Thomas Legrain, fondateur du Club de
l’Audace, a invité, le 22 janvier, dernier Arnaud Montebourg, ancien ministre,
et désormais président de la société Les équipes
du Made in France, co-fondateur de la marque de miel Bleu Blanc Ruche, à venir
partager sa nouvelle passion : la création d’entreprises agricoles. Comment
a-t-il concrètement mené ses projets ? Comment est-il passé de la politique à
l’entrepreneuriat tout en continuant à défendre le made in France ? C’est ce
qu’a expliqué l’ancien politique, un brin survolté, lors de son intervention
dans les locaux de Swisslife Banque privée.
Qu’est devenu Arnaud Montebourg, ancien
ministre du redressement productif des gouvernements Ayrault et Valls ?
Après sa défaite aux primaires de la gauche en janvier 2017, ce dernier semble
en effet avoir disparu de la sphère publique et politique. Amertume, déprime ?
Pas du tout ! L’homme a décidé de tourner le dos à la politique pour se
lancer dans l’entrepreneuriat et la production de miel et d’amandes. Invité par
le Club de l’Audace à venir raconter son expérience de startupper, il a
expliqué comment il était passé de la politique à l’entrepreneuriat tout en
gardant le cap, c’est-à-dire la défense du made in France. En quoi ses
nouvelles activités sont-elles en cohérence avec ce qu’il a toujours
défendu ?
LE MADE IN
FRANCE, UNE BATAILLE PERSONNELLE
« Ça fait un moment que je pensais à créer une
start-up agricole. Ce projet est lié à l’expérience accumulée à travers mes
fonctions » a-t-il confié lors de ce petit-déjeuner débat. Ses
nouvelles fonctions ne sont donc pas le fruit d’une lubie soudaine et
inexplicable. De toute façon, « on est toujours qu’un seul dans ses
trajectoires… on reste toujours un peu ce qu’on a voulu être, ce qu’on a essayé
d’être, ce qu’on n’a pas pu être, mais qu’on avait en soi » a
philosophé l’ancien ministre socialiste. Le concernant, le made in France a
toujours été son leitmotiv.
Il s’agit d’une bataille culturelle qui implique de
croire en soi. Pour l’ancien avocat, en effet, la confiance en soi vaut aussi
bien pour l’individu que pour une Nation. Or, la France n’a pas confiance en
elle, ce qui fait qu’elle est très en deçà dans sa culture du patriotisme
économique par rapport à ses voisins.
Dans l’Hexagone, la situation macro-économique n’est
pas reluisante sur le plan de la promotion du made in France, et cela ne semble
pas alarmer les dirigeants politiques et économiques qui devraient pourtant
s’en préoccuper davantage, selon l’intervenant.
D’autant que depuis quelques années déjà, les Français
sont las. « Il y a un mouvement profond dans la société qui adhère au
désir de consommer autrement. Pas seulement des individus issus de la culture
environnementale, mais aussi ceux issus de la culture patriotique » a
affirmé l’ancien ministre.
En outre, un grand nombre d’entrepreneurs ont décidé
d’investir dans des secteurs sinistrés, tels que les chaussures et les
textiles, arasés par la domination asiatique. Certaines entreprises peuvent
même être qualifiées d’ « intégristes du made in France », car
elles mettent un point d’honneur à ce qu’absolument tous les éléments utilisés
dans la fabrication de leurs produits soient d’origine française.
Les possibilités d’agir sont nombreuses mais se
heurtent à de nombreux obstacles, au premier rang desquels le fait qu’en
France, on fait toujours passer le consommateur avant le producteur. On préfère
le low cost aux produits un peu plus chers, ce qui favorise les
distributeurs au détriment des producteurs.
Arnaud Montebourg a ainsi regretté que le pouvoir en place
qui ne se préoccupe que du pouvoir d’achat ait « ouvert les vannes à la
mondialisation ».
Résultats : aujourd’hui, les grands groupes ont
quitté la France (seulement 16 % des achats sont effectués sur le territoire français), et 20 % de la surface agricole
utile est à l’abandon.
« Au niveau des fruits et légumes, nous sommes
devenus des importateurs nets. Le comble pour un grand pays agricole comme le
nôtre », a déploré l’ancien ministre.
LA FAUTE À L’UNION
EUROPÉENNE ?
La méfiance de l’ancien avocat envers l’Union
européenne est de longue date. Mais au fil des années, a-t-il avoué lors de cet
échange, celle-ci s’est renforcée, au point qu’il s’est lui-même qualifié « d’euro
sceptique invétéré » (il avait d’ailleurs voté contre l’élargissement
de l’UE en 2004).
