Commentaire de décision : Cass. com.,
8 mars 2017, n° 15-19.174
Dans un arrêt rendu le 8 mars 2017 par la Chambre
commerciale de la Cour de cassation, l’occasion a été donnée de statuer sur
l’identification du bénéficiaire d’une clause de garantie d’actif et de passif
en cas de cession d’actions.
Deux
actionnaires personnes physiques cèdent la majorité des actions qu’ils
détiennent au sein d’une société à une société cessionnaire. A la suite de cette cession, les cédants
versent au cessionnaire une somme d’argent en exécution d’une clause de
garantie d’actif et de passif en raison d’une condamnation de la société dont
les titres ont été cédés pour des manquements à la réglementation et à l’hygiène du
travail. Entre-temps, la société dont les titres ont été cédés est mise en
liquidation judiciaire. La société cessionnaire et celle dont les titres ont
été cédés assignent les cédants en paiement de sommes supplémentaires.
Le tribunal
de grande instance de Taverne a accueilli partiellement leur demande le 13 novembre 2012, suivi par la cour
d’appel de Colmar le 25 mars 2015.
Devant cette décision, le liquidateur du cessionnaire et de la société
dont les titres ont été cédés forme un pourvoi en cassation. Il fait grief à la
cour d’appel de ne pas avoir respecté le principe de la force obligatoire des
contrats en ayant dénaturé la convention de garantie d’actif et de passif. Le
requérant considère que la société dont les titres ont été cédés était désignée
clairement comme bénéficiaire de la « prise en charge ». Selon lui,
l’argument de la cour d’appel selon lequel la convention n’indiquait pas sous
quelle forme la prise en charge devait se faire ni si elle devait se faire par
le biais d’un versement direct dans les caisses de la société n’était pas
pertinent pour l’exclure du bénéfice de la garantie. Enfin, il estime que la
cour d’appel aurait dû considérer que la société dont les titres ont été cédés
avait la qualité de bénéficiaire de la prise en charge en comparant
l’engagement général de garantie et l’engagement spécifique de prise en charge
expressément stipulé dans la convention.
En somme, il
était demandé à la Cour de cassation de vérifier si les conditions étaient
réunies pour dire si la société dont les titres sont cédés pouvait être considérée
comme la bénéficiaire d’une convention de garantie d’actif et de passif au
titre d’une obligation de prise en charge pesant sur le cédant.
En
l’occurrence, la Cour de cassation apporte une réponse négative à cette
question et confirme partiellement la décision rendue par la cour d’appel. Selon elle, « le
bénéficiaire d’une garantie d’actif et de passif est, en principe, le
cessionnaire des droits sociaux et (…) si la convention de cession peut faire
de la société dont les titres sont cédés le bénéficiaire de la garantie, de
façon exclusive ou encore en parallèle avec le cessionnaire, il faut que le
pacte de cession renferme une stipulation claire en sa faveur ». Or , les
juges du droit considèrent que tel n’était pas le cas en l’espèce.
Cette
solution confirme la jurisprudence antérieure selon laquelle une garantie de
passif et d’actif est en principe stipulée en faveur du cessionnaire acquéreur
des titres (I). Il n’est toutefois pas certain qu’elle éclaire définitivement
la matière, tant il persiste des incertitudes (II).
I. Une décision
apparemment rigoureuse et conforme à la jurisprudence antérieure
La présente décision rappelle le principe selon lequel le cessionnaire des
titres est le bénéficiaire de la garantie en l’absence de stipulation contraire
(A). En cela, elle se situe
dans la lignée d’une jurisprudence constante (B).
A. Le
cessionnaire des titres, bénéficiaire de la garantie d’actif et de passif
Le
cessionnaire qui se sent mal protégé par les règles légales de garantie ne va
accepter d’acquérir un bloc d’actions majoritaire que dans la mesure où son
vendeur lui concède le bénéfice d’une garantie conventionnelle.
A côté de la clause de garantie
de passif, qui est la plus connue, d’autres
clauses protègent le cessionnaire : la clause de garantie d’actif net ou de
bilan, la clause de garantie de passif et d’actif, la clause de révision de
prix, la clause de garantie de rentabilité ou de garantie de résultat, la
clause de earn out et la garantie conventionnelle de non-cessation des
paiements (1).
La clause de garantie de passif et d’actif, utilisée en l’espèce,
appelée aussi garantie de reconstitution, assure de façon cumulative la
garantie de l’actif et du passif. Elle est souvent confondue avec la clause de
révision de prix qui permet une indemnisation du fait de l’apparition d’un
passif ou du fait de la diminution de l’actif net. Mais, contrairement à la
garantie d’actif et de passif où l’intégralité du passif et de l’actif est
prise en charge quel que soit son montant, la clause de révision de prix ne
peut jamais conduire à une restitution supérieure au prix de cession.
