L’adaptation au changement climatique dans les
secteurs financiers et de l’entreprise est désormais le sujet de nombreuses
études, confirmant l’immédiate nécessité de mettre en œuvre une analyse quantitative et qualitative du
risque. Le bureau des Nations unies pour la réduction des risques a en effet
chiffré à 1 432 milliards d’euros les pertes
liées aux catastrophes climatiques dans les États développés entre 1998 et 2017 (1). Par ailleurs, une étude
de la Fédération française de l’assurance de 2016 montre que les dégâts causés par
les aléas naturels se chiffreront à plus de 92 milliards d’euros sur la
période allant jusqu’en 2050 (2).
La réduction
des émissions de gaz à effet de serre (GES) au travers d’efforts immédiats
peuvent en effet conditionner la trajectoire climatique jusqu’à cet horizon.
Dans cet objectif, la France a adopté une Stratégie Nationale Bas Carbone
(SNBC) visant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 (3). Ces mesures ont
un impact potentiel sur l’adaptation au changement climatique en rendant les
mesures d’adaptation moins contraignantes, en cas de succès. En revanche, elles
ne constituent en rien des mesures positives d’adaptation au changement
climatique.
Adaptation
et atténuation face au réchauffement climatique sont deux notions distinctes
mais de plus en plus complémentaires. Elles sont clairement définies par le
récent rapport du GIEC de 2018. L’adaptation est ainsi la « démarche d’ajustement au climat actuel ou
attendu, ainsi qu’à ses conséquences. Pour les systèmes humains, il s’agit
d’atténuer les effets préjudiciables et d’exploiter les effets bénéfiques (…)
» tandis que l’atténuation recoupe l’«
intervention humaine visant à réduire les sources ou à renforcer les puits de
gaz à effet de serre (4) ».
Après avoir
souligné la nécessité de mettre en place des mesures d’adaptation, on examinera
brièvement les applications au monde de la finance et à celui de l’entreprise.
L’urgence pour le monde
économique et financier de mettre en place des stratégies de résilience
Même en cas
d’efforts d’atténuation drastiques, c’est-à-dire de limitation des émissions
des GES permettant de limiter à 2°C la hausse de la température, les
transformations seront telles que les secteurs financiers et de l’entreprise
devront se transformer profondément.
Il n’est pas
nécessaire d’attendre pour constater que les manifestations du réchauffement
climatique sont déjà ressenties. De nombreux domaines de la vie humaine et donc
de l’activité économique sont d’ores et déjà impactés : agriculture,
énergie, tourisme, construction sans même parler des conditions de travail dans
des périodes de canicule qui tendent à s’étendre.
Nous ne
sommes qu’au début des conséquences du réchauffement climatique car, comme le
souligne le rapport Dantec, l’impact financier et économique du changement
climatique pourrait être immense à l’horizon 2040 (5). À titre d’exemple, le
rapport de la Commission sur l’économie du climat de l’ONU paru en septembre
2018 souligne que
le risque de perte d’actifs devenus sans valeur du fait du risque climatique
est 12 fois supérieur à ce qu’ont représenté les actifs des subprimes à
l’origine de la crise de 2008 (6). Les impacts sur l’économie et les sociétés
peuvent se propager jusqu’aux activités des institutions financières au travers
de l’investissement et de l’octroi de prêts à des particuliers. En effet,
l’activité des institutions financières pourrait être impactée à environ
17 % de sa valeur si le réchauffement climatique atteignait +2,5°C d’ici
2100. Il est ainsi nécessaire que les institutions analysent individuellement
l’exposition de leurs activités aux impacts climatiques.
