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Clause de garantie de passif : une occasion manquée de lever les doutes entourant la détermination du bénéficiaire

Clause de garantie de passif : une occasion manquée de lever les doutes entourant la détermination du bénéficiaire
Publié le 03/09/2018 à 09:01

Commentaire de décision : Cass. com., 8 mars 2017, n° 15-19.174


Dans un arrêt rendu le 8 mars 2017 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, l’occasion a été donnée de statuer sur l’identification du bénéficiaire d’une clause de garantie d’actif et de passif en cas de cession d’actions.




Deux actionnaires personnes physiques cèdent la majorité des actions qu’ils détiennent au sein d’une société à une société cessionnaire. A la suite de cette cession, les cédants versent au cessionnaire une somme d’argent en exécution d’une clause de garantie d’actif et de passif en raison d’une condamnation de la société dont les titres ont été cédés pour des manquements à la réglementation et à l’hygiène du travail. Entre-temps, la société dont les titres ont été cédés est mise en liquidation judiciaire. La société cessionnaire et celle dont les titres ont été cédés assignent les cédants en paiement de sommes supplémentaires.


Le tribunal de grande instance de Taverne a accueilli partiellement leur demande le 13 novembre 2012, suivi par la cour d’appel de Colmar le 25 mars 2015.


Devant cette décision, le liquidateur du cessionnaire et de la société dont les titres ont été cédés forme un pourvoi en cassation. Il fait grief à la cour d’appel de ne pas avoir respecté le principe de la force obligatoire des contrats en ayant dénaturé la convention de garantie d’actif et de passif. Le requérant considère que la société dont les titres ont été cédés était désignée clairement comme bénéficiaire de la « prise en charge ». Selon lui, l’argument de la cour d’appel selon lequel la convention n’indiquait pas sous quelle forme la prise en charge devait se faire ni si elle devait se faire par le biais d’un versement direct dans les caisses de la société n’était pas pertinent pour l’exclure du bénéfice de la garantie. Enfin, il estime que la cour d’appel aurait dû considérer que la société dont les titres ont été cédés avait la qualité de bénéficiaire de la prise en charge en comparant l’engagement général de garantie et l’engagement spécifique de prise en charge expressément stipulé dans la convention.


En somme, il était demandé à la Cour de cassation de vérifier si les conditions étaient réunies pour dire si la société dont les titres sont cédés pouvait être considérée comme la bénéficiaire d’une convention de garantie d’actif et de passif au titre d’une obligation de prise en charge pesant sur le cédant.


En l’occurrence, la Cour de cassation apporte une réponse négative à cette question et confirme partiellement la décision rendue par la cour d’appel. Selon elle, « le bénéficiaire d’une garantie d’actif et de passif est, en principe, le cessionnaire des droits sociaux et (…) si la convention de cession peut faire de la société dont les titres sont cédés le bénéficiaire de la garantie, de façon exclusive ou encore en parallèle avec le cessionnaire, il faut que le pacte de cession renferme une stipulation claire en sa faveur ». Or , les juges du droit considèrent que tel n’était pas le cas en lespèce.


Cette solution confirme la jurisprudence antérieure selon laquelle une garantie de passif et d’actif est en principe stipulée en faveur du cessionnaire acquéreur des titres (I). Il n’est toutefois pas certain qu’elle éclaire définitivement la matière, tant il persiste des incertitudes (II).


 

I. Une décision apparemment rigoureuse et conforme à la jurisprudence antérieure


La présente décision rappelle le principe selon lequel le cessionnaire des titres est le bénéficiaire de la garantie en l’absence de stipulation contraire (A). En cela, elle se situe dans la lignée d’une jurisprudence constante (B).


 

A. Le cessionnaire des titres, bénéficiaire de la garantie d’actif et de passif


Le cessionnaire qui se sent mal protégé par les règles légales de garantie ne va accepter d’acquérir un bloc d’actions majoritaire que dans la mesure où son vendeur lui concède le bénéfice d’une garantie conventionnelle.


A côté de  la clause de garantie de passif, qui est la plus connue, dautres clauses protègent le cessionnaire : la clause de garantie d’actif net ou de bilan, la clause de garantie de passif et d’actif, la clause de révision de prix, la clause de garantie de rentabilité ou de garantie de résultat, la clause de earn out et la garantie conventionnelle de non-cessation des paiements (1).


