Regard sur la jurisprudence de la
cour d’appel de Douai concernant l’application de la loi du 5 juillet 2011
relative aux soins sans consentement
« J’ai appris qu’en se présentant devant un juge indépendant et
libre, un homme ou une femme ne devait se sentir humilié avant que justice soit
passée ». Lettre aux juges, Pierre Drai
INTRODUCTION
La loi du 5
juillet 20111 a constitué une avancée
cruciale dans la protection des libertés individuelles dans la sphère très
sensible des hospitalisations en soins psychiatriques sans consentement. Elle a
consacré un renforcement accru de la judiciarisation de telles mesures
médicales restrictives de liberté notamment en instaurant un contrôle systématique
par le juge judiciaire de telles mesures de soins contraints dont l’une des
finalités était d’éviter des
internements psychiatriques arbitraires. Cette réforme législative de manière
heureuse a rapproché notre législation de systèmes de droit d’autres pays
européens qui confèrent – parfois selon d’autres modalités que celles
instaurées dans l’hexagone – un rôle clef au juge judiciaire dans le contrôle
de telles mesures privatives de liberté (voire même dans le prononcé de ces
mesures). Ainsi en Belgique dans l’hypothèse où les personnes souffrant de troubles mentaux présentent un grave
danger pour elles-mêmes et/ou pour autrui, les hospitalisations sous contrainte
à la demande d’un tiers qu’on nomme « mises sous observation » sont décidées par le juge de paix ou en urgence par le
procureur du roi.
La loi du 5
juillet 2011 illustre à quel point le regard que l’on porte sur les personnes
souffrant de troubles mentaux a évolué de manière radicale. Jadis on les a
délibérément tenus en lisière de la cité des hommes. On leur enjoignait de ne
plus faire partie de la société ce qui générait chez ces patients une profonde
blessure, un sentiment plus que douloureux d’exclusion. Pire encore on les
chassait, on les persécutait. Certaines pages douloureuses et dramatiques de
notre histoire en fournissent des exemples qui suscitent l’effroi. Parmi les
atrocités qui ont eu lieu pendant la deuxième guerre mondiale il y a la mort de
faim de 45 000 malades mentaux dans les asiles
psychiatriques français2. Ces faits n’ont
été connus à la Libération que d’un très petits nombre de personnes. L’opinion
publique n’a eu véritablement connaissance de ces événements horribles –
longtemps passés sous silence – que dans les années 1990. C’est de cette époque
qui a vu porté en pleine lumière ce scandale que s’origine la volonté d’un
courant influent de psychiatres sensibles au respect des libertés individuelles
et des droits des patients de trouver des solutions alternatives à
l’internement, notamment en développant la psychiatrie de secteur, d’éviter en somme le plus souvent possible de
recourir à « l’enfermement » des malades
mentaux. Maintenant dans cette optique on se montre soucieux de témoigner
d’humanité à leur endroit, de ne pas mettre à mal leur dignité. L’un des
objectifs clefs de la loi du 5 juillet 2011 était précisément d’assigner au
juge judiciaire une mission délicate : réaliser un équilibre entre l’exigence de
sécurité et la nécessité de protéger les droits des patients et leur
indispensable dignité. Du reste le sort qu’une société réserve aux personnes
souffrant de troubles mentaux en dit long sur son humanité. Le strict respect
des droits des personnes souffrant de maladie mentale est consubstantiel à un État de droit.
Or, toutes
les virtualités prometteuses, toutes les belles garanties potentielles dont la
loi du 5 juillet 2011 était porteuse, dépendaient de l’application effective
qu’en feraient les juges judiciaires qui avaient la délicate mission de
satisfaire l’attente souvent angoissée tant des patients que plus largement des
citoyens. Dans ce contexte, il apparaît souhaitable de faire le point plus de
cinq ans et demi après l’entrée en vigueur de ce texte fondamental sur la
jurisprudence de la cour d’appel de Douai – une très grande cour puisqu’elle
est la troisième de France par sa taille – sur le contrôle opéré par le juge
judiciaire sur les mesures d’hospitalisations complètes sous contrainte.
La cour de
Douai dans le cadre d’une subtile construction prétorienne, s’est attachée à
trouver un compromis équilibré entre le souci de sauvegarder la sûreté des
personnes et l’exigence du strict respect des droits et libertés des patients.
Elle opère un contrôle sourcilleux de la régularité externe des procédures
d’hospitalisations en soins psychiatriques sous contrainte (I). Cette cour
d’appel procède également à un contrôle approfondi du bien-fondé c’est à dire
de la régularité interne de telles mesures d’hospitalisations sans consentement
(II). (…)
1) Loi n° 2011-803
du 5 juillet 2011, JO 6 juillet 2011, p. 11705, texte législatif
complété et modifié par la loi n° 2013-869 du 27 décembre
2013 (in JO 29 septembre 2013), et la loi n° 2016-41
du 26 janvier 2016 (in JO 27 janvier 2016).
2) Voir à ce sujet
l’ouvrage passionnant de P. Delion, Mon combat pour une psychiatrie humaine,
Albin Michel, 2016, 248 p.
Yves
Benhamou,
Magistrat
Retrouvez la suite de cet article
dans le Journal Spécial es Sociétés n° 18 du 22 février 2017
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