Les nouvelles activités de glisse, de plus en
plus variées et ludiques, suscitent de légitimes interrogations relatives à la
responsabilité des organisateurs. La pratique du « snake gliss », série de
luges solidarisées formant une chenille articulée et pilotée par un
accompagnateur, n’échappe pas à cette analyse. En cas d’accident,
l’organisateur n’ayant pas mis tous les moyens pour assurer la sécurité de ses
clients verra sa responsabilité retenue.
La diversification des activités de loisirs (dont certaines sont
nocturnes) sur le domaine skiable fermé pose de nombreuses questions quant à
leur dangerosité éventuelle. En cas d’accident, la responsabilité des
organisateurs de ses activités est analysée avec précision par les
juridictions.
Il est certain que les sports d’hiver peuvent comporter des dangers liés
d’une part à l’environnement et d’autre part au mode de glisse choisi, qui
expose le pratiquant à des risques plus ou moins importants. En l’espèce, au
cours d’une descente de « snake gliss » organisée sur une
piste de ski, après la fermeture des remontées mécaniques et de la piste
elle-même, un pratiquant, en séminaire d’entreprise, se blesse, subissant
plusieurs fractures au tibia et à la cheville.
La victime et son employeur assignent la société organisatrice sur le
fondement de l’obligation contractuelle de sécurité. Il convient de regretter
que la juridiction saisie ait omis de s’interroger sur le fait de savoir si les
organisateurs avaient ou non signalé à la station, l’existence d’une telle
activité et si un arrêté municipal spécifique avait été pris.
L’utilisation du domaine skiable, à la fermeture des pistes de manière
anarchique pose différentes questions qui ne peuvent être négligées :
• celle de la cœxistence avec les engins de damage, au regard du danger
important que cela peut représenter ;
• celle de la cœxistence avec d’autres groupes éventuels de personnes
évoluant notamment, elles aussi sur des luges, sans que les uns aient averti les
autres de leur présence ;
• et celle, bien entendu, de l’organisation des secours.
En engageant son action à l’encontre de l’organisateur, la victime a
choisi d’évoquer à la charge de celui-ci une obligation de sécurité de
résultat, ce qui pouvait la placer dans une position plus avantageuse sur le
terrain de la preuve, puisque, dans ce cas, le débiteur de l’obligation, ne se
trouve exonéré qu’en cas de force majeure ou de faute de la victime ayant les
mêmes caractéristiques.
La juridiction de première instance ne retiendra toutefois pas ce
fondement pour condamner l’organisateur de cette activité. En effet, le
tribunal de grande instance de Grenoble a considéré que « la formation
des participants et les consignes données étaient insuffisantes pour assurer
leur sécurité », s’engageant ainsi sur le terrain d’une simple
obligation de moyens.
Or, la société organisatrice étant tenue de mettre en œuvre les moyens
propres à assurer la sécurité des participants, dans de telles circonstances,
la faute contractuelle ne pouvait qu’être retenue. C’est dans le même sens que
la cour d’appel de Grenoble a statué, par l’arrêt reproduit ci-dessous, en date
du 20 septembre 2016, en analysant la situation de telle sorte
que la question principale consiste à déterminer si un tel dispositif permet ou
non au « client » de conserver une certaine autonomie,
notamment de freinage.
La cour retient que le dispositif en cause ne confère aux participants
qu’un rôle passif, puisque seul le pilote de l’ensemble de luges est en mesure
d’en assurer la direction, sans pourtant formellement qualifier et retenir une
obligation de résultat. La pratique a eu lieu à la tombée de la nuit, sur une
piste bleue, en l’absence de butée ou de remontée de pente, telles qu’elles
existent dans les zones réservées à la pratique de la luge.
De surcroît, les participants étaient nombreux (40 à 60), la présentation des consignes de sécurité s’est révélée
insuffisante, l’encadrant semblant totalement impuissant, désarmé et dépassé
face à des participants impatients de commencer leur descente.
Dès lors, la juridiction retenait à l’encontre de la société
organisatrice, l’absence de moyens suffisants pour assurer de manière
satisfaisante la sécurité des participants, aucune faute ne pouvant par
ailleurs être reprochée à la victime qui ne disposait d’aucune autonomie.
