hasard : la capitale française est en effet au cœur
des flux touristiques et économiques mondiaux.
DES EXPERTS-COMPTABLES-CHEFS
D’ORCHESTRE
En ouverture du congrès, le 25 septembre, le président du Conseil supérieur s’est d’abord exclamé : «
tous les records sont battus, vous êtes plus de 6 500?experts-comptables
inscrits, plus de 220?exposants ! », avant de lancer, sur un gigantesque
écran, un clip vidéo sur la profession en mutation. À son avis, avec l’essor
des nouvelles technologies, les experts-comptables ont devant eux « un formidable champ de développement ».
Quant au journaliste Patrick Cohen qui animait cette
plénière d’ouverture, celui-ci a déclaré, non sans emphase, que
l’expert-comptable était « au cœur des flux, de toutes sortes de flux : il est une sorte de chef
d’orchestre ».
Raison pour laquelle est ensuite monté sur scène le
chef d’orchestre et musicien Philippe Fournier, fondateur de l’Orchestre
symphonique Confluences, qui a illustré cette comparaison au piano. Selon lui,
le rôle de l’expert-comptable consiste à mettre les chiffres en musique, à
tirer des tableaux Excel des tableaux de bord et des projections, comme les
musiciens tirent de leurs portées des notes et des morceaux harmonieux.
En outre, « la musique nous apprend comment de quantité de différences, on fait de
la complémentarité et de l’harmonie » a-t-il ajouté, tout en invitant les
professionnels du chiffre à toujours penser collectif pour réussir à l’unisson.
Dans cette partition, qu’elle soit
musicale ou professionnelle, chacun a son importance : « un chef d’orchestre comme un manager est au même niveau que ses
musiciens, sauf qu’il est en avance » a expliqué l’artiste, avant de jouer avec son orchestre un air issu de Carmen de Bizet.
Lors de cette plénière, était également présent le spécialiste en intelligence artificielle Rand
Hindi, qui a vanté les mérites de la profession comptable : « ce que
j’espère, c’est que vous réalisez à quel point, aujourd’hui, le métier
d’expert-comptable ne se limite pas juste à faire des calculs sur des nombres »
a-t-il déclaré. Se voulant rassurant, il a également ajouté :
« et quand bien même les machines vous
assisteront dans votre travail au jour le jour, je ne vois aucune possibilité
où elles vous remplaceront totalement ». Des déclarations qui ont
boosté la salle.
Quoi qu’il en soit, prendre le virage digital est
indispensable pour toute profession qui souhaite perdurer. Heureusement, en ce
qui concerne la profession comptable, selon la co-rapporteur du congrès Sanaa
Moussaid : « nous avons la capacité de nous emparer des technologies
émergentes, nous avons la capacité également de faire évoluer notre vision ».
Lors de la plénière de clôture, Agnès Pannier-Runacher,
secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, et
Charles-René Tandé étaient du même avis. Ces derniers
ont également insisté sur le rôle crucial des experts-comptables dans le développement des entreprises en France, mais
aussi les défis qui attendent ces derniers, ainsi que ceux qu’ils vont devoir
relever dans un avenir proche.
ENTREPRISES ET EXPERTS-COMPTABLES
FACE AUX
DÉFIS DE DEMAIN
« Sans
vous, les entrepreneurs, les commerçants, les artisans seraient bien seuls », a
commencé par déclarer Agnès Pannier-Runacher dans son allocution. « Vous êtes
les premiers professionnels vers qui un chef d’entreprise se tourne quand il a
besoin d’aide », a-t-elle ajouté, tout en soulignant le rôle central des
experts-comptables dans le maillage entrepreneurial français. Sur le statut de
l’expert-comptable, Charles-René Tandé a rappelé de son côté que ceux-ci « ont prêté serment, ils font partie d’une
profession réglementée, sous tutelle du ministère de l’Economie et des
Finances. À ce titre, leur signature est synonyme de confiance ».
Les missions de ces derniers sont également multiples : accompagnement de quatre entreprises sur cinq au
quotidien, assistance aux dirigeants dans la gestion et relations avec leurs
clients, gestion de leurs comptes, accompagnement dans la stratégie numérique
et de développement…
Bref, le rôle de l’expert-comptable est essentiel
dans un environnement économique en mutation, a ainsi
reconnu la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances.
Les entreprises doivent en effet faire face, à
l’heure actuelle, à « deux défis majeurs pour notre économie » a poursuivi Agnès
Pannier-Runacher.
D’abord le défi du numérique. Selon
cette dernière, l’essor des nouvelles technologies concerne en effet toutes les
entreprises « dans les grandes villes
comme dans les petites, dans les métropoles comme dans les territoires ruraux
les plus reculés » a précisé la secrétaire d’état. Jouant pour l’occasion
les Cassandre, celle-ci a ajouté : « Celles
qui ne prendront pas le tournant du numérique seront, à terme, reléguées en
deuxième division ou amenées à disparaître ».
