Pour
leur 114e congrès, les notaires se sont donné rendez-vous
autour du territoire - thème central de cette nouvelle édition cannoise - du 27
au 30 mai. Quatre commissions, quatre axes d’étude.
L’agriculture, l’énergie, la ville mais aussi le financement seront au cœur des
questionnements et des pistes envisagées par la profession. Car, face aux
nouveaux enjeux d’un territoire en pleine mutation : nourrir, loger,
chauffer une population grandissante dans un espace contraint, un
accompagnement juridique et fiscal s’impose. Pour la première fois, une
série de dix-neuf propositions a été rendue publique en amont du congrès.
Une façon d’interpeller les citoyens, mais aussi d’allécher les professionnels
qui seront cette année encore près de quatre mille à participer à
l’événement.
Et si nous
avions tous un rôle à jouer dans le développement de notre territoire ?
Alors que les enjeux qui lui sont liés sont vivement questionnés aujourd’hui
par ses différents acteurs, le ministère de la Cohésion des territoires et le
ministère de la Transition écologique et solidaire ont lancé une consultation
en ligne le 2 mai dernier, afin de construire un « livret
citoyen » des villes et des territoires de demain. Le but :
identifier, du point de vue des citoyens, les caractéristiques que devront
présenter les villes et territoires du futur, et recueillir leurs propositions
pour les faire émerger. À côté des particuliers, les professionnels eux aussi
se mobilisent. Le Congrès des notaires se réunira ainsi à Cannes du 27 au 30
mai prochains pour tenter d’apporter des solutions aux problématiques qui
quadrillent le territoire : « Nourrir l’humanité, produire de
façon durable et responsable, construire la ville de demain, endiguer le déclin
des territoires ruraux, et financer efficacement ces projets : ces
questions, nous les abordons d’une manière renouvelée, technique et précise, en
juristes de proximité, "médecins de famille" du droit des particuliers,
autant qu’en spécialistes du droit immobilier ou fiscal, pour contribuer à
identifier les outils propres à faciliter la vie des citoyens »,
assure le président du congrès, Emmanuel Clerget. Ce dernier en est convaincu :
le sujet du territoire est « prospectif, il embrasse et définit
frontières, modes de vie et aspirations ». Avec cette 114e édition
sobrement - mais audacieusement - intitulée « Demain, le territoire »,
le notariat souhaite prouver qu’il aspire lui aussi à trouver sa place dans un
monde en mutation, et à éclairer ses contemporains sur cette thématique dont on
pourrait le croire, à tort, éloigné.
Un territoire
dont la prégnance s’impose par l’intensité de ses métamorphoses, mais encore un
territoire de plus en plus polysémique, au gré de la multiplication de ses
angles d’approche. Si la notion a d’abord été étudiée chez les animaux - et
plus particulièrement les oiseaux - au début du XXe siècle, les
recherches sur le concept tel que perçu par l’homme ont seulement émergé dans
les années 1960. L’enseignante-chercheuse Georgia
Kourtessi-Philippakis l’a d’ailleurs fait observer dans ses travaux : les
études sur la notion de territoire ont longtemps subi les conséquences de la
division classique du monde du savoir en deux parties : les sciences,
d’une part, et les humanités, d’autre part. Ce n’est que depuis récemment que
de nombreuses disciplines - l’anthropologie, la géographie, la sociologie, la
psychologie, la science, la politique, l’économie - s’en sont saisies. Au tour
désormais des notaires d’en faire de même.
Quatre commissions
pour améliorer le droit
Le 27, donc, le
congrès tout entier scrutera notre territoire. Il y a quelques mois,
rappelons-nous, c’est sur la question du notaire au cœur des mutations de la
société (accompagnée de ses hashtags #famille, #solidarité, #numérique) que le
congrès s’était penché, à Lille.
