Robert Ophèle, président de l’AMF, a
présenté le rapport annuel de l’institution le 17 mai dernier, « un moment important et nécessaire pour une autorité
administrative indépendante » selon ses propres termes. Il a souligné la
nécessité d’avancer rapidement vers une Europe à 27 plus intégrée dans
le contexte du Brexit. Il est également revenu sur les principaux enjeux en
matière de régulation et sur la mobilisation de l’AMF, ainsi que sur la
nécessité d’accompagner l’innovation. Le 7 juin 2018, le président de l’AMF a
exposé les points principaux de ce même document devant la Commission
des finances du Sénat, puis le 27 juin devant la Commission des finances de
l’Assemblée nationale.
Discours de Robert Ophèle, président de l’AMF
La présentation du
rapport annuel est un moment important et nécessaire pour une autorité
administrative indépendante, car c’est celui où elle rend compte de son action.
(…) Ce matin, je voudrais non pas en faire un résumé, mais mettre l’accent sur
quelques thèmes d’actualité qui s’inscrivent dans le prolongement des
problématiques de 2017.
D’abord sur l’état
des marchés financiers qui ne semble pas contrecarrer à ce stade la reprise des
émissions d’actions et des introductions en bourse que nous avions observée
l’an passé.
Ensuite, évoquer
les difficultés que rencontre l’émergence d’une supervision financière
européenne. Ces résistances nuisent à la construction d’une Union des marchés
financiers et ne facilitent pas une bonne gestion de la sortie du Royaume-Uni
de l’UE.
Puis les
conséquences, à ce stade en demi-teinte, de l’introduction de MIFID2, tant sur
la transparence des marchés que sur la protection des investisseurs.
Enfin sur
l’activation de nouveaux outils de lutte pour protéger les épargnants de
placements toxiques qui sont en perpétuelle évolution.
L’année 2017
a été une année de forte progression des valorisations boursières des sociétés,
de retour des investisseurs sur les placements à risque et de rebond des
introductions en bourse. Or, alors même que les risques se sont clairement
accrus, ces tendances favorables se confirment au début de l’année 2018.
Nous aurons
l’occasion de revenir dans quelques semaines sur notre appréciation des
risques, je me limiterai donc à ce stade à souligner :
- L’incidence probable sur la croissance de la montée de la
rhétorique protectionniste et des sanctions économiques décidées par les États-Unis ;
- Le niveau des valorisations boursières qui ressort comme étant
très au-dessus de ses fondamentaux aux États-Unis (PER corrigé du cycle qui est
près de deux fois plus élevé que sa moyenne de long terme à 32 contre 17 pour
le S&P 500) ;
- Le niveau élevé de l’endettement des agents économiques, publics
et privés, ménages et sociétés, alors même que la normalisation monétaire n’a
pas réellement débuté dans la zone euro et n’est pas achevée aux États-Unis.
Or, ces facteurs
de risque se sont surtout traduits par un retour de la volatilité sur les
marchés et la tendance reste favorable :
- Depuis le début de l’année le CAC40 dividendes réinvestis a
progressé de 6 % ;
- Nous avons dans les tuyaux, à ce stade de l’année, autant
d’introductions en bourse que ce qui a été enregistré pour l’ensemble de
l’année 2017 (20) ;
- Les émissions nettes d’actions cotées et les flux de collecte des
OPCVM actions restent positifs.
Cette tendance
favorable traduit, je crois, au-delà d’une bonne orientation conjoncturelle de
l’économie française, la force de ses écosystèmes innovants et la perception
des investisseurs qu’une politique favorable au relèvement du potentiel de
croissance de notre économie est effectivement mise en œuvre.
L’Europe ensuite.
Vous le savez, l’émergence d’une véritable supervision européenne des marchés
de capitaux constitue l’un de nos principaux axes stratégiques. Elle est
nécessaire à l’institution d’une Union des marchés de capitaux et elle est
nécessaire pour que l’UE27 soit un ensemble cohérent face aux pays tiers, au
premier rang desquels figurera prochainement le Royaume-Uni. Cela passe nécessairement
par un renforcement du rôle de l’ESMA :
- Dans certains cas en tant que superviseur direct ;
- Très généralement en tant qu’Autorité effectivement capable
d’imposer aux autorités nationales une mise en œuvre homogène de règles
communes ;
- Enfin en tant qu’interlocuteur principal des autorités des pays
tiers, en particulier dans le cadre de la gestion d’accords d’équivalence.
Deux propositions
de la Commission européenne vont dans cette direction : le projet de
réforme des ESA (les trois autorités de supervision sectorielles) qui revisite
les pouvoirs, la gouvernance et les moyens de l’ESMA ; et le projet de
réforme de la réglementation EMIR qui revisite les modalités de supervision des
chambres de compensation de l’UE et des chambres de pays tiers considérés comme
équivalents.