Un début de
prise de conscience commence cependant à se faire. Le Préambule de l’Accord de
Paris signé en 2015, et plus spécifiquement son article 7, fait état de la nécessaire
mise en place d’une adaptation au changement climatique dirigée vers une
augmentation de la résilience face à ses conséquences. En effet, cet article prévoit que « les Parties
établissent l’objectif mondial en matière d’adaptation consistant à renforcer
les capacités d’adaptation, accroître la résilience aux changements climatiques
et à réduire la vulnérabilité à ces changements, en vue de contribuer au
développement durable et de garantir une riposte adéquate en matière
d’adaptation dans le contexte de l’objectif de température de moins de [1,5 %
d’augmentation] ».
Les acteurs économiques, ou tout au moins certains d’entre eux, en sont
conscients. Ainsi, un certain nombre d’acteurs financiers ont commencé à
s’engager dans la transition énergétique, notamment en sortant de financements
d’énergies fossiles comme le charbon (BNP Paribas, Crédit Agricole ou même
Goldman Sachs). Dans le monde économique à proprement parler, le sujet de l’adaptation
est encore un parent très pauvre, mais le constat de la réalité de l’impact du
dérèglement climatique est incontournable.
L’adaptation
comporte en réalité deux volets, et seul le premier fait l’objet d’un début
d’appréhension. Le premier volet est celui de l’adaptation au risque
climatique, c’est-à-dire de l’intégration dans l’évaluation des risques sur le
plan économique ou sur un plan financier du risque climatique. Le deuxième
volet est encore dans les limbes, se référant aux transformations concrètes
permettant d’engager une véritable résilience.
Sur le
premier volet, trois risques majeurs sont pris en compte par les institutions
financières dans leurs propositions de produits relatifs à l’intégration des
impacts climatiques dans les décisions financières (7). Ces risques concernent
directement les entreprises.
Le risque
physique concerne
l’impact direct du climat sur la chaîne de valeur, c’est-à-dire la destruction
d’actifs physiques ou non par des évènements liés au changement climatique, la
réduction du rendement de produits (cultures par exemple) ou encore la perte
d’actifs liée à la montée du niveau de la mer.
Le risque de
transition ou risque juridique concerne les changements susceptibles d’intervenir dans les
politiques climatiques et technologiques du fait du progressif ajustement dans
une société bas carbone. Les banques ayant souscrit des prêts aux entreprises
subissant ces changements juridiques feront ainsi face à des pertes qui doivent
être planifiées. Pour les entreprises, l’impact de ces changements est immédiat
dans leur marché, leur mode de production et leur stratégie.
Le risque de
responsabilité concerne
enfin les conséquences que peuvent subir les entreprises soumises aux
obligations de reporting dans le cas où elles ne les respecteraient pas,
que ce soit sous la forme
d’indemnisation ou de perte de la réputation de ces dernières.
À
l’échelle internationale, le Conseil de la Stabilité Financière, organisme du
G20 installé à Bâle, a mis en place une initiative de reporting volontaire lié
au climat (Task Force on climate-related financial disclosures), initiative qui
est d’ailleurs soutenue par la Commission européenne dans sa communication de
mars 2018 (8). Le secteur financier est particulièrement exposé aux risques évoqués ci-dessus dans la mesure
où sa fonction principale est d’alimenter l’industrie et les services en
capitaux, moyennant un retour sur investissement. Si ces risques se
matérialisent, le modèle d’affaire et les revenus de nombreuses entreprises
seront dégradés, et en particulier dans les secteurs carbonés de la production
énergétique (9).
Le second
volet est tout aussi préoccupant. En effet, ce sont des pans entiers de notre
droit qui vont devoir être revisités pour permettre l’adaptation aux nouvelles
règles climatiques. Il n’est pas possible dans le cas de cet article d’entrer dans les détails, mais
on soulignera le droit du travail (poste de travail, conditions de travail dans
les locaux etc.), l’organisation du travail (changement d’horaire,
développement du télétravail en fonction de la température), le droit de la
construction (obligations beaucoup plus draconiennes en ce qui concerne le
recours aux constructions à énergie positive), le droit du transport, le droit
de la consommation (problème de la chaîne du froid par exemple) sans parler des
bouleversements pour des secteurs économiques entiers. Dans ce domaine, où
pourtant le risque de voir des conséquences économiques très lourdes est
considérable, tout est à faire.
