À quoi sert le droit, et plus précisément le droit de l’environnement
?
À ceux qui se poseraient cette question, le drame de
Lubrizol apporte une réponse pour le moins éclairante. Le droit de
l’environnement s’est considérablement étoffé à mesure que les risques naturels
et technologiques augmentaient et que la pression sur les ressources naturelles
se démultipliait ; il a été mis en place une série de règles pour tenter
d’assurer une protection efficace de la population et des ressources. Mais une
partie du monde industriel et financier s’est toujours rebellée contre ces
règles considérées comme excessives et a obtenu du gouvernement actuel, sous
couvert d’une simplification administrative, une démolition en règle des normes
environnementales. En autorisant en janvier et en juillet 2019 la société Lubrizol
à étendre de manière considérable le stockage de produits dangereux, voire hautement
toxiques, sur son site sans évaluation environnementale, le Préfet a certes
obéi à la loi nouvelle qui permet un examen au cas par cas de l’obligation de
ces études, mais il a pris un risque considérable. La procédure qui s’ouvre
permettra de savoir si cette extension est ou non à l’origine de la succession
d’explosions qui ont affecté le site et des conséquences dramatiques qui
s’ensuivent.
Parallèlement, la baisse des moyens de l’État s’est
d’abord fait sentir sur tous les systèmes de contrôle. Cela affecte autant les
contrôles des installations classées que celui
de la consommation, avec une réduction massive des fonctionnaires
de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la
Répression des fraudes (DGCCRF) ou encore des services vétérinaires. Ainsi, non
seulement les normes de protection se réduisent en réalité, mais encore les
systèmes de contrôle deviennent beaucoup plus aléatoires du fait du manque de
moyens.
À l’heure qu’il est, il est trop tôt pour savoir
quelle sera l’ampleur réelle des conséquences de l’explosion de Lubrizol.
Ces conséquences seront-elles en réalité des dommages de
court terme matériels sans atteinte sanitaire, ou, au contraire, s’agira-t-il
d’un accident industriel très important voire majeur, pénalisant une région
entière ?
Dans tous les cas, la réflexion sur la réduction des normes
environnementales doit être engagée en sens inverse de celle que le
gouvernement a choisie depuis deux ans, et qu’il s’apprêtait à accélérer.
On soulignera enfin que cette déconstruction des
systèmes de protection environnementale, qui va bien entendu à l’encontre du
sens de l’Histoire, ne se fait en réalité pas dans l’intérêt des industriels.
Certes, le « pas vu pas pris » peut toujours
servir de règle de conduite à certains.
Mais, sur le long terme, les conséquences économiques
et financières des diesel Gates, des agissements de Monsanto ou encore BP aux États-Unis
démontrent suffisamment que lorsqu’une catastrophe survient, c’est aussi avant
tout une catastrophe pour l’entreprise qui en est la cause. Et alors, non
seulement les conséquences financières pour cette entreprise peuvent se révéler
absolument catastrophiques bien au-delà de l’impact de l’image, mais cet effet
réagit sur l’ensemble d’une activité économique et ce sont toutes les
entreprises du secteur qui, en définitive, en payent les conséquences.
Dès lors, et contrairement à ce que certains peuvent
penser, l’intérêt bien compris du monde économique est au contraire d’avoir des
normes solides, sérieuses, respectées par tous qui assurent ainsi la pérennité
des entreprises et la sécurité des personnes et des biens.
Corinne Lepage,
CEO Huglo Lepage Avocats,
Docteur en droit,
Avocate à la Cour