Certes, nous avons besoin de l’Europe, a-t-il
reconnu, mais pas celle d’aujourd’hui, car selon lui, dans le système européen
actuel, on applique un droit non légitime, car « il ne s’agit pas des
décisions de nos dirigeants ». Sans langue de bois, Arnaud Montebourg
a évoqué « l’épée Bruxello-Allemande qui nous tient par la dette ».
Mais qui a voté ces traités ? Les Français ont dit « non »,
a-t-il rappelé.
« Cette Europe-là va nous mettre dans le piège
nationaliste, car les gens vont en avoir marre », a-t-il également prédit.
La crise des « gilets jaunes » en
est le parfait exemple selon lui. « Elle est la conséquence de 10 années
de crise, qu’en Union européenne, on a fait payer aux classes moyennes. » Citant un rapport McKinsey rendu l’an dernier, Arnaud Montebourg a
affirmé que depuis 10 ans,
72 % des
ménages ont vu leurs revenus diminuer ou stagner.
En matière d’importation et de commerce, l’Union
européenne ne prend aucune décision pour se protéger, et laisse le libre champ
aux Chinois d’inonder nos marchés, a-t-il expliqué. Au grand dam des
producteurs locaux.
Selon la jurisprudence de la Commission européenne,
en effet, une législation qui imposerait un label d’origine serait une atteinte
à la liberté du commerce. Or, c’est complètement faux, a martelé Arnaud
Montebourg, « on ne dit pas aux gens “vous êtes obligé d’acheter
français”, mais plutôt “vous avez le droit de savoir ce que vous
achetez” ». C’est un gage de qualité.
Bref, dans la guerre commerciale qui fait rage entre
les USA et les Chinois actuellement, pour l’ancien ministre, l’Union européenne
devrait se ranger du côté américain. Pourquoi ? Car sur les 28 pays européens, a-t-il
expliqué, trois seulement ont un excédent avec la Chine : l’Allemagne, la
Finlande, et les Pays-Bas. L’Hexagone, lui, est en déficit de 30 milliards d’euros. C’est
comme si tous les ans, on donnait un point de PIB aux Chinois,
a ajouté l’ancien avocat.
DE LA THÉORIE À LA PRATIQUE
Après plusieurs années de lutte au sein du
gouvernement pour défendre le commerce français et le made in France, Arnaud
Montebourg a décidé de jeter l’éponge.
Certes, l’action publique lui a permis de faire
beaucoup de choses, mais a contrario, elle lui en a interdit
« des tas d’autres ».
En se lançant dans l’entrepreneuriat, il a voulu
aller plus loin. Il a donc monté des start-up agricoles car selon lui,
l’agriculture française est sinistrée. Depuis 20-30 ans, la grande
distribution est en train de détruire la production.
En outre, aujourd’hui, a déploré l’homme d’affaires,
le modèle agricole est archi productiviste avec beaucoup de travail mécanisé,
peu de compréhension de la vitalité des sols. « Le modèle agricole est
en train de s’effondrer économiquement » a-t-il affirmé, d’où la
nécessité de révolutionner ce modèle.
Mais pourquoi le miel en particulier ?
Parce qu’il s’agit d’une filière sinistrée. Depuis 20 ans, en effet, la
production française de miel s’est effondrée. « En 1995, on
produisait 30 000 tonnes de miel par an, on était en autosuffisance. Aujourd’hui, nous consommons
45 000 tonnes de miel, mais nous en produisons seulement 16 000. »
De plus, en 20 ans, 80 % des insectes ont disparu en Europe (à cause des
pesticides, du changement climatique, des maladies…), a-t-il ajouté. Il manque
donc 13 millions
de ruches en Europe, et en France, il ne reste plus que 1 573 apiculteurs professionnels
de plus de 300 ruches,
et seulement 60 de
plus de 1 000 ruches,
a précisé Arnaud Montebourg qui connaît son sujet sur le bout des doigts.
Tout cela est extrêmement préoccupant, car la
fonction des abeilles est primordiale pour l’humanité. Avec la fabrication du
miel, celles-ci assurent un système gratuit de pollinisation qui nous permet de
manger des fruits et légumes.
Citant Einstein, l’ancien ministre a assuré que si
les abeilles disparaissaient, nous n’aurions plus que quatre ans à vivre sur la
Terre. En effet, leur disparition engendrerait 35 % de ressources alimentaires en moins.
Il faut donc protéger à tout prix ce service gratuit
de pollinisation, en préservant les apiculteurs de la faillite, car s’il n’y a
plus d’apiculteurs, il n’y a plus d’abeilles.