Face
à ces deux enjeux, le secteur financier comme celui de l’économie réelle sont
très peu préparés. Cependant, certains outils existants pourraient être utilisés pour au moins engager
l’adaptation.
L’adaptation au changement
climatique dans le secteur de la finance
Le monde de
la finance a incontestablement pris conscience du risque lié aux dérèglements
climatiques et doit donc mettre en place les outils permettant de réduire son
exposition. C’est le premier volet de l’adaptation. Il est encore tout à fait
embryonnaire, et force est de constater que les moyens qui ont déjà été mis en
place dans le cadre de la réduction des émissions de GES n’ont jusqu’à présent
produit que des résultats assez limités.
La première
orientation à prendre est donc de rendre beaucoup plus efficaces et effectives
les mesures qui existent déjà, tout en soulignant que réduction et adaptation
doivent aller de pair. Or, les progrès se font de manière bien trop lente étant
donné que beaucoup de mesures restent facultatives ou du moins non
sanctionnées, ou encore au stade des orientations.
Tout
d’abord, la Commission européenne a adopté en mars 2018 un plan d’action relatif au
financement de la croissance durable, visant à réorienter les flux de capitaux
vers de l’investissement durable dans le but d’atteindre une croissance durable
et inclusive, contrôler les risques financiers liés au changement climatique
ainsi que promouvoir la transparence des activités financières et économiques
(10).
Pour autant,
l’Union européenne ne dispose pas pour le moment d’instrument normatif visant à
imposer des obligations sur ces deux types d’activités dans le cadre de
l’adaptation au changement climatique. De plus, la France ne possède pas, à
l’heure actuelle, de stratégie normative quant à la prise en compte de ces
risques dans le secteur de la finance et de l’entreprise.
En second lieu, la prise en compte du risque climatique par les
établissements financiers reste insuffisante. Ainsi, un article récent souligne que la plupart des établissements interrogés considèrent
ne pas être exposés à ce risque de façon matérielle (11). C’est évidemment une
grave erreur qui est matérialisée, puisque l’outil de reporting prévu
par l’article 173 de la loi pour la croissance verte (sur lequel on
reviendra ci-dessous) est très insuffisamment utilisé par les établissements financiers.
Un article récent dresse un bilan en demi-teinte quant aux résultats
de l’obligation de reporting. En effet, il n’y aurait a priori que
la moitié des investisseurs visés par cette obligation qui publieraient un
rapport complet sur leur prise en compte du risque climatique et ESG dans leurs
investissements, les autres le faisant de manière insuffisante (12).
En troisième
lieu, la notation extra-financière intégrant le triptyque ESG (environnemental,
social et gouvernance) devrait permettre la prise en compte de ces critères par
les investisseurs et avoir ainsi un impact significatif sur l’allocation des
investissements (13). Ce n’est malheureusement pas le cas à ce jour.
L’étude
publiée en 2018 par the
Shift Project fait état d’une prise en compte trop insuffisante et tardive
de ces critères ESG dans la notation financière, explicables notamment du fait
que ce sont des risques de long terme, alors que les investisseurs revendent
leurs obligations relativement rapidement (14). Cette étude conclut également
que l’autonomisation du risque climatique devrait s’accélérer, en raison
notamment de la dimension fondamentalement systémique, irréversible, globale,
et de très long terme du risque « climat ». Par ailleurs, le risque « climat » n’est que lentement
et partiellement intégré dans les analyses et les recherches des grandes
agences de modifier le plan de notation financière.
