Le tribunal de commerce
de Bobigny était marqué par le sceau des festivités, le 25 janvier
dernier. Son président, Francis Griveau, a en effet célébré le 30e anniversaire
du tribunal, à la suite de la traditionnelle audience solennelle de rentrée.
Une audience pendant laquelle le président est revenu sur les chiffres de
l’année écoulée, mais aussi sur les actions importantes menées par le tribunal,
particulièrement sous l’effet de récents dispositifs apportés par la loi, et
notamment en matière de lutte contre la fraude.
« Le département de la Seine-Saint-Denis est l’un des
départements les plus dynamiques de France », s’est réjoui le
président du tribunal de commerce de Bobigny, Francis Griveau, en ébauchant son
discours de rentrée. Et les chiffres le prouvent : un peu plus de
16 000 nouvelles entreprises ont été immatriculées sur les registres
du greffe du tribunal de commerce de Bobigny en 2017 – soit une hausse de
6 % en un an. Au total, ce sont d’ailleurs plus de
120 000 entreprises qui sont actuellement inscrites, pour un chiffre
d’affaires cumulé de plus de 120 milliards d’euros. Du côté des décisions
rendues, si une certaine efficacité des juges est à souligner,
2,8 décisions par jour et par juge étant recensées, le nombre de décisions
rendues a quant à lui légèrement diminué de 4 %. Par ailleurs,
statistique encourageante, dans le cadre de la prévention des difficultés des
entreprises, le tribunal a contribué à sauvegarder en 2017 plus de
5 000 emplois et un milliard d’euros de chiffre d’affaires. Des chiffres
qui ont conduit Francis Griveau à souligner les actions importantes menées par
son tribunal. En matière de prévention, justement, le président a noté la forte
implication des juges, épaulés par leurs collègues du RCS, qui relancent les
sociétés pour le dépôt des comptes et ordonnent des astreintes recouvrées par
le Trésor public. « Malgré cela, a-t-il déploré, près de la
moitié des entreprises ne déposent toujours pas leurs comptes annuels ».
Toujours sur la prévention, Francis Griveau a évoqué la création du CIP93 fin
2017, avec la participation de juges honoraires, et en collaboration avec des
experts-comptables et des avocats. Ce centre d’information sur la prévention
des difficultés des entreprises, qui était le 64e à ouvrir en
France, constitue une plateforme d’écoute et de conseil pour les chefs
d’entreprise du département. Le président a encore salué la mise en place d’une
cellule d’aide aux dirigeants à l’occasion des Chambres du Conseil, là aussi
assurée par les juges honoraires du tribunal.
Sur un tout autre sujet qu’est la lutte contre la fraude, Francis
Griveau n’a pas manqué de mentionner l’instauration du fichier des
bénéficiaires effectifs, issu de la loi Sapin 2, nouvelle formalité à
accomplir par les sociétés commerciales dans le cadre de la création d’une
société. En effet, depuis le 1er août 2017, ces dernières sont
tenues, sous peine d’une amende de 7 500 euros, de déposer au greffe
un document indiquant le nom du ou de leurs bénéficiaires effectifs. (Les
sociétés déjà existantes devront pour leur part le déposer avant le 1er avril
2018 pour régulariser leur situation). L’objectif : pouvoir identifier qui
se trouve réellement derrière une société, afin de mieux lutter contre le
blanchiment d’argent, la fraude fiscale et le terrorisme. Le président du
tribunal de commerce a par ailleurs félicité la mise en œuvre du FNIG, fichier
national automatisé des interdits de gérer, mesure qui était « particulièrement
attendue » par le tribunal, selon ses dires. Le fichier, tenu par le
Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, recense les
interdictions prononcées par les juridictions commerciales, civiles et pénales,
et comporte les interdictions prononcées par les tribunaux de commerce à
compter du 15 février 2017, non susceptibles de recours suspensif
d’exécution. Y sont inscrites les faillites personnelles et les autres mesures
d’interdiction de diriger, de gérer, d’administrer ou de contrôler – le fichier
mentionne notamment la décision ayant prononcé la mesure. La lutte contre la
fraude a cependant fait l’objet d’un regret pour Francis Griveau : « On
ne peut que déplorer que les greffes ne puissent lutter contre la fraude
documentaire lors des formalité au RCS, car ils n’ont pas accès au fichier des
titres de séjour, en dépit de demandes récurrentes », a-t-il affirmé.
Ce dernier a ensuite tenu à aborder le sujet de la formation, relevant
l’existence pour la 3e année consécutive d’un diplôme
universitaire de traitement de difficulté des entreprises à la Sorbonne, dont
deux des juges du tribunal de commerce de Bobigny ont été diplômés en 2017,
ainsi qu’un MOOC sur le même sujet.
Dernier thème abordé, et non des moindres : celui de la révolution
numérique. « Le tribunal, le greffe et les juges s’y préparent et s’y
investissent de plus en plus d’année en année », a déclaré Francis
Griveau. Les résultats, eux, affichent pour le moment une timide avancée.
Ainsi, bien que près de 3 700 avocats soient inscrits sur le RPVA
(Réseau Privé Virtuel des Avocats) du tribunal de commerce de Bobigny,
seulement 9 % des placements sont réalisés en ligne, et un nombre infime
de mises en état électronique est mis en œuvre. Par ailleurs, 17 % des
dépôts de comptes ainsi que 33 % des immatriculations au RCS sont
effectués en ligne. À côté de ce succès pour l’heure mitigé, le président du
tribunal a mis en avant l’aide informatique apportée par le greffe, « avec
des iPad en Chambre du Conseil et des écrans de grande dimension en salle de
délibéré ». « Le greffe de notre tribunal, sans être qualifié
de geek, a œuvré dans le cadre de cette révolution digitale par l’organisation
un "corner Law" le 15 décembre qui a eu beaucoup de
succès. Une ouverture du tribunal vers les legaltech
et fintech est en route, et on ne peut que s’en féliciter », a ainsi
conclu Francis Griveau.