Or, ces deux projets,
pourtant d’une ambition modeste – on est loin du mécanisme de surveillance
unique bancaire (MSU) –, ne recueillent qu’un soutien modéré des pays membres,
la plupart d’entre eux privilégiant le statu quo qui assoit leur légitimité
nationale. On risque donc d’aboutir tardivement – c’est-à-dire vers la fin de
l’année – à des réformes limitées qui ne permettront pas de mettre fin aux
interprétations nationales des réglementations européennes et ne permettront
pas une approche européenne cohérente des relations avec le Royaume-Uni. Cela
vaut naturellement en premier lieu pour la gestion d’actifs et la fourniture de
services d’investissement. Plus généralement, le Brexit, qui pourrait avoir un
rôle d’électrochoc pour revoir en profondeur l’architecture institutionnelle et
faire de l’UE une zone financière cohérente, attractive et puissante, ne joue
pas vraiment ce rôle actuellement. C’est particulièrement regrettable, car
l’Union a beaucoup à perdre à un moment où son principal centre financier la
quitte et où le dynamisme des grands établissements américains n’a jamais été
aussi affirmé.
J’en viens à
MIFID2. Il s’agit là d’une évolution réglementaire très ambitieuse destinée
avant tout à améliorer le fonctionnement des marchés financiers en améliorant
leur transparence et l’information fournie aux investisseurs. Ce n’est ni le
lieu ni le moment de faire un bilan détaillé des premiers effets de la réforme,
effets qui en tout état de cause ne se sont pas encore totalement déployés. Je
voudrais simplement souligner qu’à coté de succès évidents, on peut rester
perplexe devant les évolutions de la structure des marchés. Vous le savez, une
ambition de MIFID2 est de ramener sur des structures plus transparentes les transactions,
de réduire la place du pur OTC et des dark pools en imposant avec quelques
exemptions une obligation de négociation sur des plateformes multilatérale ou
auprès d’internalisateurs systématiques. Cette obligation est renforcée par la
suspension des dérogations lorsque le volume des opérations traitées dans ce
cadre dépasse certains niveaux, c’est le Double Volume Cap (DVC).
Cette réforme n’a
pas perturbé les marchés qui se sont adaptés sans perte de substance, même
lorsque l’ESMA a été en mesure, début mars, de calculer ces DVC, ce qui s’est
traduit par la suspension des dérogations pour un nombre très élevé d’actions
(750).
Mais la réduction
de la place des dark pools et de des transactions OTC s’est faite non au profit
des plateformes multilatérales classiques et en particulier au profit des
plateformes réglementées, mais au bénéfice des internalisateurs systématiques
et des plateformes arrangeant des opérations bilatérales via des transactions
hors marché rapportées au marché ou via des enchères ad hoc, les « periodic
auctions ». Je ne suis pas certain que la transparence y ait gagné. Je rappelle
en particulier qu’un internalisateur systématique, qu’on pourrait également
appeler un teneur de marché, doit mettre son compte propre en face de son client
et prendre un risque effectif. Il ne peut être un simple intermédiaire
arrangeant des échanges entre des clients vendeurs et acheteurs. Nous avons
donc devant nous un important travail à conduire avec l’industrie pour analyser
les évolutions dans la structure des marchés, l’efficacité des mesures prises
et combattre les éventuels contournements. De même il nous appartient de
veiller à la bonne qualité des données transmises aux régulateurs et au marché.
La liste des titres obligataires liquides publiée en début de mois par l’ESMA
et qui ne reprend que 227 titres pour l’ensemble de l’UE dont onze
seulement pour la France est, à l’évidence, un exemple cruel de dispositif
réglementaire qui tourne à vide (je rappelle que le nombre de titres français
potentiellement concernés est de 22 000).
Le dernier point
de vigilance que je voulais mentionner ce matin est celui de la lutte contre
les placements toxiques. 2017 a permis de récolter les premiers fruits du
nouveau cadre réglementaire introduit par la loi Sapin II – l’interdiction
de la publicité pour les options binaires et les CFD à fort effet de levier –
ainsi que des efforts effectués par l’AMF et largement relayés par les médias
pour alerter et éduquer les épargnants. Mais c’est un terrain sur lequel les
offres se renouvellent sans cesse et après la vague du Forex, après la vague du
diamant d’investissement, ce sont les crypto-actifs qui ont pris le relai. Au
cours des quatre premiers mois de l’année, sur les plus de
quatre mille demandes traitées par notre centre « Épargne
Info-services », sept cents ont concerné les crypto-actifs avec près
de deux cent cinquante réclamations ou signalements faisant état
de plus de 9 M€ de pertes.