Enfin, en
matière de gestion de portefeuille, la « décarbonation » s’inscrit
dans une démarche d’investissement durable et responsable. Elle consiste d’abord à
mesurer l’empreinte carbone d’un portefeuille d’investissement en calculant les
émissions de CO2 générées par les activités et les produits des sociétés dans
lesquelles il est investi. Ensuite, il s’agit de financer les projets ayant
l’impact carbone le moins significatif, ce qui va renforcer l’exposition de
ceux apportant des solutions à la transition énergétique. Ce type de choix au
sein d’une institution financière contribue à promouvoir les projets visant à
réduire l’impact anthropique du changement climatique.
Cela
pourrait permettre la mise en place d’un cercle vertueux où les projets les
plus « carbonophages » ne seraient plus financés. Cette
politique se met très lentement en place et ne concerne à ce jour que les
projets relatifs au charbon et encore pas de manière générale. Toutefois, les
investissements en faveur d’hydrocarbures les plus polluants et, en
particulier, les gaz et pétrole de schiste continuent, quand bien même les
scientifiques recommandent de laisser 60 % des réserves connues dans le
sous-sol.
C’est en
définitive l’opinion publique, et dans ce domaine comme dans d’autres, qui
commence à être de plus en plus exigeante. Il ressort ainsi d’une étude publiée
par le journal Le Monde que plus de 57 % des Français
souhaiteraient que leur épargne contribue à la lutte contre le changement
climatique, alors que la Caisse des Dépôts et Consignations, bras financier de
l’État, a longtemps financé les projets polluants et fossiles au travers des
livrets A (15).
La première étape dans la mise en œuvre d’une stratégie d’adaptation
aux dérèglements climatiques consiste donc à rendre concrets les outils déjà
existants pour réduire les émissions et prendre en compte le risque climatique.
La seconde étape pourrait être celle de l’utilisation d’outils dont il
vient d’être question pour étendre leur champ d’application à l’adaptation aux
dérèglements climatiques sous ses deux aspects.
Tout d’abord, l’article 173.III. de
la loi relative à la Transition énergétique pour la croissance verte (LTECV)
prévoit une obligation de reporting et
dispose que : « la prise en compte de
l’exposition aux risques climatiques, notamment la mesure des émissions de gaz
à effet de serre associées aux actifs détenus, ainsi que la contribution au
respect de l’objectif international de limitation du réchauffement climatique
et à l’atteinte des objectifs de la transition énergétique et écologique,
figurent parmi les informations relevant de la prise en compte d’objectifs
environnementaux ».
Cet article ne fait pas mention de
l’adaptation, mais son paragraphe VI. prévoit que certains investisseurs
et institutions publient des rapports sur la manière dont ils incluent le
risque climatique et les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance
(ESG) dans leur gestion. Le triptyque de l’indice ESG comprend ainsi le critère
environnemental (la gestion des déchets, la réduction des émissions de gaz à
effet de serre et la prévention des risques environnementaux) ; le critère
social (la prévention des accidents, la formation du personnel, le respect du
droit des employés, la chaine de sous-traitance) et le critère de gouvernance
(indépendance du conseil d’administration, la structure de gestion et la
présence d’un comité de vérification des comptes, entre autres). Cet indice ESG
est donc utilisé en termes de notation d’investissements comme dans les
rapports devant être soumis dans le cadre des obligations de reporting. La
prise en compte du risque climatique pourrait être justement complété par
l’énoncé des mesures concrètes prises par les établissements financiers pour
précisément justifier de leurs efforts.
Ainsi, dans
le secteur financier, la transition vers une finance « verte »
connait une expansion fulgurante mais insuffisante dans son ampleur et sa mise
en œuvre en particulier sur la vertu « positive » de l’adaptation.
L’adaptation de la finance à la lutte contre le dérèglement climatique revêt le
terme de finance « verte » ou finance « durable » qui englobe
une multitude de mécanismes mis en place afin de répondre aux risques posés par
les conséquences du changement climatique, que ce soit sous son aspect
d’adaptation ou d’atténuation.
