Julie Couturier et
Vincent Nioré sont candidats aux fonctions de bâtonnière et de vice-bâtonnier
du barreau de Paris aux prochaines élections du 24 novembre 2020. Le JSS leur
ouvre ses colonnes, l’occasion de présenter leur programme, mais aussi de les
interroger sur l’actualité qui a marqué la profession. Entretien
Pourquoi avez-vous choisi
d’être candidat au bâtonnat du barreau de Paris ?
Notre candidature s’inscrit dans le sillage de nos
engagements syndicaux, associatifs et ordinaux de longue date au service de nos
confrères.
Si nous avons des tempéraments différents, nous
sommes complémentaires dans nos parcours.
Nous nous sommes rencontrés au conseil de l’Ordre,
après quoi, Vincent a accompli deux mandats au CNB. Nous sommes aujourd’hui
préoccupés à double titre :
• en premier lieu, par la crise que traverse le barreau : les avocats
sont de moins en moins considérés, de plus en plus attaqués et menacés dans
leur existence même, dans un contexte d’affaiblissement de l’institution judiciaire
dans son ensemble ;
• en second lieu, par la détérioration de la situation économique des
avocats, quel que soit leur mode d’exercice : ceux qui exercent à titre
individuel ont été fragilisés par la grève contre l’inacceptable réforme des
retraites puis par la crise sanitaire. Les cabinets structurés, qu’ils soient
français ou internationaux, sont également touchés, tout simplement parce que
leurs clients le sont aussi.
Face à ce constat, nous avons la vision d’un
bâtonnier confident de ses confrères, protecteur des droits de la défense et du
secret professionnel, notamment en matière de conseil. Nous n’avons pas besoin
d’un bâtonnier « père fouettard ».
En cette période troublée, les avocats ont, avant
tout, besoin d’être protégés, défendus.
Nous devons rassembler les avocats, aider les plus
fragiles et permettre à tous de se développer.
Si vous êtes élus,
quelles seraient les priorités de votre mandat ?
Les mois que nous venons de traverser nous ont
appris qu’il fallait être prudents et humbles avec les projections à long
terme.
Cela dit, nous pensons que les préoccupations de nos
confrères seront essentiellement économiques et nous serons prêts à mettre en
œuvre des mesures de soutien économique et social.
Nous voulons accélérer la transformation de la
profession, en offrant aux avocats parisiens des solutions pratiques devant
permettre d’affronter nos nouvelles conditions d’exercice.
Enfin, notre attention ira plus particulièrement aux
jeunes avocates et aux jeunes avocats, car ils sont les forces vives du
Barreau.
En cette période de
crise, comment accompagneriez-vous la relance des activités économiques des
cabinets d’avocats ?
Nous savons l’urgence et nous ne voulons pas
attendre pour venir en aide à nos confrères.
Si nous sommes élus, nous y travaillerons dès notre
élection et profiterons de l’année 2021 pour construire un plan de soutien économique et
social qui sera dévoilé au cours du second semestre 2021, afin de répondre aux
difficultés de notre Barreau dans toute sa diversité.
Enfin, il nous semble essentiel d’approfondir la
réflexion sur la nécessaire adaptation de notre déontologie au développement de
nos cabinets, dans le respect des valeurs de notre serment.
La mutation numérique est
déjà en marche. Comment envisagez-vous d’accompagner le déploiement du digital
au sein des cabinets ?
L’Ordre doit faciliter le déploiement du numérique
au sein des cabinets, en accompagnant tous les confrères quels que soient leur
maturité numérique et leurs modes d’exercice.
C’est pour cette raison que nous proposons la
création d’un cycle de formation continue pour transmettre à tous les avocats
du barreau de Paris les compétences techniques nécessaires sur des sujets
numériques aussi fondamentaux que le legal design, la cybersécurité, le
marketing digital et l’automatisation des procédures.
Nous voulons aussi créer un fonds d'investissement
du barreau de Paris, qui aura pour mission d’accompagner le développement de
projets existants ou à venir, servant de manière directe les intérêts des
avocats parisiens.
« En cette période troublée, les avocats ont, avant tout,
besoin d’être protégés, défendus. »
Comment compteriez-vous
agir en faveur de la parité et de la diversité ?
Nous rappelons que le principe d’égalité et de
non-discrimination fait dorénavant partie de nos principes essentiels au même
titre que les principes de délicatesse, d’honneur ou encore de dignité, et nous
aurons à cœur de le faire respecter tant nous sommes convaincus que le Barreau
est riche de sa diversité.
Pourtant, en fait, trop d’inégalités persistent.
Nous souhaitons notamment promouvoir l’effectivité
du congé parentalité, de quatre semaines à Paris, qui est un facteur
d’égalité car tant que la charge professionnelle de la parentalité pèsera
exclusivement sur les femmes, nous n’arriverons pas à faire exploser le plafond
de verre.