La clause de garantie de passif et d’actif, utilisée en l’espèce, appelée aussi garantie de reconstitution, assure de façon cumulative la garantie de l’actif et du passif. Elle est souvent confondue avec la clause de révision de prix qui permet une indemnisation du fait de l’apparition d’un passif ou du fait de la diminution de l’actif net. Mais, contrairement à la garantie d’actif et de passif où l’intégralité du passif et de l’actif est prise en charge quel que soit son montant, la clause de révision de prix ne peut jamais conduire à une restitution supérieure au prix de cession.


Théoriquement, dans une clause de garantie de cession, trois bénéficiaires sont envisageables : l’acquéreur des titres ; la société dont les titres sont cédés ;  et les créanciers de celle-ci. La question de la détermination du bénéficiaire se pose avec davantage d’acuité encore en labsence de désignation claire du bénéficiaire dans la clause de garantie dactif et de passif. Cest tout l’intérêt du présent arrêt  que dapporter des éléments de réponse à ce sujet. En l’espèce, il ressort qu’à défaut  de stipulation claire, cest le cessionnaire qui doit être considérécomme bénéficiaire de la clause de garantie dactif et de passif.


 

B. La nécessité d’une stipulation pour autrui pour faire profiter la garantie d’actif et de passif à un tiers à la cession


Selon certains (2), c’est la première fois que la haute juridiction affirme aussi nettement qu’ « en principe », c’est le cessionnaire des droits sociaux qui est le bénéficiaire d’une garantie d’actif et de passif. En réalité, la question n’est pas nouvelle. Plusieurs décisions ont eu l’occasion de vérifier si une clause de garantie pouvait profiter à des personnes autres que le cessionnaire. Après quelques décisions reconnaissant une stipulation tacite en faveur de la société (3)?dont les titres ont été cédés, la jurisprudence a finalement rejeté l’idée. La cour d’appel de Paris avait d’abord énoncé que dans le cadre d’une garantie de valeur, seul l’acquéreur pourrait mettre en jeu la garantie conventionnelle. Puis, dans deux décisions successives, elle avait clairement jugé qu’en raison de labsence dune stipulation pour autrui, la garantie ne pouvait bénéficier quau cessionnaire (4). Plus récemment, la Cour de cassation a semblé reprendre à son compte la formulation de la cour d’appel qui avait jugé que le cessionnaire d’une garantie de passif « est normalement le bénéficiaire à défaut de clause expresse » et que la stipulation en l’espèce avait « pour seul objet de permettre à la société cédée de bénéficier »  de cette garantie (5).


La Cour de cassation s’inscrit donc dans cette lignée jurisprudentielle. Toutefois, la rédaction des clauses de garantie n’est pas toujours aussi précise que le laissent entendre les juges. Il est parfois délicat de déterminer avec certitude l’existence – ou l’absence – d’une stipulation « claire ».



I. Le maintien des incertitudes en cas d’ambiguïté dans la rédaction de la convention de garantie d’actif et de passif



La Cour de cassation refuse de voir en l’espèce une stipulation pour autrui profitant à la société dont les titres ont été cédés, en raison de l’ambiguïté de la convention. Cette décision, apparemment rigoureuse, laisse persister certaines zones d’ombres à propos de la notion de « bénéficiaire » (A) et de la place accordée à la volonté des parties (B).


 

A. L’ambiguïté de la notion de « bénéficiaire de la prise en charge » ?


Contrairement à ce qui prévaut en matière de clause de révision de prix où le bénéficiaire est toujours l’acquéreur des titres, en matière de garantie dactif et de passif, le bénéficiaire doit impérativement être déterminé. Si lon en croit la jurisprudence rappelée précédemment, en cas dambiguité de la clause, le bénéficiaire est nécessairement le cessionnaire. C’est en tout cas ce que semble affirmer la Cour de cassation lorsqu’elle indique que « l’acte litigieux ne renfermait pas de stipulation claire en faveur de la société » pour refuser à la société dont les titres ont été cédés la qualité de bénéficiaire de la garantie.


Pour affirmer cela, les juges du droit valident le raisonnement de la cour d’appel s’appuyant sur l’article?se référant à l’indemnisation « résultant d’une augmentation de passif et d’une diminution de l’actif », pour en conclure que la société dont les titres ont été cédés était seulement bénéficiaire de toute prise en charge quelconque qui pourrait naitre en vertu des stipulations de la convention. Les juges considèrent en outre qu’il n’était pas indiqué sous quelle forme devait être effectuée cette prise en charge ni si elle devait se faire au moyen d’un versement directement dans les caisses de la société. Il fallait donc faire une distinction entre le bénéficiaire de la prise en charge d’une part et le bénéficiaire de la clause d’actif et de passif d’autre part. Là était l’ambiguïté.


