Une colline wallonne. à Mons (Hainaut, Belgique). Un culte multiséculaire, celui de
Sainte Waudru. Une Sainte née au VIIe siècle, canonisée sans procès
en canonisation, fondatrice de la ville. Des religieuses, regroupées dans un
chapitre noble composé autrefois de chanoinesses, avec à leur tête, outre un
Abbé, une prévôte, une doyenne et une coustresse, cette dernière chargée de
l’intendance, des luminaires, des sonneries, et de la conservation du trésor.
Au 17e et au 18e siècles, la coustresse prend le titre de
Dame Bâtonnière et se fait accompagner lors des cérémonies officielles par le
Bailli du Hainaut. Une bâtonnière qui n’est donc pas avocate, et qui, ayant de
tout temps été nommée Dame Bâtonnière, ne risque pas de se faire appeler Madame
le Bâtonnier.
La vie de la cité hainuyère, traversée par une
rivière, la Haine (nom d’origine germanique qui signifie « qui coule à
travers les bois », et qui donne le nom de la province du Hainaut)
mais aussi par la Trouille (cet affluent de la Haine y a été canalisé…) n’a pas
toujours été un long fleuve tranquille. Ainsi, en 1572, la ville est envahie
par les soldats espagnols du catholique Duc d’Albe et par les huguenots
français. Les catholiques l’emportent. La répression s’abat sur les
protestants, qui viennent en outre d’apprendre les massacres en France de la
Saint-Barthélemy du 24 août
1572, déclenchés par les cloches de l’église parisienne
Saint-Germain-l’Auxerrois. Commerçants, drapiers, tisserands de la cité arrosée
par la Haine et la Trouille sont exterminés.
Heureusement, Jacques Du Brœucq échappe à la
répression. Ce grand artiste montois, statuaire mais également architecte, à
qui l’on doit plusieurs châteaux et de belles sculptures à Mons et Saint-Omer,
avait abjuré le catholicisme et s’était mis au service de Louis de Nassau,
prince calviniste ayant pris les armes contre le roi d’Espagne. Le voici
contraint à un revirement salvateur, lors de son procès initié par les
chanoinesses. Il sauve sa tête en abjurant le protestantisme. Pour sa pénitence
(aurait pu dire un confesseur), il doit réaliser, dans la splendide collégiale
Sainte-Waudru de Mons, une sculpture de… saint Barthélémy ! Taquin, il se
représente lui-même !
à la fin du 17e siècle, Mons est assiégée et incendiée par les
soldats de Louis XIV. Pendant la Révolution, elle devient française, dans le
département de Jemmapes, après un discours enflammé de Danton dans la
collégiale Sainte-Waudru. Envahie en 1914?par l’armée allemande, elle voit les troupes
britanniques résister avec courage. Dans la nuit du 23?août 1914, les Anglais
croient voir dans le ciel des figures ailées. L’armée allemande est
momentanément stoppée. Ainsi naît la légende des anges de Mons, protecteurs des
soldats alliés.
L’histoire riche et mouvementée de Mons est mise en
scène chaque année au printemps durant plusieurs jours lors d’une gigantesque
fête appelée la ducasse (un mot venant sans doute d’une déformation puis d’une
métonymie de dédicace), ou encore le Doudou, du nom de l’air que l’on chante à
cette occasion. La ducasse de Mons est inscrite au patrimoine mondial
immatériel de l’UNESCO. Messe solennelle, cérémonie de descente de la chasse de
Waudru dans la collégiale, processions en ville, les moments festifs se
succèdent. Congrégations, clergé, bourgmestre et échevins, personnalités
politiques, figurants jouant le rôle des anges ayant sauvé l’armée anglaise en
1914, hallebardiers et gardes suisses en grand uniforme, confréries… tous
défilent avec leurs bannières, leurs crécelles et leurs symboles, qu’il fasse
beau, qu’il vente ou qu’il pleuve. La chasse de Sainte Waudru est portée sur un
carrosse appelé le Car d’Or, sorte de char de triomphe imaginé à l’origine par
les chanoinesses du chapitre noble, qui est tiré par de solides chevaux
ardennais, et qui est en outre poussé par la population dans une rampe jouxtant
la collégiale.
La confrérie de Saint-Jean-le Décollé, riche d’une
histoire de trois siècles,
créée par le Prince Henri de Ligne, impressionne toujours petits et grands.
Elle regroupe les beubeux, tous encagoulés et vêtus de noir. Les beubeux ne
sont pas des personnes naïves au sens vosgien du terme mais des visiteurs de
prison, des accompagnateurs de personnes incarcérées ou en voie de réinsertion.
En vieux français, « beuber » signifiait « accompagner
en marmonnant » ou « en se lamentant ». Dans le
passé, les beubeux visitaient les condamnés à mort. Ils prêtent toujours un
serment de conservation du secret et entretiennent un fort mystère autour de
leur fonctionnement.
Le clou du spectacle est un combat opposant Saint-Georges,
qui chevauche un destrier, et un dragon. Cet épisode, qui attire des milliers
de spectateurs, porte le nom de Lumeçon. Saint Georges, qui sort toujours
vainqueur, est assisté par 12 chinchins et le dragon est aidé par 11 diables qui brandissent des vessies de porc.
Les Montois aiment la fête, la couleur, le folklore
et les rites. Ils possèdent en outre une relique civile : le
caillou ! Il s’agit d’une pierre d’un cachot de la Bastille offerte par
les Révolutionnaires français en 1792, sur laquelle une inscription rappelle
que « les Français ont terrassé les despotes ».
Des anges, des beubeux, une Dame Bâtonnière qui n’a
jamais été avocate, des diables (qui ont sans doute un avocat), des
hallebardiers, la chasse d’une sainte… Des enfants pleins d’audace, des édiles
loquaces, des organisateurs perspicaces, une ville entière qui se décarcasse…
Il faut aller voir la ducasse !
Étienne Madranges,
Avocat à la cour,
Magistrat honoraire