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Chantal Arens : mieux connaître la Première présidente de la Cour de cassation

Chantal Arens : mieux connaître la Première présidente de la Cour de cassation
Publié le 12/09/2019 à 17:16

Le 6 septembre 2019, Chantal Arens a été installée dans ses fonctions de première présidente de la Cour de cassation. Depuis que les femmes ont eu le droit d’accéder à la magistrature en 1946, elle est la deuxième à être nommée à ce poste sommital du corps judiciaire (1). Par essence, elle incarne un modèle identificatoire pour les femmes.

Chantal Arens naît le 10 août 1953 en Meurthe-et-Moselle, et passe son enfance à Thionville puis à Reims. Sa mère, professeure d’histoire-géographie, assure son éducation, suite au décès de son père alors qu’elle n’a que trois ans. Elle confie au journal L’Est Républicain : « Cela forge forcément votre caractère. » (2)

 


Une femme juge dans les années 80

Après ses études de droit, elle s’imagine avocate (3), en souvenir d’un ancêtre ayant exercé au moment de la Révolution française, mais sur les conseils d’une amie, elle passe le concours de la magistrature. En 1977, elle entre à l’École nationale de la magistrature (ENM) à l’âge de 24 ans.

Juge à Sarreguemines, chargée du tribunal d’instance de Saint-Avold, elle débute en 1979. Elle se souvient : « J’étais la première femme à occuper ce poste, les gens ne savaient pas comment m’appeler », et en garde une affection particulière pour le métier de juge d’instance. Tour à tour juge au TGI de Metz puis vice-présidente à Thionville, Chartres et Versailles, elle construit son approche du litige et sa pratique juridictionnelle.




Une décennie de diversification des expériences

Entre 1989 et 1993, détachée au ministère des Postes et télécommunication et de l’espace, cheffe du bureau du droit communautaire, elle vit l’ouverture à la concurrence du marché du téléphone et des services postaux.

Entre 1993 et 1999, elle exerce au parquet de Paris. En charge de la section « délinquance astucieuse » du pôle financier, sa familiarité avec la matière économique et financière y puise sa source.

Puis entre 1999 et 2002, au sein de l’Inspection des services judiciaires, elle participe aux contrôles de fonctionnement, enquêtes administratives et rapports thématiques, qui enrichissent sa connaissance du système judiciaire français et des arcanes administratives.

 

 

Une succession de présidences dans les années 2000

En 2002 Chantal Arens débute, à 49 ans, un parcours de présidente. Elle accède à la hors hiérarchie en étant nommée à la tête du tribunal de grande instance d’Évreux, où elle s’emploie à moderniser les méthodes de travail, en expérimentant les prémices de la communication électronique avec les avocats.

À Nanterre, elle franchit une nouvelle étape en prenant la direction du tribunal des Hauts-de-Seine. Elle mobilise ses compétences humaines, organisationnelles et budgétaires (4). Sa puissance de travail et sa rigueur gestionnaire sont remarquées.

Adossée à cette légitimité, elle est choisie en 2010 pour diriger le tribunal de grande instance de Paris, où elle marche déjà sur les traces de Simone Rozès (5). Durant cette période, elle donne toute la dimension d’une méthode participative, théorisée dans son rapport sur le projet de juridiction. Elle y propose une gouvernance humaine qui renforce la communauté de travail et améliore la qualité du service rendu au justiciable. Selon elle, un(e) chef(fe) de juridiction doit donner du sens aux missions et favoriser le travail en commun, mettre en perspective en interne sans négliger la visibilité à l’extérieur. Elle reconnait que pour les responsables, le management participatif est beaucoup plus exigeant qu’une approche directive, car il nécessite à la fois d’être à l’écoute, de traduire les attentes, tout en tenant le cap de l’intérêt de l’institution6. Attachée à la mise en œuvre concrète des principes, Chantal Arens installe des commissions, des groupes de travail afin d’organiser la circulation de la parole. Le projet de juridiction du TGI de Paris 2014/2017, issu de ce processus sous son égide, prépare notamment la construction d’un nouveau palais de justice dans la capitale.