La solution semble avoir le mérite de la rigueur : en cas d’ambiguïté, la clause profite au seul cessionnaire. Pour autant, on peut observer que la société dont les titres sont cédés pourrait quand même être bénéficiaire de la clause sans pour autant avoir été désignée expressément. La Cour de cassation pose la condition que les stipulations soient « clairement » en faveur de la société, mais pas qu’elle désigne expressément celle-ci comme bénéficiaire. De ce point de vue, l’ambiguïté persiste : il arrivera des hypothèses dans lesquelles, sans être expressément désignée, la société dont les titres sont cédés pourra être identifiée comme « clairement » bénéficiaire de la clause.


En outre, la formule utilisée par la Cour de cassation pourrait sembler maladroite lorsqu’elle vise le cessionnaire comme bénéficiaire d’une « garantie d’actif et de passif », alors que pour plusieurs auteurs, le bénéficiaire d’une telle garantie est en principe, la société cible (cédée) (6). Cette formulation s’explique néanmoins à l’aide du droit des contrats : « Tiers à la convention de cession, elle est par principe tiers à la garantie de passif. L’effet relatif du contrat s’oppose à ce qu’elle en bénéficie, sauf stipulation pour autrui » (7).


 

B. Quelle place accordée à la volonté des parties  ?


En dernier lieu, le refus de retenir la notion de « bénéficiaire de la prise en charge » est à mettre en parallèle avec la décision inverse qui avait été retenue par la Cour de cassation en présence d’une obligation du cédant de « reverser dans les caisses sociales » l’existence d’un passif non révélé (8). Dans cet arrêt, la Cour avait tenu compte de la commune intention des parties pour affirmer qu’il y avait bien une stipulation pour autrui. Il n’est fait dans le présent arrêt aucunement mention de l’éventuelle prise en compte de la volonté des parties, ce qui oblige à se demander s’il faut y voir sa disparition9. En application des articles 1188?et 1191?du Code civil, interpréter une convention, c’est avant tout rechercher la volonté des parties et celles-ci ne sont pas censées rédiger une clause sans penser y attacher un effet concret. Ce faisant, ne pas tenir compte de la volonté des parties comme semble le faire la Cour de cassation peut avoir des conséquences inattendues pour ces dernières, comme en l’occurrence, en faisant perdre le bénéfice d’une indemnisation à la société dont les titres sont cédés.


A l’analyse, l’arrêt napportant pas les réponses qui auraient pu davantage éclairer le régime des conventions de garanties de passif et dactif, on peut comprendre quil nait pas été publié au bulletin.


 

1) V. sur ces différentes clauses, B. Lecourt, Clauses de garantie dans les cessions de droits sociaux, Rép. dr. Soc., Dalloz.

1)  J. Moury, Le bénéficiaire d'une garantie d'actif et de passif est « en principe » le cessionnaire des droits sociaux, RTD com. 2017. 645

3) Cass. com., 16 juin 1970, n°67-13.421, Rev. sociétés 1971. 45, note J. H. ; Cass. com., 10 avr. 1975, n°73-14.881, Bull. civ. IV, no 91

4) CA Paris, 12 oct. 2001: JurisData n° 2001-161243; BRDA 23/2001, p. 3; JCP G 2002, I, 112. – CA Paris, 28 juin 2002: BRDA 24/2002, p. 3

5) Cass. com., 26 févr. 2013, n° 12-15.216, FD : JurisData n° 2013-003190

6) A. Cerati-Gauthier, Garantie d’actif et de passif, Jurisclasseur Sociétés Formulaire, Avr. 2018.

7) R. Mortier, Sauf stipulation claire, le bénéficiaire d'une garantie d'actif et de passif est le cessionnaire, JCP Notariale et Immobilière n° 36, 8 sept. 2017, 1260.

8) Cass. com., 7 oct. 1997, n° 95-18.119, P+B: JurisData n° 1997-003824.

9) Sur la commune intention des parties, voir R. Mortier, préc.


Cet article a été rédigé par Dan Dahan, étudiant M2 droit des sociétés, Université de Cergy-Pontoise, dans le cadre du partenariat passé entre  l’Université de Cergy-Pontoise et le Journal Spécial des Sociétés sous le contrôle et la supervision du professeur Charley Hannoun, directeur du master, et de Tanguy Allain, Maître de conférences.


 


 


 


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