Savez-vous que les crayons à papier Conté,
que tous les écoliers ont eus entre les mains, ont été protégés par un brevet
d’invention ? Retour sur la genèse du célèbre crayon grâce aux archives
patrimoniales de l’institut national de la propriété industrielle (INPI).
En 1794, la France est en guerre.
Le pays subit le blocus des navires anglais, qui bloque les ports et empêche
l’approvisionnement de nombreux produits. Bientôt, la pénurie vient même à
toucher les crayons à papier, indispensables à de nombreux corps de métier. Les
crayons sont alors confectionnés à base de graphite très pur. Le graphite, à
l’instar du diamant, est une espèce minérale naturelle dérivée du carbone. À
l’époque, seule l’Angleterre extrait cette matière des mines situées dans le comté
de Cumberland, aux confins du royaume.
Malgré ces temps difficiles et
incertains, Napoléon entretient volontiers un foisonnement artistique et
scientifique. Dans ce mouvement, Nicolas-Jacques Conté est un dessinateur,
peintre et savant reconnu. C’est un véritable touche à tout, à la fois
mécanicien, physicien ou encore chimiste. En 1794, à 40 ans, il participe à la
fondation du Conservatoire national des Arts et Métiers et en devient un membre
distingué.
La même année, l’Agence des
mines, qui deviendra le Corps des ingénieurs des mines, est également créée.
Elle charge Conté d’inventer une mine de crayon ne nécessitant plus de matières
premières d’origine anglaise. En très peu de temps, Conté trouve la solution de
remplacement dans un mélange de graphite ordinaire et d’argile cuit à haute
température. Il dépose le brevet d’invention de sa découverte le 7 janvier
1795. C’est le 77e dossier déposé depuis la première loi sur les brevets votée
en 1791.
Ces crayons artificiels, comme
les nomme Conté, sont moins chers : le graphite de moindre qualité se trouve un
peu partout et le processus de fabrication peut être industrialisé. On peut
aussi varier la température et la proportion entre le graphite et l’argile : la
mine, protégée par deux demi-cylindres de cèdre ou de genévrier, devient plus
ou moins grasse. Le crayon à papier moderne est inventé. Leur qualité fait leur
renommée. Les crayons sont plébiscités à l’Exposition des produits de
l’industrie française de 1798, et obtiennent, deux ans après, la médaille d’or
des Arts et Métiers.
Après la mort de Conté en 1805,
c’est son fils et son gendre qui prennent la relève. Une société, Conté-Humblot
et compagnie, est créée au cours du 19e siècle. La démocratisation de
l’écriture puis l’école obligatoire de Jules Ferry boostent les ventes et
l’entreprise poursuit son développement. En 1919, l’entreprise familiale se
transforme en société anonyme.
Rachetée par Bic en 1979, la
marque subsiste et fait aujourd’hui partie de la gamme Bic pour les crayons et
les feutres. Le crayon artificiel ? Une idée toute simple, une idée de génie,
concrétisée par le dépôt d’un brevet d’invention. La maison Conté ne l’oublie
pas et, 150 ans plus tard, elle s’appuie sur le document original, conservé
dans les archives de l’INPI, pour faire de la publicité. Il apparaît dans un
numéro de l’hebdomadaire L’Illustration de
1949. Un exemple qui montre que le dépôt d’un brevet n’est pas seulement un
monopole temporaire d’exploitation mais peut devenir, à terme, un vecteur de
communication et de promotion.
Steeve Gallizia,
Chargé de la valorisation des archives
patrimoniales de l’INPI