François Pérol était l’invité du Club de
l’Audace le 8 février dernier, dans les locaux de BDO. Le président du
directoire de BPCE (Banque populaire-Caisse d’épargne) est intervenu sur la
transformation digitale des activités bancaires et d’assurances. Pour
s’adapter, le groupe a dû repenser ces métiers en investissant massivement dans
les outils technologiques et la formation.
Successivement inspecteur général des Finances,
banquier d’affaires ou encore secrétaire général adjoint de la présidence de la
République sous Nicolas Sarkozy, quand François Pérol parle de « révolution
industrielle et technologique », il semble plutôt sûr de lui. « L’arrivée
concomitante à maturité de plusieurs technologies est en train de bouleverser
le fonctionnement de l’économie et de la société, et nous devons comprendre ce
processus pour l’appréhender correctement », a notamment argué
l’actuel président du directoire du groupe bancaire BPCE, lors de son
intervention au Club de l’Audace, le 8 février dernier. Une révolution
qui, selon lui, bouleverse en profondeur l’économie, mais davantage encore nos
modes de vie, notre façon de consommer, nos relations de travail. François
Pérol est même allé jusqu’à qualifier ce changement de « séculaire »,
« aussi important que la machine à vapeur en son temps, que
l’électricité en un autre temps, et que les ordinateurs il y a quelques
années ». « Nous vivons une période extraordinaire, au sens où
la banque et l’assurance sont en train d’être réinventées de fond en
comble ; c’est probablement ce qui nous arrive de plus important, s’est-il
réjoui. Évidemment, l’évolution du taux d’intérêt est très importante, la
réglementation aussi, mais tout cela est beaucoup moins primordial que l’impact
des technologies sur nos métiers et sur nos salariés ». Et le
président du directoire de BPCE est bien placé pour le savoir, puisque toutes
les activités de son groupe, des banques de proximité à la banque de grande
clientèle en passant par la gestion d’actifs ou encore l’assurance, sont
concernées. La transformation des véhicules en capteurs et collecteurs de
données a, par exemple, toutes les chances de métamorphoser les métiers de
l’assurance automobile. Sauf qu’aujourd’hui, les constructeurs sont devenus
avant tout producteurs de logiciels : « Ils peuvent donc décider
plus facilement à l’avenir de devenir leur propre assureur : nous qui le
sommes aussi, nous devons nous interroger sur la façon dont nous allons exercer
notre métier, tout en faisant face à cette nouvelle concurrence », a
indiqué François Pérol.
Des algorithmes pour conseiller
Chez BPCE, toutes les branches sont ainsi en train
d’être repensées. Dans le domaine de la gestion d’actifs, le groupe développe
actuellement des algorithmes pouvant réaliser des schémas d’allocations simples
ou sophistiqués d’épargne, « plus fiables, plus évolutifs, plus solides
que ne peuvent le faire des personnes physiques », a souligné le
président du directoire. « Ces programmes ne remplaceront pas le
jugement humain, ni la relation humaine, mais ils pourront traiter et produire
des diagnostics fondés sur de plus grandes quantités de données ».
D’ailleurs, les sociétés proposant ce type de services se déploient sur le
marché, donnant à croire que la démocratisation du « robot advisory »
est pour très bientôt, a estimé François Pérol. Et dans la banque de marché,
métier où la technologie est déjà très présente, le développement du trading
risque de remplacer le besoin des traders eux-mêmes. Même la banque de
proximité nécessite de moins en moins d’intermédiaires, puisqu’aujourd’hui nous
sommes capables de réaliser la totalité de nos opérations bancaires courantes
en totale autonomie, sans avoir à nous déplacer.
« Nous devons agir en
industriels »
François Pérol ne s’en est toutefois pas
caché : réinventer n’est pas sans difficultés. Dans le secteur de la
banque de proximité, la priorité pour BPCE est d’investir sur les plateformes
digitales, afin d’en faire les meilleures du marché. Ainsi, alors que
2,4 milliards d’euros sont investis chaque année dans leur système
d’information, 50 % sont consacrés au fonctionnement, dont la moitié au
digital. « Nous devons investir dans des domaines, dans des
compétences, dans des outils, avec des hommes et des techniques, d’une manière
que nous sommes en train de nous approprier, a martelé François Pérol.