Trente ans de tribunal
Au-delà d’un bilan, cet après-midi de rentrée solennelle était
également l’occasion de célébrer les trente ans du tribunal de commerce de
Bobigny. En guise d’intermède, le hall du tribunal s’est ainsi transformé en
scène de théâtre le temps d’une saynète, clin d’œil à l’origine du règlement
des conflits commerciaux, avant que le président Francis Griveau ne
reprenne la parole pour retracer l’histoire du tribunal, dont les débuts
remontent à 1987. Le président du tribunal de commerce l’a rappelé : le
tribunal a d’abord siégé dans un bâtiment à côté du TGI de la
Seine-Saint-Denis, avant de s’installer en 2008 avec le conseil de prudhommes
de Bobigny, offrant ainsi de bien meilleures conditions de travail. Depuis
janvier 2016, Francis Griveau a pris la suite du président Vedrenne,
et dès l’année suivante, le tribunal comportait soixante-treize juges. Le
président est également revenu sur le démarrage du greffe, fastidieux. Au
départ, il s’agissait ainsi d’un personnel de quarante personnes environ,
nécessitant une formation importante, qui a dû faire face à près de cent
mille dossiers papier en vrac, venant de Paris et de Pontoise. « Imaginez
la recherche d’un dossier RCS pour une modification ! », s’est
exclamé Francis Griveau, avant de préciser que le greffier en chef avait alors
pris la décision de faire sous-traiter la saisie informatique de ces dossiers –
chose faite à Sophia Antipolis, par la Société SG2. Par la suite, Bobigny a été
l’un des premiers tribunaux à permettre des saisies, informations judiciaires
et juridiques par les usagers, à l’aide du Minitel, puis d’Infogreffe. L’avance
technologique a également permis de notifier les décisions de justice sur
coffre-fort électronique, mais aussi aux juges d’utiliser un portail
spécifique, de saisir les requêtes en injonction de payer en ligne, et de
s’interconnecter avec le RPVA.
Trente ans d’existence d’un tribunal, c’est aussi trente ans
de chiffres. « Sur cette période, plus d’un million de décisions ont
été rendues, 333 523 entreprises ont été immatriculées,
47 995 procédures collectives ont été ouvertes », a dévoilé
Francis Griveau. Ce dernier l’a également souligné : deux cent
dix-huit juges ont participé à la vie et au développement du tribunal
depuis sa création. « Je rappelle une fois de plus le caractère
bénévole des juges consulaires, chefs d’entreprise ou cadres dirigeants de
grands groupes qui consacrent une journée de présence par semaine au tribunal
et un minimum de dix heures de travail chez eux pour rédiger les jugements »,
a-t-il salué. Le président a également profité de l’occasion pour revenir sur
les différentes et multiples réformes auxquelles le tribunal a dû s’adapter –
parmi lesquelles la réforme des faillites de 1988, la réforme des procédures
collectives, celle de 2005 baptisée « loi de sauvegarde », les
ordonnances de 2014, la loi Macron de 2015, la réforme du droit des contrats de
2016… En contentieux, la loi sur la justice du XXIe siècle du
18 novembre 2016 a donné notamment compétence aux tribunaux de commerce
pour les litiges entre artisans, qui étaient jusqu’à présent de la compétence
des tribunaux de grande instance (TGI). Cela concerne
l’article L. 721-3, dont la nouvelle version entrera en vigueur à une
date fixée par décret, au plus tard le 1er janvier 2022. En
procédure collective, la réforme du 6 août 2015, appliquée depuis le 1er mars
2016, a donné compétence à dix-huit tribunaux de commerce et à un TGI à
compétence commerciale, pour traiter de procédures affectant les groupes ou
entreprises d’une certaine taille (20 millions d’euros et deux cent
cinquante salariés minimum, ou 40 millions d’euros).
Après avoir évoqué les réformes passées, c’est vers l’avenir que
Francis Griveau s’est tourné, en évoquant, au terme de son discours,
l’évolution probable du tribunal de commerce vers un tribunal des affaires
économiques. Il l’a rappelé : lors du Congrès des tribunaux de commerce,
en novembre dernier, George Richelme avait ainsi proposé d’ouvrir la réflexion
pour faire évoluer la justice commerciale afin de faciliter la situation des
justiciables, acteurs économiques, en rassemblant dans une seule juridiction
les affaires économiques. D’autre part, la commission des lois du Sénat a
adopté récemment une série d’amendements proposant l’extension de compétence
des tribunaux de commerce pour toutes les mesures et procédures relatives à la
prévention et au traitement des difficultés des entreprises, quel que soit le
statut du débiteur, y compris les associations. En outre, sans aller jusqu’à
transférer le contentieux des baux commerciaux du TGI au tribunal de commerce,
le Sénat propose que ce dernier soit compétent pour les litiges liés aux baux
commerciaux lorsqu’une procédure collective est ouverte. Toujours quant à un
avènement d’un tribunal des affaires économiques, le président du TC s’est
montré, pour sa part, confiant. « C’est dans la logique des
choses, compte tenu de leur dynamisme, de leur compétence, et de leur
connaissance du monde des affaires », a-t-il conclu.
Bérengère
Margaritelli