Théoriquement, dans une clause de garantie de cession, trois
bénéficiaires sont envisageables : l’acquéreur des titres ; la société dont les titres sont cédés ; et les créanciers de
celle-ci. La question de la détermination du bénéficiaire se pose avec
davantage d’acuité encore en l’absence de désignation claire du bénéficiaire dans la clause de
garantie d’actif et de passif. C’est tout l’intérêt du
présent arrêt que d’apporter des éléments
de réponse à ce sujet. En l’espèce, il ressort qu’à défaut de stipulation claire, c’est le cessionnaire
qui doit être considérécomme bénéficiaire de la clause de garantie d’actif et de passif.
B. La nécessité
d’une stipulation pour autrui pour faire profiter la garantie d’actif et de
passif à un tiers à la cession
Selon
certains (2), c’est la
première fois que la haute
juridiction affirme aussi nettement qu’ « en principe », c’est
le cessionnaire des droits sociaux qui est le bénéficiaire d’une garantie
d’actif et de passif. En réalité, la question n’est pas nouvelle. Plusieurs
décisions ont eu l’occasion de vérifier si une clause de garantie pouvait
profiter à des personnes autres que le cessionnaire. Après quelques décisions
reconnaissant une stipulation tacite en faveur de la société (3)?dont les titres ont été cédés, la
jurisprudence a finalement rejeté l’idée. La cour d’appel de Paris avait
d’abord énoncé que dans le cadre d’une garantie de valeur, seul l’acquéreur pourrait
mettre en jeu la garantie conventionnelle. Puis, dans deux décisions
successives, elle avait clairement jugé qu’’en raison de l’absence d’une
stipulation pour autrui, la garantie ne pouvait bénéficier qu’au
cessionnaire (4). Plus
récemment, la Cour de cassation a semblé reprendre à son compte la formulation
de la cour d’appel qui avait jugé que le cessionnaire d’une garantie de passif
« est normalement le bénéficiaire à défaut de clause expresse » et que la
stipulation en l’espèce avait « pour seul objet de permettre à la
société cédée de bénéficier » de cette garantie (5).
La Cour de cassation s’inscrit donc dans cette lignée
jurisprudentielle. Toutefois, la rédaction des clauses de garantie n’est pas
toujours aussi précise que le laissent entendre les juges. Il est parfois
délicat de déterminer avec certitude l’existence – ou l’absence – d’une
stipulation « claire ».
I. Le maintien
des incertitudes en cas d’ambiguïté dans la rédaction de la convention de
garantie d’actif et de passif
La Cour de
cassation refuse de voir en l’espèce une stipulation pour autrui profitant à la
société dont les titres ont été cédés, en raison de l’ambiguïté de la
convention. Cette décision, apparemment rigoureuse, laisse persister certaines
zones d’ombres à propos de la notion de « bénéficiaire » (A) et de la
place accordée à la volonté des parties (B).
A. L’ambiguïté
de la notion de « bénéficiaire de la prise en charge » ?
Contrairement
à ce qui prévaut en matière de clause de révision de prix où le bénéficiaire est toujours l’acquéreur des
titres, en matière de garantie d’actif et
de passif, le bénéficiaire doit impérativement être déterminé. Si l’on en
croit la jurisprudence rappelée précédemment, en cas d’ambiguité de la
clause, le bénéficiaire est nécessairement le cessionnaire. C’est en tout cas
ce que semble affirmer la Cour de cassation lorsqu’elle indique que
« l’acte litigieux ne renfermait pas de stipulation claire en faveur de la
société » pour refuser à la société dont les titres ont été cédés la
qualité de bénéficiaire de la garantie.
Pour affirmer cela, les juges du droit valident le raisonnement de la
cour d’appel s’appuyant sur l’article?se référant
à l’indemnisation « résultant d’une augmentation de passif et d’une
diminution de l’actif », pour en conclure que la société dont les titres
ont été cédés était seulement bénéficiaire de toute prise en charge quelconque
qui pourrait naitre en vertu des stipulations de la convention. Les juges
considèrent en outre qu’il n’était pas indiqué sous quelle forme devait être
effectuée cette prise en charge ni si elle devait se faire au moyen d’un versement
directement dans les caisses de la société. Il fallait donc faire une
distinction entre le bénéficiaire de la prise en charge d’une part et le
bénéficiaire de la clause d’actif et de passif d’autre part. Là était
l’ambiguïté.