Nous devons agir en industriels, c’est-à-dire réfléchir à des plateformes
capables de traiter de façon aussi performante que possible des millions, des
milliards d’opérations ». Reste que les investissements de BPCE dans
le digital n’ont qu’une portée limitée pour l’instant. « Ce que le
digital génère comme revenus, c’est, en banque de proximité, moins de
0,5 % de la totalité de nos revenus, générés très majoritairement encore
actuellement par nos conseillers et la “banque traditionnelle” »,
a-t-il admis. Mais le groupe préfère miser sur les années à venir. François Pérol
a ainsi prédit que le crédit immobilier serait bientôt un produit dont le coût
de revient sera moins élevé qu’il ne l’est actuellement, car les offres auront
été simplifiées, les processus auront été automatisés et feront intervenir
moins de personnes, et les technologies auront changé la façon de produire. Ces
crédits seront aussi distribués de façon différente. « Vous aurez,
d’ici quelques années, accès à des crédits immobiliers sur votre mobile, votre
tablette, chez vous. Pour discuter d’une opération plus complexe, vous aurez
toujours besoin d’en référer à un conseiller, mais pour les opérations simples,
ce sera possible », a-t-il auguré, renvoyant au crédit à la
consommation, pour lequel nous pouvons déjà souscrire des crédits sans avoir à
se déplacer. Un système qui, lui aussi, sera amené à évoluer
incessamment : « si aujourd’hui cela est possible pour les clients
d’une banque, demain ce sera possible sans que vous soyez clients ».
Transformer la façon de
travailler au sein de l’entreprise
Pour rester performante, l’entreprise mise aussi sur
ses quelque 100 000 salariés. Ses réseaux Banque Populaire et Caisse
d’Épargne comptent à eux seuls 65 000 salariés, tout aussi bien
ingénieurs financiers, conseillers clientèle, spécialistes agricoles, spécialistes
des marchés d’entreprises, et dont le groupe veut améliorer les compétences. La
solution : investir massivement (aussi) dans la formation. « Nous
construisons des équipes de spécialistes de marketing digital, de design
digital, de spécialistes de la donnée, de manière à transformer notre système
de production et d’information », a indiqué François Pérol. « Nous
devons également faire en sorte que les conseillers clientèle deviennent des
experts, et que nous n’ayons plus de conseillers dévolus à l’accueil »,
a-t-il ajouté.
Par ailleurs, le président du directoire de BPCE
s’est confié sur le processus de réaménagement de l’entreprise, afin de
transformer la façon d’y travailler : « Les agences seront de plus
en plus de mini-plateaux téléphoniques, des espaces collaboratifs, des lieux
pour accueillir le client mais plus des lieux de trafic ». Une
transformation que le président du directoire a qualifiée de « progressive »,
et qu’il n’envisage qu’à l’échelle globale de l’entreprise : « Nous
réussirons si nous sommes capables de faire participer l’ensemble des salariés
à cette transformation, de dissiper leurs inquiétudes, de les rassurer. Nous
essayons de leur faire comprendre que l’évolution est nécessaire, que c’est une
période d’opportunité : nous sommes en train d’inventer de nouveaux
services, de nouvelles offres : il faut qu’ils s’en
saisissent ! » D’autant que les clients doivent rester demandeurs
du conseil bancaire, alors qu’ils sont par ailleurs de plus en plus avertis.
Des clients « moteurs » de cette révolution, a jugé François
Pérol, qui a reconnu que l’avènement du digital avait eu pour effet de redonner
du pouvoir aux clients. « Dans nos métiers qui sont des métiers de
relations, de service, cela a une importance fondamentale. Les banques se sont fort
heureusement réintéressées à leurs clients, qu’elles avaient un peu oubliés
jusqu’au début des années 2000 », a-t-il déploré. Mais si elles sont
désormais plus proches de leurs clients, les banques doivent encore se donner
de la visibilité, afin d’être identifiées comme des acteurs majeurs du
numérique bancaire – ce qui n’est pas encore le cas, a reconnu François Pérol.
« On a beau avoir une bonne stratégie et une bonne vision, ce qui
compte c’est d’être capables de la délivrer ».
Bérengère Margaritelli