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Centenaire de l’armistice : une commémoration exceptionnelle au Palais de la Cité… mais qui est le soldat méconnu du Monument aux Morts du Palais ?

Centenaire de l’armistice : une commémoration exceptionnelle au Palais de la Cité… mais qui est le soldat méconnu du Monument aux Morts du Palais ?
Publié le 19/11/2018 à 15:30

En ce mois de novembre 2018, la commémoration de l’Armistice a connu une ampleur sans précédent en France. À Paris, dans la Salle des Pas Perdus du Palais de la Cité, la Magistrature et le Barreau se sont unis dans le souvenir des membres de la famille judiciaire morts au combat. Après un lent défilé à travers les galeries du palais, dans un silence ponctué de chamades des tambours de la Garde Républicaine, les responsables du Barreau de la capitale, les plus hautes autorités judiciaires, les élus parisiens et les autorités militaires sont allés se recueillir devant le Monument aux Morts du Palais, porteurs de leurs robes noires et rouges, de leurs ceintures tricolores, de leurs uniformes.




Marie-Aimée Peyron, Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris, d’une voix forte, a évoqué la brutalité des combats, le nombre des avocats ayant laissé leur robe au vestiaire, habités par le sens du devoir, a demandé qu’on entretienne leur souvenir, et a rappelé que le Barreau avait été cité à l’ordre de l’Armée pour ses morts glorieux et son esprit de sacrifice. Le Vice Bâtonnier Basile Ader a lu les courriers et retracé les actions d’avocats combattants au comportement héroïque, ce qui valut au Barreau d’être décoré de la Croix de Guerre. Philippe Ingall-Montagnier, 1er Avocat général assurant l’intérim du Procureur général près la Cour de Cassation mit l’accent sur la nécessité d’une justice exemplaire qui ne doit jamais faire des exemples. Bertrand Louvel, Premier président de la Cour de cassation, évoqua les magistrats qui tombèrent, dont de nombreux issus de territoires français lointains, et insista sur le nécessaire recueillement que doit susciter le sacrifice des Anciens.


 


 



 


Une Marseillaise entonnée par le Chœur de la Garde Républicaine, dont les voix masculines firent résonner les voûtes de l’immense salle qui connut tant de grands épisodes de l’Histoire de France, fut un grand moment d’émotion et clôtura cette cérémonie d’une rare intensité et d’une grande dignité réunissant tous les acteurs du monde judicaire dans le souvenir respectueux de leurs prédécesseurs, la plupart du temps de très jeunes gens, morts pour la Patrie.


 




Plusieurs gerbes furent déposées devant le Monument réalisé par le sculpteur Paul Albert Bartholomé (1848-1928). Celui-ci, ami de Degas, fut choisi car il avait acquis une grande renommée dans la sculpture funéraire, en particulier au cimetière du Père Lachaise. Le monument met en scène une femme, qui est tout à la fois la France et la Justice, qui a les traits de la seconde épouse de l’artiste, Florence Letessier, et un soldat, qui se prosterne devant la France qu’il vient de défendre, devant la Justice qu’il a remplie de fierté. Un soldat porteur d’une épée, mais surtout d’une robe d’avocat.






Après la décision prise en 1919 de concevoir un Monument aux Morts au sein du Palais de la Cité, il fallut désigner, comme modèle pour la sculpture, parmi les valeureux combattants survivants, un acteur du monde judiciaire. Le choix se porta tout naturellement sur Fernand Mouquin, né en 1888, docteur en droit, licencié ès lettres, jeune avocat ayant prêté serment devant la cour d’appel de Paris en 1911 à l’âge de 22 ans, mais surtout brillant officier dont la bravoure lui avait valu la Légion d’Honneur sur le champ de bataille.



 


Sur les 2 550 avocats que comptait le Barreau de Paris en 1914, la moitié, soit 1 275 d’entre eux, fut mobilisée et 231 d’entre eux, soit plus de 10 % de l’effectif total de l’Ordre, sont morts pour la France entre le 10 août 1914?et le 9 novembre 1918. Une belle exposition organisée au Musée de l’Ordre des avocats, 25, rue du Jour à Paris, visible jusqu’au 31 décembre 2018, retrace, en présentant des témoignages et des documents d’époque, le combat de ces juristes, de ces défenseurs qui ne revinrent pas pour avoir été les défenseurs de la patrie.


Fernand Mouquin, lui qui, officier de cuirassiers à pied, menait ses hommes à la victoire en préservant leur vie, survécut. Et il survécut longtemps car, en 1983, il devenait à 95 ans doyen de l’Ordre. Puis, centenaire, il continua à arpenter le Palais. Il mourut en 1992?à l’âge de 103 ans.


L’avocat-soldat posa 12 fois devant Bartholomé, sans jamais cependant rencontrer ou croiser la figure féminine de la sculpture. Le monument fut inauguré en 1922.


Mouquin était aussi écrivain, et poète à ses heures. C’est ainsi qu’il rédigea un poème « auto-descriptif », intitulé « La Justice des Pas Perdus » se mettant en scène devant son portrait en marbre :


"Dans la salle des Pas Perdus – On voit un drôle d’avocat, – Lourd, épais ou plutôt dodu, – Portant la robe et le rabat – Avec un casque sur la tête. – Depuis plus de soixante ans – Il persiste, ou mieux s’entête – À tourner le dos aux passants – Et à se tenir à genoux – Devant une justice de marbre, – À laquelle il se tient et noue – Comme le lierre tient à l’arbre –  Je me demande si l’on est dix – À savoir quel est le confrère – Agenouillé devant Thémis – Qui l’arme d’un air dur et sévère. – Point n’invente, non plus ne me vante, – Aurait dit Ronsard autrefois, – Et sans crainte qu’on me démente, – Je dis : « Confrère, cest moi ». – Le bâtonnier m’a désigné –
Il m’a fallu le lendemain – me rendre chez Bartholomé – Qui m’attendait, marteau en main. – Il n’est pas vrai que j’ai posé – Avec une femme en chemise. – Ce modèle, rôle achevé, – Avait quitté la pose prise. – Et voici plus de soixante ans – Que sans flatterie ou malice – Je rends un hommage fervent –
À une idéale Justice. "


 



 


Les avocats français payèrent un lourd tribut lors de la Grande Guerre, démontrant que la défense n’était pas qu’un concept juridique ou philosophique, ou encore un devoir déontologique et professionnel, mais était aussi un engagement personnel et collectif total. Fernand Mouquin en fut assurément l’un des plus beaux exemples.


 


Étienne Madranges,

Avocat à la cour,

Magistrat honoraire


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