La solution semble avoir le mérite de la rigueur : en cas
d’ambiguïté, la clause profite au seul cessionnaire. Pour autant, on peut
observer que la société dont les titres sont cédés pourrait quand même être
bénéficiaire de la clause sans pour autant avoir été désignée expressément. La
Cour de cassation pose la condition que les stipulations soient
« clairement » en faveur de la société, mais pas qu’elle désigne
expressément celle-ci comme bénéficiaire. De ce point de vue, l’ambiguïté
persiste : il arrivera des hypothèses dans lesquelles, sans être
expressément désignée, la société dont les titres sont cédés pourra être
identifiée comme « clairement » bénéficiaire de la clause.
En outre, la formule utilisée par la Cour de cassation pourrait sembler
maladroite lorsqu’elle vise le cessionnaire comme bénéficiaire d’une
« garantie d’actif et de passif », alors que pour plusieurs auteurs,
le bénéficiaire d’une telle garantie est en principe, la société cible (cédée)
(6). Cette formulation s’explique néanmoins à l’aide du droit des contrats :
« Tiers à la convention de cession, elle est par principe tiers à la
garantie de passif. L’effet relatif du contrat s’oppose à ce qu’elle en
bénéficie, sauf stipulation pour autrui » (7).
B. Quelle place
accordée à la volonté des parties ?
En dernier lieu, le refus de retenir la notion de « bénéficiaire de
la prise en charge » est à mettre en parallèle avec la décision inverse
qui avait été retenue par la Cour de cassation en présence d’une obligation du
cédant de « reverser dans les caisses sociales » l’existence d’un
passif non révélé (8). Dans cet arrêt, la Cour avait tenu compte de la commune
intention des parties pour affirmer qu’il y avait bien une stipulation pour
autrui. Il n’est fait dans le présent arrêt aucunement mention de l’éventuelle
prise en compte de la volonté des parties, ce qui oblige à se demander s’il
faut y voir sa disparition9. En application des articles 1188?et 1191?du Code civil, interpréter une convention, c’est avant
tout rechercher la volonté des parties et celles-ci ne sont pas censées rédiger
une clause sans penser y attacher un effet concret. Ce faisant, ne pas tenir
compte de la volonté des parties comme semble le faire la Cour de cassation
peut avoir des conséquences inattendues pour ces dernières, comme en
l’occurrence, en faisant perdre le bénéfice d’une indemnisation à la société
dont les titres sont cédés.
A l’analyse, l’arrêt n’apportant pas les réponses
qui auraient pu davantage éclairer le régime des conventions de garanties de
passif et d’actif, on peut comprendre qu’il n’ait pas été publié au bulletin.
1) V.
sur ces différentes clauses, B. Lecourt, Clauses de garantie dans les cessions
de droits sociaux, Rép. dr. Soc., Dalloz.
1) J. Moury, Le
bénéficiaire d'une garantie d'actif et de passif est « en principe »
le cessionnaire des droits sociaux, RTD com. 2017. 645
3) Cass. com.,
16 juin 1970, n°67-13.421, Rev. sociétés 1971. 45, note J. H. ; Cass. com., 10
avr. 1975, n°73-14.881, Bull. civ. IV, no 91
4) CA Paris, 12
oct. 2001: JurisData n° 2001-161243; BRDA 23/2001, p. 3; JCP G 2002, I, 112. –
CA Paris, 28 juin 2002: BRDA 24/2002, p. 3
5) Cass. com.,
26 févr. 2013, n° 12-15.216, FD : JurisData n° 2013-003190
6) A.
Cerati-Gauthier, Garantie d’actif et de passif, Jurisclasseur Sociétés
Formulaire, Avr. 2018.
7) R. Mortier,
Sauf stipulation claire, le bénéficiaire d'une garantie d'actif et de passif
est le cessionnaire, JCP Notariale et Immobilière n° 36, 8 sept. 2017, 1260.
8) Cass. com., 7
oct. 1997, n° 95-18.119, P+B: JurisData n° 1997-003824.
9) Sur la commune
intention des parties, voir R. Mortier, préc.
Cet article a été rédigé par Dan
Dahan, étudiant M2 droit des sociétés, Université de Cergy-Pontoise, dans
le cadre du partenariat passé entre l’Université
de Cergy-Pontoise et le Journal Spécial
des Sociétés sous le contrôle et la supervision du professeur Charley
Hannoun, directeur du master, et de Tanguy Allain, Maître de conférences.