Ce temps de
rassemblement, né à Grenoble en 1891 et organisé chaque année dans une ville
différente, se veut un rendez-vous incontournable pour entretenir un lien entre
les notaires et les pouvoirs publics, et prendre le pouls de la politique en
matière de justice et d’accès au droit. Au-delà, le congrès vise des résultats
concrets. En vue de chaque édition, le résultat du travail de recherche
effectué pendant deux ans prend corps : un ouvrage plutôt replet
vient dresser un bilan du droit applicable au thème choisi, tandis qu’une série
de propositions d’amélioration du droit et de la pratique professionnelle est
soumise au vote des notaires, avant d’être relayée auprès des pouvoirs publics.
Près d’une centaine de lois, de décrets et d’ordonnances ont ainsi été inspirés
ou enrichis de propositions émanant de ces manifestations. À ce titre, la réforme du Pacs, en 2006, est
issue d’une proposition du 100e congrès. Neuf ans plus
tard, la proposition sur l’insaisissabilité automatique de la résidence principale
a conduit à l’article 206 de la loi Macron du 6 août 2015, pour la
croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Tournés vers les
mutations et les besoins du monde contemporain, les thèmes étudiés par le
collège de notaires nourrissent l’ambition de se transformer en pistes
concrètes d’amélioration du droit pour le législateur. Cette année,
quatre commissions composées d’un président et d’un rapporteur, consacrées
respectivement à l’agriculture, à l’énergie, à la ville et au financement, ont
travaillé dix-huit mois à la réalisation de leur rapport, avant de passer
six mois à en extraire les principales propositions, pour, bientôt, les
présenter à la profession.
Demain,
l’agriculture…
De vingt millions
en 1900, les agriculteurs sont passés à six cent mille aujourd’hui. S’ils
représentent moins de 3 % de la population, leur productivité, à
l’inverse, a explosé – et pour cause : ils nourrissent soixante-six millions
de Français. Non sans conséquences : décupler les rendements s’est fait au
détriment de l’environnement et de la qualité des produits.
Le thème de
l’agriculture envisagé par les notaires pose la question de la valeur
collective et du bien commun, alors que le Parlement prépare justement une loi
sur le foncier agricole. À qui appartient la terre ? Comment la rendre prospère
en respectant les sols ? Pour mieux comprendre ces problématiques,
l’équipe du congrès s’est entourée d’exploitants, propriétaires, élus locaux et
représentants des syndicats. Adoptant une approche systémique, sans négliger
les particularismes locaux, elle s’est attelée à des sujets tels que le portage
foncier ou encore le décryptage juridique des aides, dont elle rendra compte
dès le 27 mai prochain. Le congrès évoquera en outre la multiplicité des
modèles à favoriser, de la ferme céréalière à la permaculture, en passant par
les structures familiales et les coopératives - des modèles qui doivent
coexister.
Par ailleurs,
en ouverture de la commission, Pierre Rabhi, paysan et écrivain pionnier de
l’agriculture écologique en France, défendra un mode de société plus
respectueux des hommes et de la terre, qu’il prône depuis des années, et
invitera son auditoire à inaugurer une nouvelle éthique de vie en
appliquant ce qu’il appelle une « sobriété heureuse ».
Propositions autour de l’avenir de nos terres
nourricières
Proposition n° 1 : évolution de la définition de l’activité
agricole.
Proposition n° 2 : création d’un groupement foncier agricole
dédié à la protection du territoire rural.
Proposition n° 3 : élargissement des bénéficiaires de la
subrogation dans l’exercice du droit de préemption du fermier.
Proposition n° 4 : libéralisation encadrée de la cessibilité
des baux soumis au statut de fermage.
Proposition n° 5 : transformation des modes de régulation de
l’appropriation et de l’usage des terres agricoles.
Demain,
l’énergie...
De plus en plus
tournée vers l’éolien, le photovoltaïque, l’hydraulique, la France devrait
porter à 30 % sa part d’énergies renouvelables d’ici 2030. Mais les
notaires ont observé que certaines ressources étaient encore insuffisamment
exploitées. Ainsi, la forêt s’avère notamment être une ressource riche en
biomasse qui devrait occuper un rôle encore plus prépondérant à l’avenir.