Par ailleurs, trop souvent encore, des avocates, des
avocats et des stagiaires sont victimes, dans les cabinets parisiens, de faits
de harcèlement moral ou sexuel et de discriminations.
Heureusement, la parole s’est libérée et l’Ordre a
pris la mesure de ces problématiques, mais il faut encore faire évoluer les
mentalités et poursuivre le travail engagé, notamment par une politique de
« tolérance zéro » face au harcèlement et aux discriminations, par
une communication ordinale forte sur les recours possibles et par une généralisation
des campagnes de prévention et de cycles de formation initiale et continue.
Nous voulons ainsi organiser des formations sur la négociation des
rémunérations, qui permettront de lutter contre les biais inconscients et les
phénomènes d’autolimitation.
Enfin, nous mettrons en place une permanence hebdomadaire tenue par la
bâtonnière, première confidente de ses confrères, qui les recevra
individuellement et confidentiellement afin de recueillir leur parole et de les
conseiller.
Quels sont les changements
que vous souhaitez apporter à l’Ordre ?
Il est exclu d’emprunter la posture selon laquelle il faudrait renverser
la table et tout casser.
En effet, l’Ordre de Paris a entamé, depuis plusieurs années, sa
modernisation, notamment par la certification ISO 9001 d’un grand nombre de ses services et par la mise en place d’appels à
candidatures pour le recrutement des avocats missionnés par l’Ordre.
Pour autant, la perception de l’Ordre par les avocats reste négative.
L’Ordre doit, comme toute entreprise moderne, parfaire sa transformation
et continuer à dissiper toutes les zones d’ombre qui pourraient encore
subsister en édictant des règles claires et des process simples, lisibles,
librement vérifiables à tout moment, directement tant par le conseil de
l’Ordre que par les avocats eux-mêmes.
En effet, nos confrères ont le droit de savoir
l’usage qui est fait de leurs cotisations. Oui, l’argent des avocats, ne
l’oublions jamais, est de l’argent public !
Quel regard portez-vous
sur la réforme des retraites ?
Notre régime de retraites est un régime autonome,
équilibré et pérenne pour plusieurs décennies.
C’est la raison pour laquelle nous avons, avec
l’ensemble de nos confrères, participé aux manifestations du début de l’année
jusqu’au blocage du tribunal judiciaire.
Nous
espérons que, face à un changement de priorités compte tenu de la crise
sanitaire et de ses conséquences économiques, le gouvernement aura la sagesse
de ne pas remettre ce funeste projet à l’ordre du jour.
Si tel était le cas, nous continuerions à nous
battre avec les autres instances de la profession pour sauver l’autonomie de
notre régime, notre intransigeance dans le combat n’étant évidemment pas
exclusive d’un dialogue avec les pouvoirs publics.
Quel regard portez-vous
sur la nomination d’un avocat à la tête de la Chancellerie, et de la nomination
d’une avocate à la direction de l’ENM ?
Nous portons naturellement un regard bienveillant
sur la nomination d’un avocat à la tête de la Chancellerie et d’une avocate à
la direction de l’ENM.
Cela dit, il nous a semblé que ces nominations,
plutôt que d’apaiser les relations entre avocats et magistrats, en ont ravivé
les tensions.
Nous avons au cœur de notre engagement la volonté
d’œuvrer en faveur d’une amélioration de ces relations. C’est d’ailleurs parce
que nous sommes convaincus que le dialogue entre avocats et magistrats est
essentiel que nous avons organisé, le 27 octobre dernier, une conférence sur ce sujet.
Lors de cette conférence, l’enjeu que représente la
formation a été souligné par chacun des intervenants. Nous comptons profiter de
la présence d’une avocate à la tête de l’ENM pour développer et démocratiser
les cycles de formation avocats/magistrats et les partenariats entre l’EFB et
l’ENM afin d’installer, dès la formation initiale, un socle de valeurs communes
dans le respect mutuel et la compréhension des spécificités de chacun.
C’est aussi pour cette raison que nous appelons de
nos vœux la création d’un poste d’ambassadeur permanent de la profession
d’avocat auprès de la Chancellerie, chargé des relations
avocats/magistrats/greffiers/personnels de justice, et qui apportera aussi sa
contribution à l’élaboration des textes émanant du gouvernement en matière
judiciaire et juridique.
Pour finir, en quelques
mots, quelle serait selon vous votre plus-value pour le Barreau ?
Notre plus-value, c’est l’énergie que nous mettrons
pour porter une voix forte et singulière, celle d’un bâtonnier confident de ses
confrères, protecteur des droits de la défense et du secret professionnel,
notamment en matière de conseil.
Nous partageons le même amour des avocats, les mêmes
valeurs de bienveillance, de solidarité, d’empathie et le sens du collectif.
Nous travaillerons dans le dialogue et la
concertation, en équipe, car ce qui nous anime, ce n’est pas la verticalité de
la fonction, c’est la relation à l’autre.
Propos recueillis par Constance Périn