L’effondrement de la production de miel en France est
dû en grande partie à la promotion du low cost qui s’est installé dans
ce domaine, et à la concurrence déloyale des miels chinois. « Nous ne
produisons plus notre miel, car la grande distribution a passé des contrats
avec les conditionneurs de miel, pour obtenir du miel à seulement 5 euros
le kilo, avec une marge à 2,5 euros. »
Pour aboutir à des prix aussi compétitifs, on a fait
des mélanges avec par exemple 5 % de miel européen et 95 % de miel chinois, qui est en fait un miel « adultéré, et
frauduleux », a dénoncé Arnaud Montebourg. Les grandes usines à miel
asiatiques produisent en effet des pots à partir de 10 % de miel, et 90 % de sirop de riz… Malgré
cette arnaque, les Chinois ont augmenté leur nombre de ruches de 13 % et leurs exportations de
200 %,
alors que partout ailleurs dans le monde, les apiculteurs sont en grande
difficulté (Argentine, Australie…).
L’ancien ministre du redressement productif s’est
insurgé qu’aucune mesure de protection contre cette fraude n’ait été prise par
les autorités européennes. Comment, à son niveau, a-t-il fait évoluer les
choses ?
BLEU BLANC
RUCHE
En janvier 2015, Arnaud Montebourg a donc décidé de
monter son entreprise avec ses propres économies : « Les équipes
du Made in France », qui vise à faciliter la création et la reprise
d’entreprise, et l’élaboration de projets made in France.
Après un court retour en politique, il crée, début
2018, la
marque de miels Bleu Blanc Ruche, qui offre des miels de repeuplement, 100 % made in France. Par
repeuplement on entend des miels qui contribuent à accroître le nombre
d’abeilles sur le territoire. Cette « marque bannière » fait
travailler 45 apiculteurs
français.
La marque Bleu Blanc Ruche s’engage à acheter leurs
miels à ces apiculteurs à des prix plus chers que ceux du marché, pour qu’ils
puissent augmenter leur marge. En contrepartie, ceux-ci s’engagent à investir
pour accroître le nombre de leurs ruches.
Les miels sont ensuite vendus 5 à 18 % plus chers que le prix
du marché.
En septembre 2018, Arnaud Montebourg a vendu ses
premiers pots de miel, via Ulule (plateforme de financement
participatif). Une opération qui a connu un très grand succès.
Pour garantir la qualité de ses produits dès sa
création, l’entreprise Bleu Blanc Ruche a payé un organisme certificateur
indépendant, l’AFNOR, qui a tout analysé et fait des enquêtes chez les
producteurs.
Quant au financement, pour chaque entreprise qu’il a
créée, celui-ci est différent, a expliqué l’homme d’affaires. Parfois il s’agit
d’un fonds d’investissement, parfois d’un family office ou d’un
investisseur personnel…
Arnaud Montebourg a également décidé de s’attaquer
aux amandes. En 1948, a-t-il expliqué, on produisait 12 000 hectares d’amandiers en
Provence. Et aujourd’hui, la France consomme 30 000 tonnes et en produit seulement 300.
Le reste vient de Californie. L’ancien ministre a donc décidé de monter une
entreprise de replantation de 2 000 hectares
d’amandiers dans le sud de la France, avec 50 millions d’euros levés.
UNE ÉCOLE
POUR FORMER LES APICULTEURS
En parallèle, Arnaud Montebourg a créé une école
d’apiculture de haut niveau, l’École des hautes études apicoles, qui a été
lancée le 14 janvier
2019, à
Dijon. Son directeur est un apiculteur diplômé de Sciences Po.
Certes, il existe déjà des lycées agricoles, a
reconnu l’entrepreneur. Ces derniers délivrent un Brevet professionnel de
responsable agricole (BPRA), mais « ceux qui sortent de là sont formés
théoriquement, mais pas pratiquement » a-t-il regretté.
C’est pourquoi, dans l’école qu’il a montée avec de
l’argent public et privé (Crédit Agricole, conseil régional, pôle emploi), les
élèves (des cadres en reconversion) ont des cours théoriques pendant un mois et
demi, puis partent trois mois en exploitation en France, puis à l’étranger pour
une deuxième saison (souvent au Chili, en Argentine, à la Réunion, en
Australie…).
Les élèves sont ensuite pris en groupe et montent
leur projet avec les accompagnateurs pendant une semaine en brainstorming.
Après leur envol, ils sont tout de même suivis pendant un an. Avec cette
méthode, « on peut obtenir 100 % de résultat », s’est réjoui Arnaud Montebourg.
L’homme envisage d’ailleurs aujourd’hui de monter une
école dans un tout autre secteur : le bucheronnage. Une autre filière en
difficulté. « À chaque fois que je vais monter une entreprise,
j’aimerais monter une école en même temps », a-t-il assuré en conclusion.
Maria-Angélica Bailly