Accueilli par Danielle Monteaux, présidente
du Cercle, et Jean Castelain, son fondateur, Bernard Cazeneuve s’est exprimé à
la Maison de l’Amérique latine, le 13 février 2018, devant les membres réunis
autour d’un dîner. Le Premier ministre a occupé la fonction cinq mois. C’est la
plus courte durée d’exercice à ce poste depuis le commencement de la Ve
République.
Pour Bernard Cazeneuve, c’est dans l’exercice de l’État que la passion
de la politique s’exprime de la façon la plus grande et la plus belle. Il se
décrit comme quelqu’un qui adhère à des valeurs qui n’ont plus cours. Et son
comportement désuet en fait un personnage totalement « vintage ».
Selon lui, lorsqu’un responsable vous introduit à une responsabilité éminente,
vous lui devez la loyauté, au moins jusqu’à la fin de son mandat. Bien sûr, la
trahison a toujours existé en politique, mais il ne faut pas non plus l’élever
au niveau d’une vertu.
Fidèle jusqu’au bout à sa ligne de conduite assez peu partagée, il a,
au lendemain des élections présidentielles, décidé de prendre de la distance et
de se donner le temps de réfléchir. Il pense qu’il n’est pas primordial
d’apporter la démonstration quotidienne qu’on est indispensable. Il faut juste
savoir si on peut être utile. Cela demande sporadiquement de prendre le temps
de la réflexion dans les moments difficiles.
La droite et la gauche existent encore dans le pays. On ne peut pas
imputer à Emmanuel Macron ce qu’elles sont actuellement. Le président a certes
atteint son objectif immédiat, mais l’histoire politique de notre pays
s’inscrit sur du long terme. Rien n’est écrit d’avance.
Résolument européen, le Premier ministre estime que l’Union ne doit pas
se traduire comme une fuite en avant dans des traités successifs, simplement
parce qu’aller vers un processus d’intégration toujours plus vaste, sans que ce
mouvement ne se concrétise par des projets, nous rendrait plus fort. Notre
continent ne présente pas le même visage s’il lance un plan sur des sujets
comme la transition énergétique, l’innovation technologique, la formation
universitaire, les transports de demain, que s’il ratifie un énième traité
illisible qui accroit un peu plus sa souveraineté. L’opinion publique,
l’adhésion des électeurs dépendent de leur lecture de l’action menée par les
27.
La police de proximité se trouve dans la rue, au contact, pour que les
citoyens aient un sentiment de sécurité. C’est un objectif louable qui demande
des créations de postes et des équipements qu’il faut éviter de prendre à la
police d’investigation. Depuis cinq ans, les
moyens attribués ont été rehaussés.
La menace terroriste est toujours aussi élevée en France et en Europe.
Le travail entrepris, à l’extérieur de nos frontières, pour démanteler les états-majors de Daesh en Irak et en
Syrie, complique l’organisation de la planification d’attentat sur notre
territoire. Néanmoins, endoctrinement et communautarisme n’y ont pas disparu,
et l’absence de tragédie depuis quelques mois, n’en signifie pas la fin.
Bernard Cazeneuve raconte : « En 2014, nous avons pris des
dispositions pour bloquer des sites qui appelaient au terrorisme. Certaines
voix ont alors clamé qu’il s’agissait d’une atteinte à la neutralité du Net et
à la liberté d’expression sur le Web. Pourtant, les mêmes personnes n’auraient
pas accepté, par exemple, qu’un groupe de manifestants scande "mort
aux juifs" dans les rues de Paris. Et donc, dans leur esprit, ce qui
était inacceptable dans la rue, devenait subitement acceptable sur Internet. On
ne peut pas l’admettre ».
La déclaration de l’état d’urgence s’est imposée suite à des tueries
abjectes qui précédaient de peu la COP 21. Pour certains, c’est une atteinte à
l’état de droit, c’est une façon
honteuse d’évacuer le juge judiciaire des mesures et des contrôles de police
administrative. Or, depuis l’arrêt Blanco de 1873, l’arrêt Benjamin de 1933,
l’arrêt Canal de 1962, il est établi que le juge administratif est un juge de
liberté autant que le juge judiciaire. Par ailleurs, égorger un prêtre à
Saint-Étienne du Rouvray ; assaillir un supermarché casher ; attaquer des
policiers municipaux ou des militaires qui incarnent l’État de droit ; assassiner
des journalistes et des caricaturistes qui symbolisent la liberté d’expression
jusqu’à l’impertinence ; faucher des promeneurs à Nice avec un poids lourd,
toutes ces violences s’en prennent à nos libertés fondamentales. Il faut les
défendre contre ces actes extrêmes.
La politique migratoire ne doit pas être instrumentalisée. Elle est
humanitaire, il n’y a pas lieu de s’en glorifier. En cinq ans, le précédent gouvernement a doublé le nombre de places dans les
centres d’accueil pour le porter à 80 000. Sans
cet effort, la France ne pouvait pas assumer les demandes d’asile. Par
ailleurs, il n’est pas souhaitable pour Bernard Cazeneuve d’incorporer dans les
textes relatifs à l’asile, des éléments concernant le séjour, ni introduire
dans les textes relatifs à la lutte anti-terroriste des dispositions touchant
le droit des étrangers.
C2M