Elle résume : « C’est l’action que l’on mène qui compte, la capacité à mobiliser autour de valeurs partagées et d’objectifs clairement définis. » (7)

En septembre 2014, à 61 ans, Chantal Arens prend la tête de la cour d’appel de Paris et livre sa définition d’une première présidente : « Une figure exemplaire inspirant respect et fierté dans ses prises de positions comme dans ses actes. » (8)

Lors de son installation elle s’inscrit dans la lignée de Myriam Ezratty (9), à laquelle elle rend hommage dans un colloque (10) : « Pour nous les femmes, elle a ouvert la voie. » Elle aborde cette nouvelle étape en donnant du sens au deuxième degré de juridiction, tout en restant proche des tribunaux du ressort qu’elle connaît, visite et contrôle régulièrement.

 

 

Une grande attention aux personnes

Attentive aux autres, quelle que soit la taille de la structure qu’elle dirige, Chantal Arens a la réputation de connaître chacun(e) par son nom, ses interlocuteurs se disent souvent impressionnés par sa mémoire des conditions de tous. Préférant la valorisation et la considération aux modèles anciens et verticaux, le dialogue social constitue pour elle un facteur de cohésion interne. Elle parle souvent de confiance, celle dont elle a bénéficié de la part de l’institution, celle qu’elle accorde aux autres pour libérer les énergies, enfin, celle qu’elle souhaite renouer entre les magistrats et les citoyens.

Elle n’hésite pas à protéger les juges des tentatives de déstabilisation. Elle le fera en 2014, lorsque l’ancien président de la République (11) met en cause l’impartialité de la justice dans une tribune (12), puis conteste une garde à vue en médiatisant ainsi sa comparution : « Je me suis assis en face de ces "deux dames", juges d’instruction, elles m’ont signifié, sans même me poser une question, trois motifs de mise en examen. »

C’est l’occasion d’une prise de position publique sous la forme d’un communiqué de la présidence du TGI de Paris en ces termes : l’indépendance juridictionnelle des juges est une condition essentielle de la démocratie. Les juges d’instruction instruisent à charge et à décharge. Leurs décisions sont soumises au contrôle des juridictions supérieures (13). Elle confirme cette posture protectrice en qualité de première présidente en déclarant : « Je défendrai toujours les hommes et femmes de justice qui feraient l’objet d’attaques injustifiées de quelque nature qu’elles soient. » (14)

Chantal Arens souhaite une magistrature moderne et ancrée dans les territoires, où elle engage les juges à prendre leur juste place. Connue pour son exigence sur les questions éthiques et comportementales, l’École nationale de la magistrature se tourne vers elle pour solliciter son avis sur les tests psychologiques pratiqués depuis 2009. Elle en préconise la suppression, actée en 2018.

Par sa connaissance du corps, son attention aux profils et projets de ses membres, Chantal Arens aborde naturellement les missions de présidente de la formation du siège du Conseil supérieur de la magistrature, chargée des nominations et de l’activité disciplinaire, ainsi que celle de présidente du conseil d’administration de l’École nationale de la magistrature, qui sont de facto liées au mandat de première présidente de la Cour de cassation.





François Molins et Chantal Arens

 



Une réflexion sur la justice

Pour Chantal Arens, il ne s’agit pas seulement d’appliquer la loi, mais de rendre la justice. Afin d’assumer au mieux cet office, il lui parait indispensable que le juge réfléchisse à son action et que le tribunal soit un lieu de pensée. Aussi a-t-elle toujours initié de nombreux temps d’échange, tables rondes et colloques. Elle fait en sorte que les enceintes judiciaires résonnent des idées du moment, en lien avec l’université, les avocats ou les autres ordres juridictionnels.

La place du juge dans la cité et sa capacité à communiquer sont des sujets qui lui tiennent à cœur et lui inspire un cycle de conférences baptisé « Le juge à l’écoute du monde » (15) puis « Le juge à la rencontre du monde ». Elle tient à ce que chaque temps intellectuel ait un aboutissement pragmatique : la réflexion au service de la pratique qui la prolonge. La conférence sur le préjudice en matière économique et commerciale (16) permet au groupe de travail de mettre à disposition des collègues des fiches pratiques ; celle sur la responsabilité aboutit à des propositions à la direction des Affaires civiles et du sceau de la Chancellerie.