Quant au second défi, il s’agit, selon cette dernière, du
partage de la valeur dans l’entreprise. Partager entre tous la richesse créée
par l’entreprise est indispensable, selon elle, pour encourager les salariés,
et faire en sorte que ces derniers se sentent pleinement investis dans la
réussite de la société.
Le gouvernement en a fait son cheval de bataille
depuis deux ans, a indiqué Agnès Pannier-Runacher. En témoignent notamment, en
2018, l’augmentation de la prime d’activité, la défiscalisation des heures
supplémentaires, la baisse de l’impôt sur le revenu pour plus de 17 millions de Français et plus de 1,5 million d’entreprises, et, en 2019,?la suppression de la taxe
sur l’intéressement dans les entreprises de moins de 250 salariés ainsi que sur la participation dans les entreprises de moins de
50 salariés.
Concernant l’intéressement, la secrétaire d’État a ajouté que l’objectif du gouvernement était de doubler, d’ici la fin de l’année prochaine, le nombre de salariés
couverts par un accord d’intéressement dans les PME. On passerait ainsi de 1,4 million à 3 millions de salariés qui bénéficieraient de la richesse produite par leur
entreprise, s’est réjouie la secrétaire d’état.
L’essor des nouvelles technologies n’impacte pas
seulement le fonctionnement des entreprises, mais aussi le métier
d’expert-comptable lui-même, ont affirmé Charles-René
Tandé et Agnès Pannier-Runacher.
« Le
numérique et l’intelligence artificielle vont changer à bien des égards les
techniques comptables et le quotidien de vos équipes » a ainsi assuré la
secrétaire d’État.
Face à ce défi du numérique, les
professionnels peuvent « voir le verre à
moitié vide » a déclaré de son côté le président du CSOEC, ou bien adopter une
attitude optimiste. En tout cas, pour lui, l’ambition du 74e Congrès
serait plutôt de « conforter les optimistes dans leurs convictions et modifier
la perception des plus pessimistes ».
Il reste que si la révolution numérique constitue une
véritable opportunité de transformation pour la profession et une chance de
rendre des services plus pointus, de nombreuses difficultés liées à la
formation des collaborateurs et à l’acquisition d’expertises complexes vont
aussi apparaître.
Les experts-comptables, en outre, seront de plus en
plus sollicités par les attentes accrues du monde de l’entreprise, a affirmé
Agnès Pannier-Runacher.
Déjà, les professionnels du chiffre doivent
intervenir sur des questions sociales ou de ressources humaines, apporter leur
expertise dans les domaines du droit des
sociétés, en droit du travail, en matière d’investissement, d’innovation, etc.
«
La diversité de ces besoins ne fera que s’accroître dans les années à venir »,
a prédit la secrétaire d’État. Les experts-comptables devront par conséquent
multiplier leurs compétences.
Pour parvenir à relever ces nombreux
défis, les experts-comptables ont besoin de l’aide du gouvernement, a assuré
Agnès Pannier-Runacher, tout comme le gouvernement a besoin des
experts-comptables pour « accompagner les
entrepreneurs, les artisans, les commerçants ».
EXPERTS-COMPTABLES ET POUVOIRS
PUBLICS : UNE COLLABORATION NÉCESSAIRE
« C’est
en travaillant ensemble que nous répondrons au mieux aux attentes des
entreprises et des Français », a assuré la secrétaire
d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances.
Cette dernière a ainsi reconnu que l’aide des
experts-comptables était précieuse aux pouvoirs publics pour mener à bien la
transformation économique du pays : « Vous êtes le meilleur relai de la
transformation économique que nous portons, pour rendre notre économie plus
compétitive, plus innovante » a ainsi assuré Agnès Pannier-Runacher. « Vous avez accompagné les mesures du début de
quinquennat : l’allègement de la fiscalité sur les bénéfices et le capital, la
mise en œuvre du prélèvement à la source, la bascule du CICE en allègement de
charges, les ordonnances travail » a-t-elle précisé.
Et pourtant, cela n’a pas toujours été facile pour
les experts-comptables, du fait des moult revirements du ministère. Prenant
l’exemple du prélèvement à la source, le président Tandé a affirmé que « cela
aura été difficile pour nos équipes. (…) Du fait de la succession des
changements, de leur vitesse de mise en place, des délais, du peu de temps dont nous disposions entre
l’élaboration des textes et leur application… ».
Les professionnels du chiffre ont également été présents au côté du gouvernement pour
porter l’opération Initiative France num, projet qui consiste à numériser toutes
les TPE et PME d’ici 2022. En effet, comme l’a rappelé Agnès Pannier-Runacher,
une petite centaine d’experts-comptables se sont inscrits pour devenir des « activateurs », c’est-à-dire pour proposer des diagnostics numériques aux entreprises.
