Le 24 novembre
prochains, les avocats parisiens seront appelés aux urnes pour élire leurs
futurs représentants pour la période 2022-2023. Une élection importante,
puisque les candidats élus représenteront les avocats inscrits au barreau de
Paris durant les prochaines élections présidentielles, soit 42 % de l’effectif
total de la profession. Le JSS a interrogé
Xavier Autain et Clotilde Lepetit, candidats au bâtonnat et vice-bâtonnat.
Quels sont les principaux axes de leur programme, et comment souhaitent-ils
soutenir la relance économique des cabinets ? Entretien.
Pourquoi avez-vous choisi
d’être candidat au bâtonnat du barreau de Paris ?
Vous employez un singulier, il nous va bien, nous
sommes une équipe, un duo, nous nous connaissions et nous appréciions avant
cette campagne. C’est pour cela qu’on s’est choisis, le fait de savoir qu’on
peut ne pas être d’accord, sans se fâcher, sans querelle d’ego.
Nous sortons tous les deux de six années passées
comme élus au barreau de Paris et au CNB (sans avoir siégé ensemble, puisque
nous nous sommes croisés), et nous faisons plusieurs constats.
Notre profession a besoin d’unité : être passés tous
les deux à la fois par le Conseil et le CNB est, à notre connaissance, une
première pour deux membres d’un binôme. Notre attachement à l’unité de notre
profession est profond.
En outre, notre Barreau a besoin d’ouverture.
70 %
des avocats parisiens s’abstiennent ; l’on peut continuer à faire de la politique (car diriger l’Ordre, c’est
faire de la politique) pour soi, mais cela ne mènera à rien.
Et puis, et c’est ce que nous avons choisi, on doit,
au-delà des habituels votants, écouter les abstentionnistes et agir pour tous, pas seulement ceux exerçant en
judiciaire, pas seulement ceux dont on connaît le visage.?L’Ordre est perçu comme
lointain, opaque et manquant à la fois d’objectivité et d’utilité.
Notre Barreau a besoin de perspectives. Depuis des
années, beaucoup d’entre nous ont le sentiment de vivre dans une citadelle,
assaillie par les non-avocats, doutant de nous-mêmes, alors que nous avons la
pluralité des compétences, la force de travail, la compréhension et le
dévouement pour ne pas subir mais conquérir le marché du droit dans TOUS ses
aspects.
Si vous êtes élus,
quelles seraient les priorités de votre mandat ?
Continuer à écouter les consœurs et les confrères,
comme nous le faisons durant cette campagne.
Faire en sorte que l’Ordre soit vécu comme un
soutien, une source de solutions, et pas simplement un organe qui collecte de
l’argent et menace de réprimander ses avocats.
Cela se traduira par une professionnalisation accrue
de nos services, et notamment une meilleure lisibilité de la déontologie, qui
n’offre pas assez de sécurité juridique, indispensable tant aux avocats que
pour l’image de notre Barreau.
« Il faut accompagner et ne pas subir
les évolutions technologiques ».
En cette période de
crise, comment accompagneriez-vous la relance des activités économiques des
cabinets d’avocats ?
La Covid devrait alors (en janvier 2022) être derrière nous, du moins nous
l’espérons. Pour une relance, il faut des instruments macro et microéconomiques.
Nous créerons un Observatoire économique du Barreau
pour analyser précisément le marché du droit. Celui sur lequel nous
intervenons, mais que nous avons laissé à d’autres acteurs tels que les
experts-comptables ou les legaltech non-avocats. Aujourd’hui, on ignore
le chiffre d’affaires du Barreau, celui dans différentes matières du droit, la
croissance de chaque secteur, les marges, les besoins de droit des
justiciables. Pour répondre à cela, il nous faut des indicateurs. Nous pourrons
ainsi mener une réflexion prospective sur
la profession et proposer des actions ciblées et précises pour le développement
de nos cabinets.
En termes micro économiques, les cabinets doivent avoir accès à
des audits, des formations pragmatiques et concrètes (management, comptabilité,
marketing, informatique, toutes choses au programme de l’EFB mais qu’il faut
renouveler à une période plus contemporaine des besoins des avocats) à des coûts contenus.
Il conviendra de travailler aussi avec des
partenaires financiers répondant aux besoins de financement et de trésorerie.
Pendant la Covid, l’ignorance de banquiers, qui ne retenaient que l’absence de
personnalité morale des AARPI, ont rendu l’obtention de prêts garantis par l’État (PGE) plus compliquée pour ces structures.
Il nous faut mieux appréhender notre environnement
économique, ne plus subir les choses, être certains de nos forces, comme de nos
faiblesses, sans jamais oublier notre rôle sociétal.
La mutation numérique est
déjà en marche. Comment envisagez-vous d’accompagner le déploiement du digital
au sein des cabinets ?
En juin dernier, nous avons écrit une tribune dans Les Échos, où
nous évoquions la création d’un fonds d’investissement dans les legaltech. Cette idée doit être
bonne, puisqu’elle a été depuis reprise (avec d’autres) par nos amis Julie et
Vincent. (NDLR : Julie Couturier et Vincent Nioré, également candidats). Il
faut accompagner et ne pas subir les évolutions technologiques.
La version V2 d’e-Barreau,
développée au CNB pendant le mandat de Christiane Féral-Schuhl, est une bonne direction, et il faut
aller plus loin encore.
L’Ordre pourra labelliser des prestataires, ou
développer, logiquement avec le CNB, et aussi avec des prestataires, des outils
pour et par les avocats.
Comment compteriez-vous
agir en faveur de la parité et de la diversité ?