Dans le cadre de la communication de mars 2018, la Commission européenne
a annoncé la mise en place d’un groupe de travail concernant l’établissement
d’objectifs concrets relatifs à la finance verte, notamment afin de définir une
taxonomie des actifs durables, la création de standards et de labels pour des
produits financiers verts, l’intégration de la durabilité dans les notations et
études de marché ou encore l’intégration de la durabilité dans les exigences
prudentielles (16).
L’utilisation des green bonds ou obligations vertes aux
fins de financer des projets concrets d’adaptation du changement climatique pourrait
être envisagée. Pour financer leurs activités, les entreprises peuvent en effet
choisir d’émettre un titre obligataire sur le marché, que des investisseurs
intéressés peuvent ensuite acheter et échanger sur les marchés financiers.
Ces obligations dédiées à la finance verte se sont développées depuis la
crise financière de 2008 et visent exclusivement le financement de projets
générant des bénéfices environnementaux. Les banques comme les entreprises
peuvent émettre des green bonds
à partir du moment où ces obligations obéissent à des principes particuliers,
visant à aider les potentiels investisseurs à connaître le vrai impact
environnemental de leurs investissements.
Ainsi, les Green
Bonds Principles imposent à la partie privée de préciser la nature du
projet « vert » financé, l’assurance d’une bonne gouvernance interne,
un bon suivi de l’investissement mais surtout un reporting efficace sur
l’impact environnemental des projets une fois ces derniers effectués. Même si
la part des obligations vertes reste encore limitée (14 milliards de
dollars d’obligations vertes sont émises en France, représentant 8 % du
marché), la tendance à l’émission de green bond se renforce au niveau
européen (17).
Il serait bien entendu tout à fait possible de prévoir qu’une part de
ces green bonds doive aller vers les projets d’adaptation stricto sensu,
c’est-à-dire financer des projets permettant réellement aux entreprises et aux
collectivités locales, mais aussi aux citoyens de s’adapter aux
transformations.
Ainsi, sans
même imaginer de nouveaux instruments dont l’Union européenne va très
certainement se doter au cours de la mandature qui vient, et sans dispositions
législatives ou réglementaires supplémentaires, le seul usage des outils
existants pourrait permettre à la finance de peser réellement sur les
politiques d’adaptation aux dérèglements climatiques.
L’adaptation au changement
climatique dans le secteur de l’entreprise
Il convient
de constater que si l’on suit la définition du GIEC, le secteur de l’entreprise
est régi par un régime juridique plutôt tourné vers l’atténuation que vers
l’adaptation au changement climatique. Qu’il s’agisse des obligations de reporting
sur les actions prises en faveur de l’environnement en général ou de
l’obligation de vigilance environnementale, les unes comme les autres
pourraient être facilement modifiées pour intégrer l’adaptation sous ces deux
volets.
Les
obligations de reporting
Les obligations de vigilance et de reporting, mises à la charge
des entreprises et les enjoignant à mettre en œuvre des mesures visant à
s’adapter aux changements environnementaux et à les prévenir, sont également
des outils potentiellement efficaces.
S’agissant de la mise en œuvre des obligations de reporting, la
directive n° 2014/95/UE sur le reporting extra-financier des
grandes entreprises vise les sociétés de plus de 500 salariés et leur
impose la publication annuelle des informations relatives à leurs impacts
sociaux, environnementaux, au respect des droits de l’homme et à la lutte
contre la corruption (18). Elle ne précise pas de modèle, laissant aux sociétés
une marge d’appréciation dans la forme de la publication des informations
voulues. Ces dernières pourront ainsi appliquer les principes directeurs
internationaux ou nationaux qu’elles jugent le plus appropriés, tels que la
norme ISO 26000 ou le Pacte mondial de l’ONU.
En France, le décret du 19 août 2016 pris en application de l’article 173-IV de la
LTECV ajoute une obligation en matière de changement climatique en intégrant la
notion de reporting sur les émissions directes de l’entreprise, les
émissions indirectes associées à l’énergie nécessaire aux activités de
l’entreprise, sur les émissions indirectes et sur les émissions significatives.