Cour d’appel de Grenoble,
20 septembre 2016
Madame Clozel-Truche :
présidente
Monsieur Fournier : conseiller
Madame Lamoine : conseiller
La société TE a organisé, pour une
partie de ses salariés, du 13 au 15 janvier
2005, un
séminaire dans la station de C.
Dans ce cadre, était prévue l’organisation en soirée d’une activité consistant
à descendre une piste de ski après la fermeture des remontées mécaniques sur
des luges articulées reliées entre elles, système dénommé « snake-gliss »
mis au point par la société S à qui l’organisation et l’encadrement de
l’activité étaient confiés. Au cours de la descente, l’un des participants a
été blessé, subissant une fracture de la malléole externe et du pilon tibial
avec sur luxation tibiale astragalienne. Par ordonnance de référé du 12 mai 2006 une expertise médicale a
été ordonnée et le rapport a été déposé le 18 février 2007. L’instance a été
engagée le 2 septembre
2011, et le tribunal de grande instance de Grenoble a statué le 7 mai 2015. Il a considéré
que la formation des participants et les consignes données étaient
insuffisantes pour assurer leur sécurité, ce qui avait directement entraîné
l’accident.
La société S a fait appel de cette
décision (…)
Motifs :
La société S, organisatrice de
l’activité de snake gliss était tenue de mettre en œuvre les moyens propres à
assurer la sécurité des participants, obligation d’autant plus importante
que :
• cette activité consistait à faire évoluer les participants en luge à la
tombée de la nuit, sur des pistes normalement destinées à la pratique du ski,
elle impliquait la nécessité de réaliser des virages sur des pentes classées
« bleues » générant une certaine vitesse, et en l’absence de
toute butée ou remontée de la pente, telles qu’on peut les trouver en bas des
pistes destinées à la pratique de la luge ;
• les luges étant solidarisées entre elles, les participants n’avaient
aucune possibilité individuelle d’assurer leur propre trajectoire, et – hormis
le pilote se tenant dans la luge de tête – avaient un rôle presque passif une
fois assis dans la luge, la direction du train de luge étant assurée par ce
pilote et les autres participants pouvant seulement « participer au
pilotage en poussant des pieds modérément ».
C’est à bon droit que le tribunal a
retenu qu’en l’espèce, la SARL S n’avait pas mis en œuvre les moyens suffisants
pour assurer cette sécurité dès lors :
• que les participants constituant le groupe étaient nombreux (40 à 60 personnes) ;
• aucune présentation de l’activité n’avait été réalisée avant le départ,
ni consignes de sécurité données avant l’arrivée des participants sur les
lieux, seul le matériel ayant été distribué avant la montée par les bennes.
• l’initiation à ce sport devait être faite et les consignes de sécurité
données à l’arrivée sur le site mais compte tenu du nombre de participants et
de l’interférence de skieurs, la montée du groupe par le téléphérique au point
sommital des pistes s’est faite en quatre bennes, les participants arrivés les
premiers s’impatientant et, selon les organisateurs eux-mêmes,
« mettant la pression » pour abréger l’initiation.
• Monsieur C, dont le rôle était de réaliser cette initiation, a démarré
celle-ci à l’arrivée de la deuxième benne, alors que le groupe n’était donc pas
au complet (…)
Par ailleurs, le tribunal a justement
relevé, au vu d’attestations concordantes de participants dont le contenu n’est
pas contredit, qu’il avait été indiqué à ces derniers qu’en cas de vitesse
excessive il était possible de freiner avec les pieds sur la neige.
L’accident est survenu alors que le
train de luges dans lequel se trouvait Monsieur D, conduit par Monsieur C,
s’est « brutalement arrêté » aux dires de ce dernier pour des
raisons qu’il ignore et que, se retournant, il a constaté que des personnes
étaient « hors du train de luge », Monsieur D criant de
douleur. Il en résulte que l’insuffisance de moyens mis en œuvre par la SARL S
est directement à l’origine des blessures subies par Monsieur D à la charge
duquel aucune faute n’est démontrée.
Maurice
Bodecher,
Avocat
(Avocatcimes),
Albertville,
Membre
du réseau GESICA
Élisabeth
Arnaud-Bodecher,
Avocat
Honoraire,
Co-auteur
de « Carnet Juridique du Ski »
Pauline
Collange,
Étudiante
en Master 2 droit de la montagne, Université Savoie Mont-Blanc