Nous nous
réjouissons donc que l’ESMA ait décidé de mobiliser, pour les options binaires
et les CFD les plus risqués, les nouveaux pouvoirs introduits par MIFID 2
qui autorisent l’autorité européenne à interdire de façon temporaire la commercialisation
de produits financiers dangereux. Je rappelle que cette interdiction
s’applique, que le sous-jacent de l’option binaire ou du CFD soit une devise ou
un crypto-actif. Le même texte donne ce pouvoir aux autorités nationales, mais
sans son caractère temporaire : nous verrons donc le moment venu comment
nous prenons le relai de l’ESMA. J’observe cependant, en passant, que
l’approche de ces produits est loin d’être homogène en Europe puisque comme
vous avez pu le constater hier soir à l’occasion de la retransmission du match
de football entre Marseille et Madrid, nos amis espagnols tolèrent le
sponsoring de leurs équipes par des intermédiaires financiers spécialisés dans
ces produits toxiques. Pratique que nous avons pu éradiquer en France et désormais
interdite par la loi Sapin 2.
Je ne saurais
conclure ce mot introductif sans évoquer deux thèmes qui concernent plus
directement le fonctionnement de l’AMF. D’abord la question de nos ressources.
Vous le verrez dans le rapport, nous clôturons nos comptes 2017 par une perte
de près de 7 M€. C’est le montant qui était attendu et qui avait justifié
en son temps notre alerte : l’AMF, qui collecte plus de 110 M€ de
contributions de ses assujettis pour financer ses missions n’est autorisée à en
conserver que 94 – elle reverse donc l’excédent au budget de l’État – alors
même que ses charges sont d’un peu plus de 100 M€. Il y a là, à
l’évidence, une situation insoutenable, inacceptable pour une Autorité dont la
mission porte sur la surveillance du domaine financier. Alors même que l’AMF a
déjà des moyens sensiblement inférieurs à ceux de ses homologues étrangers et
où ses besoins augmentent en raison de l’accumulation des nouvelles
réglementations, de la recomposition européenne en cours et des défis posés par
l’innovation financière et le traitement d’un nombre croissant de données –
dans le seul cadre de la surveillance des marchés, nous recevons actuellement
plus de 5 millions de déclarations de transactions chaque jour –, c’est
naturellement une augmentation de nos revenus nets de reversement à l’État dont
nous avons besoin. L’État nous a autorisés à recevoir des contributions
volontaires destinées à financer des projets d’intérêt commun. Dans ce cadre
nous avons signé avec l’AFG une convention qui se traduira par le versement de
6 M€ par an, sur cinq ans, au titre du projet de refonte de notre
application permettant de traiter les échanges réglementaires avec les sociétés
de gestion (BIO3). Nos comptes 2018 devraient ainsi être proches de l’équilibre,
mais, à l’évidence, cela n’épuise pas le sujet et nous devons établir avec l’État
un cadrage pluriannuel de nos ressources qui passe par un relèvement de notre
plafond de ressources.
Le second point
d’attention pour notre fonctionnement interne est la manière dont la nécessaire
protection des données personnelles se télescope avec l’exercice de nos
missions et en particulier la détection et la répression des abus de marché,
notamment des délits d’initié. Le Conseil constitutionnel a considéré que
l’encadrement par la loi de notre recours aux données de connexion n’était pas
suffisant pour garantir la protection des droits individuels. Il a laissé à l’État
jusqu’à la fin de cette année pour mettre en place un cadre adapté. Je compte
sur la loi PACTE pour nous permettre de conserver cette source précieuse
d’indices permettant de poursuivre les délits d’initié. De même, il importe que
les échanges de données que nous avons avec les autorités des pays tiers dans
le cadre de nos enquêtes respectives perdurent au-delà du 25 mai, date à
laquelle la nouvelle réglementation européenne GDPR entre en vigueur ;
nous suivons de près l’issue des travaux menés entre l’OICV (Organisation
internationale des commissions de valeurs) et l’Autorité européenne en charge
de la protection des données – le WP29 qui va devenir l’EDPB (European Data
Protection Board) – pour normaliser le cadre dans lequel se situe ces échanges
et attendons la version finale de la guideline qui éclaire la portée des
dérogations, en particulier la dérogation pour « motif important d’intérêt
public » (article 49 de GDPR). Nous devons veiller à ce que la
réglementation des données personnelles ne fasse pas le lit de la délinquance
financière.
Vous le
comprendrez, ces moyens financiers et légaux sont bien des éléments
indispensables à l’exercice de nos missions. (…)