Clotilde, qui fut la présidente de la toute première
Commission Égalité du CNB en charge de ces questions, a déjà démontré son attachement sur ces
thématiques, c’est une préoccupation commune. Dans le cadre de cette
Commission, une Charte de Responsabilité Sociétale des Cabinets d’Avocats
(RSCA) avait été éditée, il faut la faire vivre et aller plus loin en accompagnant les consœurs et
confrères qui souhaitent rédiger la charte de leurs cabinets et leur propre
outil auto-diagnostic adaptés à leur identité et leur structure.
Nous serons vigilants et l’Ordre incitatif, qu’il
s’agisse d’égalité femme/homme (dans les carrières, les rémunérations ou aussi
les congés parentaux), de discrimination, de harcèlement. Nous améliorerons la
visibilité et le fonctionnement de la Commission Harcèlement et Discrimination
(COMHADIS) en ajoutant un numéro d’urgence dédié, et donnerons les suites
disciplinaires qui s’imposeront.
Nos itinéraires personnels nous ont sensibilisés sur
l’égalité des chances, premier pas pour permettre la diversité, c’est pourquoi
nous mettrons un œuvre un mentoring.
Un certain nombre de confrères, lorsqu’ils arrivent
dans la profession, n’ont ni les codes ni les réseaux, alors même que leurs
compétences et leurs talents ne demandent qu’à s’épanouir.
Le mentor répond à ça, un parrain dans la profession, quelqu’un qui vous
écoute, vous apprend ce que les écoles n’apprennent pas, vous guide, vous
écoute.
L’accueil au barreau de Paris est très perfectible.
Quels sont les
changements que vous souhaitez apporter à l’Ordre ?
D’abord, il y a plein de choses qui fonctionnent, de
choses à maintenir, faire perdurer à
l’Ordre, faire évoluer ou mieux faire connaître.
Et puis, il y a des choses à changer.
Il faut une plus grande transparence, pour ne pas
nourrir les suspicions d’entre soi, réelles ou fantasmées. L’éthique et la
transparence sont un passage obligé, pas simplement en apparence, mais dans la
réalité, pas seulement pour nourrir la confiance démocratique et ramener les
confrères à voter, mais parce qu’en tant qu’institution publique qui tire son
pouvoir de la loi, un Ordre professionnel doit être vertueux pour justifier de
sa légitimité. Nous créerons dans ce sens un poste de directeur de l’Éthique et de la
Conformité indépendant, qui s’assurera du caractère toujours irréprochable de
l’Ordre en publiant un rapport annuel.
C’est d’ailleurs cette exemplarité de l’Institution
qui justifie notre autonomie ; qui légitimise la gestion de notre
discipline, et justifie aussi la sanctuarisation du secret professionnel que
nous confient nos clients.
Quel regard portez-vous
sur la réforme des retraites ?
C’est un épisode intéressant, parce que pour la
première fois, il a mis en évidence une volonté d’unité dans notre profession,
au-delà des modes d’exercice.
Nous avons un système autonome depuis 70 ans, solidaire entre
avocats, égalitaire femme/homme, solidaire avec le reste de la nation – nous
reversons 100 millions par an au système de compensation.
Nous aurions donc dû servir de modèle plutôt que de
voir des technocrates vouloir créer un système prétendument universel, très
désavantageux pour les avocats et mettant en risque les confrères aux revenus
les plus modestes, alors même qu’ils sont les piliers de l’accès au droit.
On ne va pas reprendre ici l’ensemble des arguments,
en particularité de solidarité, que nous avons portés (Xavier, notamment, tant
auprès des pouvoirs publics que dans les médias).?Il faut rester vigilant, la réforme
des retraites a été votée par l’Assemblée nationale et rien ne dit qu’après la
Covid, le gouvernement n’y revienne pas.
Quel regard portez-vous
sur la nomination d’un avocat à la tête de la Chancellerie ? Et de la
nomination d’une avocate à la direction de l’ENM ?
La nomination d’un avocat à la Chancellerie n’est
sans doute pas étrangère au mouvement contre la réforme des retraites de
l’hiver dernier.
C’est bien d’avoir un professionnel à la tête de ce
ministère, mais ça ne garantit rien sur son action, ni son budget.
Prenons par exemple la question du secret
professionnel. Le ministre annonce une commission (comme disait Clemenceau,
quand on veut enterrer une question, on met sur pied une commission).
Pour quoi faire d’ailleurs ? Le CNB a voté un rapport il y
a quelques jours, fruit de travaux et de discussions abouties, nous connaissons
les solutions.
Il faut une loi, et rapidement, sur ce sujet
brûlant.
Nous jugerons aux actes, à la capacité à discuter
avec les représentants élus de la profession d’avocats, à obtenir un budget
digne d’un plan Marshall de la Justice.
Le ministère de la Justice ne doit pas être le seul
interlocuteur des avocats, nous devons parler avec plein d’autres ministères,
des administrations, les exécutifs locaux.
Concernant la désignation de Nathalie Roret à la
tête de l’ENM, c’est une belle symbolique. C’est une avocate de qualité, une femme engagée,
c’est une bonne nouvelle selon nous qui prônons l’interpénétration des
formations des professions judiciaires et juridiques.
Cette candidature aurait pu être soumise au CSM,
pour respecter un peu les formes et faciliter l’arrivée de Nathalie, évitant de
fournir du carburant à ceux qui n’y voient qu’une provocation.
Pour finir, en quelques
mots, quelle serait, selon vous, votre plus-value pour le Barreau ?
Nous n’étions pas attendus, pas programmés pour cette élection. Mais une
volonté de réforme nous anime, que l’Ordre réponde et ressemble aux 32 000
avocats parisiens, pas simplement au microcosme des élus.
Cette position nous rend libres de résoudre les
questions, d’entendre les remises en cause, pour que l’Ordre redevienne la
maison commune de chacun.
Propos recueillis par Constance Périn