Comment mieux
stocker l’électricité ? Quel cadre juridique pour exploiter les énergies
« propres » ? Autant de questions qui ont animé la commission au
cours de son travail préparatoire. Pour lutter contre le réchauffement
climatique, et limiter notre impact sur l'environnement, la transition
énergétique apparaît donc comme un défi majeur du XXIe siècle. À
cet égard, comment accompagner aux plans juridique et fiscal le développement
et l’usage des énergies renouvelables ? C’est entre autres à cette
question que la commission se proposera de répondre d’ici quelques jours.
Propositions autour de l’avenir de nos forêts et des
énergies renouvelables
Proposition N° 1 : simplification du regroupement forestier.
Proposition n° 2 : création d’un fonds de garantie pour le
démantèlement des éoliennes.
Proposition n° 3 : refonte de l’usufruit des bois et forêts.
Proposition n° 4 : création d’un contrat d’ordre public
d’installation d’énergie renouvelable pour les particuliers.
Demain,
la ville…
Une vision
prospective de la ville fait surgir de nombreuses problématiques :
logement, santé, transports, attractivité, commerce, numérique, loisirs,
sécurité… La commission dédiée à la ville a conduit sa réflexion autour de
l’article L. 101-2 du Code de l’urbanisme, avec le concours de
clients, d’architectes, d’urbanistes, d’élus et de citoyens, pour dégager les
besoins des habitants de la ville de demain.
Si simplifier
les baux et faciliter l’accès à la propriété semble au cœur des préoccupations,
sur la ville en elle-même, l’équipe de notaires s’est rendue à l’évidence :
celle du futur sera une ville à la verticale, ce qui nécessite de favoriser la
multiplicité des usages dans un même immeuble, en mixant habitation, toits
végétalisés, ou encore coworking. À côté, la « smart city » devra
continuer de créer des richesses, de l’emploi et du partage via l’optimisation
des coûts, de l’organisation et de l’espace. Mutation, multifonctionnalité,
verticalisation et densification, mais aussi mixité sociale et revitalisation
des centres-villes seront donc au centre des débats de cette 114e édition
du Congrès des notaires.
Propositions autour de l’avenir de nos terres habitées
Proposition n° 1 : dérogation du statut du fermage pour
l’agriculture urbaine.
Proposition n° 2 : libération du foncier dans les
lotissements.
Proposition n° 3 : création d’une servitude légale pour
l’isolation par l’extérieur.
Proposition n° 4 : amélioration de la prévention des recours
contre les autorisations d’urbanisme.
Proposition n° 5 : reconnaissance d’un urbanisme tridimensionnel.
Demain,
le financement
Toute
transition devant être financée, cela induit assez naturellement la mise en œuvre
d’une politique fiscale efficace, et de nouvelles aides à la transition
énergétique et à la production agricole. En effet, les notaires ont fait le
constat que les aides actuelles n’ont pas une vision suffisamment globale et
aboutie de la rénovation énergétique.
La commission
« Demain le financement » s’est donc interrogée sur une fiscalité
cohérente et incitative à appliquer au territoire. Comment développer des
dispositifs d’incitation à l’efficacité énergétique ? Comment trouver des
outils pour mieux gérer les aléas climatiques, économiques et sanitaires de
l’agriculture ? Réponse le 27 mai prochain.
Propositions autour de l’avenir de nos politiques
fiscales
Proposition n° 1 : clarification et aménagement de la
fiscalité des pas de porte en agriculture.
Proposition n° 2 : instauration d’un crédit d’impôt pour la
rénovation énergétique lors de l’acquisition d’un logement.
Proposition n° 3 : création d’une réserve pour
investissement et aléas en agriculture.
Proposition n° 4 : promotion de l’obligation réelle
environnementale par un régime fiscal de faveur.
Proposition n° 5 : alignement de l’exonération des baux
ruraux à long terme sur celle du pacte Dutreil et mise en place d’une
fiscalité incitative pour le portage foncier vertueux.
Bérengère
Margaritelli