Par ailleurs, l’ordonnance du 19 juillet 2017 relative à la publication d’informations non financières par
certaines grandes entreprises et certains groupes d’entreprises, ainsi que le
décret d’application du 9 août 2017 ont fait évoluer le dispositif de reporting extra-financier. Ainsi, les
entreprises doivent désormais formaliser une « déclaration de performance extra financière des entreprises » pour
laquelle sont intégrées les mesures prises pour l’adaptation aux conséquences
du changement climatique et les objectifs de réduction fixés volontairement à
moyen et long terme pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et les
moyens mis en œuvre à cet effet.
Par conséquent, des obligations de reporting concernant des mesures relatives à l’adaptation et l’atténuation
au changement climatique pèsent sur les entreprises. Dans le cadre de son plan
d’action pour le financement d’une croissance verte, la Commission européenne a
publié le 20 juin 2019 de nouvelles orientations intégrant les informations
relatives au climat parmi les données extra-financières devant être fournies
dans les rapports publiés par les entreprises (19). À l’instar des lignes
directrices de 2018, ces orientations ne sont pas contraignantes. Les
entreprises sont donc libres de privilégier d’autres approches pour la
publication d’informations concernant le climat.
Il va de soi que compte tenu de l’extrême souplesse de ces textes,
l’intégration de la prise en compte du risque climatique pour l’entreprise
elle-même, indépendamment des efforts qu’elle a pu faire pour réduire ses
émissions, ne pourrait être qu’un avantage à tous les niveaux. Cela permettrait
de se préparer effectivement aux transformations, que ce soit celles relatives
au fonctionnement de l’entreprise, de son marché ou de ses parties prenantes,
ce qui lui permettrait de pouvoir bénéficier d’une communication intéressante.
Les
obligations de vigilance environnementale
Une autre
obligation pesant sur les entreprises en rapport avec l’adaptation au
réchauffement climatique
est l’obligation de vigilance environnementale. L’article 1er de la
loi n° 2017-750 du 27 mars 2017 a consacré un article L. 225-102-4 dans le Code
de commerce ainsi rédigé : « toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs,
au moins cinq mille salariés
en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social
est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en
son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège
social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger, établit et met en
œuvre de manière effective un plan de vigilance ».
La notion de
contrôle exclusif, direct ou indirect des filiales par les multinationales
concernées permet d’élargir le périmètre d’application du devoir de vigilance
au sens des articles L. 420-2 et L. 442-6 du
Code de commerce. En revanche, le contenu de ces plans de vigilance n’est pas
clairement précisé.
Début 2019,
des particuliers et collectivités ont rendu publique leur intention d’attaquer
Total en qualité de personne intéressée pour défaut de son plan de vigilance,
puisque Total n’aurait pas inclus dans celui-ci le risque lié aux effets de ses
activités sur le changement climatique, alors que la loi implique de
cartographier les atteintes graves à l’environnement (20).
Il semble
cependant que les sanctions relatives à cette insuffisance de plan ne soient
pas nécessairement appliquées. La vigilance est ici conçue vis-à-vis de
l’extérieur. Elle pourrait être étendue à une obligation concernant l’intérieur
de l’entreprise, c’est-à-dire l’obligation qui lui serait faite de mettre en
place une stratégie interne d’adaptation aux dérèglements climatiques qui ne
soit pas seulement défensive mais positive.
En
conclusion, l’on ne peut que constater que le sujet est balbutiant. Alors que
les effets du dérèglement climatique, dont on imaginait qu’ils concerneraient
les générations futures concerne bel et bien la génération présente, le monde
économique et financier ne semble pas avoir encore envisagé sérieusement les
conséquences qui en résultent pour son organisation. La prise de conscience est
embryonnaire, mais les outils qui permettraient de progresser assez rapidement
sont déjà là, puisqu’il s’agirait simplement d’utiliser sérieusement et plus
largement les règles de droit déjà mises en place pour réduire les émissions de
GES.