Le gouvernement compte également sur l’aide des
professionnels du chiffre pour mener à bien son projet de doubler d’ici fin
2020?le
nombre de salariés couverts par un accord d’intéressement dans les PME.
En effet, pour atteindre cet objectif,
le ministère de l’Économie et des Finances va fournir des « accords clés en main en ligne », a précisé la secrétaire d’État.
Ces derniers seront en ligne sur le site du ministère. Les entreprises n’auront
plus qu’à les remplir et choisir la meilleure formule
d’intéressement ou de participation en fonction de leur situation.
« Vous
êtes idéalement positionnés pour informer les entreprises de ce dispositif et
les conseiller sur la meilleure façon de le mettre en œuvre » a affirmé
Agnès Pannier-Runacher à ses interlocuteurs.
Enfin, des cabinets d’expertise comptable se sont
engagés, il y a peu, dans une expérimentation menée par le ministère dans les
Hauts-de-France, expérience qui a pour but de vérifier, auprès des dirigeants
d’entreprise, « s’ils ont choisi le régime statutaire, fiscal ou social le plus adapté
à leur situation » a indiqué la secrétaire d’État. « Il s’agit notamment de mieux faire connaître
le régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) et la
possibilité d’opter pour l’impôt sur les sociétés » a-t-elle encore
précisé.
« Je me félicite des
échanges que nous avons pu avoir depuis votre prise de fonction et qui montrent
que l’avis des experts-comptables vous importe : je pense
au statut du dirigeant, aux mesures “gilets jaunes”, à la
préparation du Brexit… Autant de sujets sur lesquels vous nous avez consultés » a déclaré Charles-René Tandé à la secrétaire
d’état.
Le président de l’Ordre lui a cependant lancé un
appel, et, à travers elle, au gouvernement : « Madame, aidez-nous à bien faire
notre travail. Aidez-nous également à lever les obstacles qui limitent notre
capacité à bien conseiller nos clients ».
En réponse à cette injonction, la secrétaire d’État a mis en exergue, dans son allocution, tout ce que le gouvernement a
déjà fait pour aider les experts-comptables à répondre aux défis de demain, notamment via la mise en œuvre de la loi PACTE.
Ainsi, a-t-elle rappelé, pour valoriser l’activité de
conseil, la loi a donné la possibilité aux professionnels du chiffre de fixer
des honoraires aux succès. En effet, a-t-elle expliqué, certains professionnels
interviennent sur des questions liées à la croissance de l’entreprise, il est donc logique qu’ils soient « rémunérés en cas de succès ».
La loi a également permis aux experts-comptables de
bénéficier d’un mandat implicite pour faciliter les démarches de leurs clients
auprès des administrations fiscales et sociales.
En matière de gestion des créances et de paiements
des clients, les prestations des professionnels du chiffre ont également été
diversifiées.
Enfin, parce qu’un certain nombre
d’experts-comptables souhaite « changer de mode d’exercice » au cours de sa carrière, la
loi PACTE (plan d’action pour la croissance et la transformation des
entreprises) a créé un statut d’expert-comptable en entreprise.
Le président de la CSOEC a lui-même reconnu : « Je pense que les
avancées obtenues dans le cadre de la loi PACTE doivent nous permettre de mieux
nous positionner pour améliorer la performance de nos clients. »
Il reste que si le ministère de
l’Économie et des Finances a apporté son soutien aux nombreuses
propositions de modernisation de la profession comptable, les
experts-comptables restent dubitatifs sur certains points du PACTE, notamment
les articles de la loi concernant les commissaires aux comptes et la facture
électronique.
Au sujet du statut du CAC, Agnès Pannier-Runacher a
tenu à rassurer la profession, sachant qu’un nombre non négligeable
d’experts-comptables est aussi commissaires aux comptes : « Nous restons, avec le
ministère de la Justice, particulièrement vigilants sur le déroulement de cette réforme structurante. »
À propos
de la facturation électronique, la secrétaire d’État a rappelé ses objectifs :
alléger la charge administrative des entreprises et mieux lutter contre la fraude. En
outre, la facturation électronique interentreprises ne
sera pas obligatoire immédiatement, mais se fera progressivement entre 2023 et 2025.
Toutefois, selon Charles-René Tandé, pour que la
profession puisse profiter de tous les avantages de la facture électronique, il
faudra que celle-ci soit entièrement généralisée.
Bref, « le monde change », a reconnu avec
sagesse le président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables. Plein d’optimisme, il
est certain que, la profession comptable est capable de ne pas subir ce
changement, mais de le devancer et de l’accompagner
: « notre profession est promise à un
très bel avenir, notamment grâce au numérique ! », s’est-il réjoui.
Charles-René Tandé a clos le 74e Congrès des experts-comptables en donnant rendez-vous à tous les
participants au prochain congrès, qui aura lieu à Bordeaux, du
30 septembre au 2 octobre 2020, sur le thème
du management, du marketing et de la marque employeur.
Maria-Angélica Bailly