Consciente de l’enjeu pour la Place de Paris de tenir son rang dans le règlement des litiges commerciaux internationaux, Chantal Arens veut inscrire la cour d’appel dans le mouvement du monde. Aussi a-t-elle consacré son énergie à l’installation en mars 2018 de la chambre commerciale internationale, devant laquelle les plaidoiries peuvent avoir lieu en langue anglaise.

Pressentant les évolutions, elle souhaite transformer l’institution. Même si sa conviction est forgée : « Nous avons changé de siècle mais nos méthodes sont encore ancrées dans le passé », « notre modèle est dépassé », elle précise : « les premières pierres ont été posées, de manière plus ou moins silencieuses. Chacun sent, parfois de manière inconsciente, que le mouvement est amorcé. » (17)

 

 

Une personnalité

Les observateurs qualifient souvent Chantal Arens de calme, droite, posée, discrète, énigmatique, sobre, réservée. Adepte de sagesse orientale, mêlant équilibre et patience, ses voyages en Asie sont pour elle des respirations régulières : Chine, Tibet, Bhoutan, Ouzbékistan. Son chemin personnel illustre la conviction de Victor Hugo, qu’elle avait citée : « La persévérance est le secret de tous les triomphes. » (18)

Fédératrice, elle cherche l’adhésion, incite plutôt qu’elle ne prescrit, préfère convaincre que d’imposer (19). Déterminée, elle assume ses engagements avec constance. Elle a soutenu l’association Femmes de justice dès sa création en 2014. Adhérente de la première heure, elle a assisté aux assemblées générales et encouragé à maintes reprises les actions. Convaincue de l’utilité des réflexions sur la mixité, l’accès aux postes de responsabilités, l’analyse des mécanismes du plafond de verre, la féminisation des titres, elle a régulièrement ouvert la cour d’appel de Paris au dialogue sur ces sujets, notamment à l’occasion d’un colloque interministériel sur la mobilité géographique (20). Par ces échanges sur l’égalité femme/homme, elle encourage les femmes à penser leur parcours professionnel individuel tout autant que leur destin commun.

Elle est Chevalière de la légion d’honneur depuis 2000, elle accède au grade de commandeur de l’ordre national du mérite en 2018.

Chantal Arens a désormais pour tâche de représenter l’autorité judiciaire, pour laquelle elle a toujours souhaité un rayonnement à la hauteur de sa mission au sein de la République.

 

 

1) Après Simone Rozès – portrait dans le JSS du 6 juillet 2019

2) 20 mars 2016 – propos recueillis par Christophe Gobin

3) Elle est titulaire du certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA)

4) Entretien de l’autrice avec Pascal Le Luong et Nathalie Bourgeois de Ryck le 26 juillet 2019

5) Simone Rozès, présidente du TGI de Paris entre 1976 et 1981

6) Rapport « le projet de juridiction » – mai 2015 – pages 7 et 19

7) Semaine juridique du 7 juin 2010 – propos recueillis par Florence Creux-Thomas

8) Discours d’installation en qualité de première présidente de la cour d’appel de Paris du 3 septembre 2014

9) Première première présidente de la cour d’appel de Paris entre 1988 et 1996

10) 2 février 2018 – colloque cour d’appel de Paris – voir JSS du 5 mai 2018

11) Nicolas Sarkozy

12) « Ce que je veux dire aux Français », Nicolas Sarkozy – Le Figaro – 21 mars 2014

13) Communiqué du 3 juillet 2014

14) Discours d’installation en qualité de première présidente de la cour d’appel de Paris du 3 septembre 2014

15) Colloques de printemps du TGI de Paris – 21 mars 2013 et 8 avril 2014

16) Conférence du 18 mars 2014

17) Discours de rentrée de la cour d’appel de Paris – janvier 2018 et janvier 2019

18) Discours de rentrée de la cour d’appel de Paris – janvier 2019

19) Le Figaro – 5 juillet 2019 – propos recueillis par Paule Gonzales : elle ne dit pas « je veux » mais « je souhaiterais »

20) Colloque du 6 mai 2015, organisé avec les associations Femmes de l’Intérieur et Femmes & diplomatie

 

 

Gwenola Joly-Coz,

Présidente du TGI de Pontoise,

Membre de l’association Femmes de Justice




Retrouvez tous les portraits de femmes pionnières, réalisés par Gwenola Joly-Coz


 


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