NOTES :
1)
United Nations Office for Disaster Risk Reduction, « Economic Losses,
Poverty and Disasters 1998-2017 », https://www.unisdr.org/files/61119_credeconomiclosses.pdf
2)
Fédération française de l’assurance, « Impact du changement climatique
sur l’assurance à l’horizon 2040 », https://www.ffa-assurance.fr/file/883/download?token=zrmo6LyE
3)
« Projet de Stratégie Nationale Bas-carbone : la transition
écologique et solidaire vers la neutralité carbone, décembre 2018 »,
https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Projet%20strategie%20nationale%20bas%20carbone.pdf
4)
https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/AR5_WGII_glossary_FR.pdf
5)
Rapport d’information sur l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques
à l’horizon 2050 par MM.
R. Dantec et J-Y. Roux, mai 2019,
https://www.senat.fr/rap/r18-511/r18-5111.pdf
6)
« Press Release : Bold Climate Action Could Deliver US$26?Trillion to 2030, Finds Global
Commission », Global
Commission on the Economy and Climate, https://newclimateeconomy.net/content/press-release-bold-climate-action-could-deliver-us26-trillion-2030-finds-global-commission
7)
Diony Lebot, « Les risques climatiques font partie intégrante du
dispositif de gestion des risques », Revue Banque, Finance
Verte, juin 2019, p. 27
8)
Institute for Climate Economics, décembre 2018, « La finance n’a
pas encore pris la mesure des impacts climatiques », R. Hubert et
Monsieur Cardona.
9)
R. Grandjean, « Risques “climat” dans la finance : état des
lieux », mai 2018,
https://e-rse.net/risques-climat-finance-etat-des-lieux-270230/#gs.mzge35
10)
Communication de la Commission, Plan d’action : financer la croissance
durable, 8?mars 2018,
COM(2018) 97 final, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52018DC0097&from=EN
11)
Les échos, Risque
climatique : l’avertissement des régulateurs financiers au secteur
bancaire, 11 avril 2019
12)
Novethic, « Article 173 : seule la moitié des grands investisseurs
publient des informations complètes sur leurs risques climatiques », 5 juillet 2019.
13)
Rapport du think tank the Shift Project pour l’AFEP, « Analyse
du risque climat : acteurs, méthodologies et perspectives »,
février 2018, https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2018/02/Analyse-du-risque-climat-%C3%A9tude-Afep_TSP.pdf
14)
Erwan Créhalet, La dynamique du marché reste très dépendante des nouveaux
émetteurs, Revue Banque, juin 2019, p. 57.
15)
Le Monde, « L’épargne des français accusée de financer le changement
climatique », 6 octobre
2018 ; Le Monde, Au-delà d’une finance simplement verte, atteindre
« une finance véritablement dépolluée », 3 juillet 2019.
16)
Hélèna Vines Fiestas, « Un effort à court terme pour un grand bénéfice
à long terme », Revue Banque, Finance Verte, juin 2019,
p. 23.
17)
Erwan Créhalet, « La dynamique du marché reste très dépendante des
nouveaux émetteurs », Revue Banque, juin 2019, p. 57.
18)
Directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre
2014 modifiant la
directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations non
financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes
entreprises et certains groupes.
19)
Communication de la Commission, Lignes directrices sur l’information non
financière : supplément relatif aux informations en rapport avec le
climat, n° 2019/C 209/01, 20 juin 2019.
20)
Actu Environnement, « Devoir de
vigilance : des collectivités et des associations menacent Total de saisir
la justice », 25 octobre 2018.
Corinne
Lepage,
CEO Huglo
Lepage Avocats,
Docteur en
droit,
Avocate à la
Cour
Amélie
Noilhac,
Juriste,
Huglo Lepage
Avocats