ACTUALITÉ

Contribution à l’étude du contrôle juridictionnel opéré par le juge judiciaire sur les hospitalisations en soins psychiatriques sous contrainte

Contribution à l’étude du contrôle juridictionnel opéré par le juge judiciaire sur les hospitalisations en soins psychiatriques sous contrainte
Publié le 24/02/2017 à 16:18

Regard sur la jurisprudence de la cour d’appel de Douai concernant l’application de la loi du 5 juillet 2011 relative aux soins sans consentement


 


« J’ai appris qu’en se présentant devant un juge indépendant et libre, un homme ou une femme ne devait se sentir humilié avant que justice soit passée ». Lettre aux juges, Pierre Drai


 


INTRODUCTION 


 

La loi du 5 juillet 20111 a constitué une avancée cruciale dans la protection des libertés individuelles dans la sphère très sensible des hospitalisations en soins psychiatriques sans consentement. Elle a consacré un renforcement accru de la judiciarisation de telles mesures médicales restrictives de liberté notamment en instaurant un contrôle systématique par le juge judiciaire de telles mesures de soins contraints dont l’une des finalités était d’éviter des internements psychiatriques arbitraires. Cette réforme législative de manière heureuse a rapproché notre législation de systèmes de droit d’autres pays européens qui confèrent – parfois selon d’autres modalités que celles instaurées dans l’hexagone – un rôle clef au juge judiciaire dans le contrôle de telles mesures privatives de liberté (voire même dans le prononcé de ces mesures). Ainsi en Belgique dans l’hypothèse où les personnes souffrant de troubles mentaux présentent un grave danger pour elles-mêmes et/ou pour autrui, les hospitalisations sous contrainte à la demande d’un tiers qu’on nomme « mises sous observation » sont décidées par le juge de paix ou en urgence par le procureur du roi.


La loi du 5 juillet 2011 illustre à quel point le regard que l’on porte sur les personnes souffrant de troubles mentaux a évolué de manière radicale. Jadis on les a délibérément tenus en lisière de la cité des hommes. On leur enjoignait de ne plus faire partie de la société ce qui générait chez ces patients une profonde blessure, un sentiment plus que douloureux d’exclusion. Pire encore on les chassait, on les persécutait. Certaines pages douloureuses et dramatiques de notre histoire en fournissent des exemples qui suscitent l’effroi. Parmi les atrocités qui ont eu lieu pendant la deuxième guerre mondiale il y a la mort de faim de 45 000 malades mentaux dans les asiles psychiatriques français2. Ces faits n’ont été connus à la Libération que d’un très petits nombre de personnes. L’opinion publique n’a eu véritablement connaissance de ces événements horribles – longtemps passés sous silence – que dans les années 1990. C’est de cette époque qui a vu porté en pleine lumière ce scandale que s’origine la volonté d’un courant influent de psychiatres sensibles au respect des libertés individuelles et des droits des patients de trouver des solutions alternatives à l’internement, notamment en développant la psychiatrie de secteur, d’éviter en somme le plus souvent possible de recourir à « l’enfermement » des malades mentaux. Maintenant dans cette optique on se montre soucieux de témoigner d’humanité à leur endroit, de ne pas mettre à mal leur dignité. L’un des objectifs clefs de la loi du 5 juillet 2011 était précisément d’assigner au juge judiciaire une mission délicate : réaliser un équilibre entre l’exigence de sécurité et la nécessité de protéger les droits des patients et leur indispensable dignité. Du reste le sort qu’une société réserve aux personnes souffrant de troubles mentaux en dit long sur son humanité. Le strict respect des droits des personnes souffrant de maladie mentale est consubstantiel à un État de droit.


Or, toutes les virtualités prometteuses, toutes les belles garanties potentielles dont la loi du 5 juillet 2011 était porteuse, dépendaient de l’application effective qu’en feraient les juges judiciaires qui avaient la délicate mission de satisfaire l’attente souvent angoissée tant des patients que plus largement des citoyens. Dans ce contexte, il apparaît souhaitable de faire le point plus de cinq ans et demi après l’entrée en vigueur de ce texte fondamental sur la jurisprudence de la cour d’appel de Douai – une très grande cour puisqu’elle est la troisième de France par sa taille – sur le contrôle opéré par le juge judiciaire sur les mesures d’hospitalisations complètes sous contrainte.


La cour de Douai dans le cadre d’une subtile construction prétorienne, s’est attachée à trouver un compromis équilibré entre le souci de sauvegarder la sûreté des personnes et l’exigence du strict respect des droits et libertés des patients. Elle opère un contrôle sourcilleux de la régularité externe des procédures d’hospitalisations en soins psychiatriques sous contrainte (I). Cette cour d’appel procède également à un contrôle approfondi du bien-fondé c’est à dire de la régularité interne de telles mesures d’hospitalisations sans consentement (II). (…)


 

1) Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011, JO 6 juillet 2011, p. 11705, texte législatif complété et modifié par la loi n° 2013-869 du 27 décembre 2013 (in JO 29 septembre 2013), et la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 (in JO 27 janvier 2016).

2) Voir à ce sujet l’ouvrage passionnant de P. Delion, Mon combat pour une psychiatrie humaine, Albin Michel, 2016, 248 p.

 

 

Yves Benhamou,

Magistrat

 

 

 

Retrouvez la suite de cet article dans le Journal Spécial es Sociétés n° 18 du 22 février 2017

S’abonner au journal

 

 

0 commentaire
Poster

Nos derniers articles