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Disruptive Digital Days : éveiller les professions comptables à la blockchain

Disruptive Digital Days : éveiller les professions comptables à la blockchain
Publié le 09/11/2018 à 12:24

Bousculer les professionnels du chiffre. Tel était l’objectif de la 2e édition des Disruptive Digital Days de l’IFEC, consacrée à la blockchain, le 27 septembre dernier. Kim Dauthel et Xavier Simonin, respectivement PDG et consulting partner de deux entreprises de conseil et de service technologique, n’ont pas ménagé les experts-comptables. La finalité : leur faire prendre conscience de la révolution opérée par la blockchain, mais aussi de la nécessité de se transformer, dans un monde où les modèles sont en train de changer.



« Actuellement, il faut voir la blockchain comme un protocole de sécurité », a indiqué Kim Dauthel à l’occasion de la seconde édition des Digital Disruptive Days de l’IFEC, où les professionnels du chiffre ont pu prendre le pouls des bouleversements engendrés par cette innovation qui disrupte de plus en plus de marchés.


L’expert en cryptologie est, à 23 ans, président et co-fondateur avec Pierre Paperon de l’entreprise Solid, née en 2017. Principale activité de la société : conseiller les entreprises qui la sollicitent sur les stratégies à adopter en matière de choix de blockchains et d’ICO, ces levées de fonds en cryptomonnaies qui ont la cote, mais aussi concevoir et développer ses propres « chaînes de blocs ».


La technologie blockchain, pour rappel, ce sont des chaînes de données datées et inaltérables, protégées par la cryptographie – chacun des blocs les composant ne pouvant être ni modifié ni supprimé. De natures différentes, elles n’offrent pas les mêmes possibilités. Publiques, elles sont ouvertes et accessibles à tous, et fonctionnent de manière distribuée, sans organe central de contrôle. Privées, souvent internes aux entreprises, elles se caractérisent par un accès d’écriture délivré par une organisation centralisée, et des autorisations de lecture qui peuvent être publiques ou non. Sous forme de consortiums, chacun de leurs membres possède un « nœud » du réseau, et un nombre suffisant d’entre eux doit valider les transactions pour qu’un bloc soit ajouté à la chaîne.


« L’intérêt d’une blockchain, c’est que la partie technique n’est pas en cause. Si jamais il y a une faille, elle ne viendra jamais de la machine, toujours de l’humain. Cela permet d’augmenter le système de "tracking" sur les humains et pas sur la machine », a estimé Kim Dauthel.


La technologie a ainsi le vent en poupe, soutenue par l’explosion des données. Un phénomène qui rappelle une autre révolution. « La blockchain ressemble à Internet dans les années 90, avec une évolution plus rapide des protocoles et des services, puisqu’il en existe plus de 6 500, dont 1 500 cotées », a estimé pour sa part Xavier Simonin, consulting partner chez Sopra Steria, autre exemple d’entreprise de conseil et de service technologique.


 


« Massivement utilisée pour la traçabilité »


Quelle utilisation – et quels utilisateurs – de la blockchain ? En la matière, force est de constater que cette dernière s’empare d’un nombre de domaines croissant.


La blockchain peut ainsi être utilisée pour « les systèmes de paiement nouvelle génération », a illustré le PDG de Solid. Le Bitcoin, exemple d’utilisation « historique » de la blockchain depuis 2008, a été répertorié fin 2017 par le ministère de l’Économie et des Finances comme « première devise monétaire électronique décentralisée ». Payer sans intermédiaire, c’est aussi maintenant l’objectif d’Uber. Kim Dauthel a en effet dévoilé que l’entreprise américaine avait commandé une armée de voitures autonomes au constructeur Tesla, et allait bientôt s’adosser à une blockchain qui automatiserait les process via un paiement direct en tokens par l’utilisateur de ces véhicules (actifs numériques) – et donc « éviterait le prélèvement de pourcentages », a-t-il ajouté.


Mais cette technologie est surtout « massivement utilisée pour la traçabilité », a précisé l’expert. Notamment dans le domaine de la supply chain, en matière d’agroalimentaire ou encore de commerce international, (Nestlé, Unilever, Walmart ou encore, depuis octobre, Carrefour [qui traçait déjà ses poulets depuis mars dernier en s’appuyant sur Ethereum] collaborent ainsi avec IBM pour lutter contre les dérives sanitaires grâce au réseau Hyperledger). Idem pour le monde du luxe, à l’instar de la blockchain mise au point par la start-up Everledger pour répertorier et certifier les diamants, a mentionné Xavier Simonin. L’objectif : lutter contre la fraude, qui coûte annuellement près de 50 milliards de dollars aux investisseurs.


Kim Dauthel s’en est félicité : Solid est pour sa part intervenue en Norvège afin de blockchainer son système de santé, et assurer, via un registre partagé par les professionnels de santé, la traçabilité et la confidentialité des dossiers médicaux, permettant à un médecin d’avoir « accès au parcours de soins d’un patient où qu’il se trouve ». Les données médicales, certifiées par la blockchain, peuvent ainsi être utilisées instantanément,
ce qui peut se révéler utile lorsqu’une décision médicale doit être prise alors que la vie d’une personne est en jeu.


Si les entreprises s’intéressent de près à la blockchain, elles ne sont pas les seules. Actuellement, en Europe, « 6 gouvernements sont prêts à acquérir une blockchain pour leur système fiscal interne d’imposition », a ainsi révélé Kim Dauthel.


 


« Créer des passerelles »


Au-delà, la blockchain se positionne comme un « élément clé fédérateur d’un certain nombre de technologies » et « permet de créer des passerelles entre silos ; un workflow supra qui permet de faire en sorte que les entreprises se parlent », a jugé Xavier Simonin.
Les blockchains privées, bien qu’elles soient pointées du doigt pour leur centralisation, peuvent notamment permettre de « rattacher différents systèmes qui ne se parlent pas bien dans une même entreprise, par exemple les banques », a-t-il affirmé.


De plus en plus d’entreprises forment par ailleurs des consortiums. Les principales sociétés espagnoles du secteur bancaire, de l’énergie et des télécommunications (entre autres) ont ainsi créé Alastria, le premier réseau national réglementé basé sur la blockchain, « pour créer une identité numérique nationale et faire en sorte que cette identité soit utilisée partout, dans toute la vie économique en Espagne ». Ce consortium à but non lucratif, plateforme collaborative commune, développe la technologie DLT (« distributed ledger technology », autrement appelée « technologie de registre distribué » – la blockchain étant elle-même un type de DLT), et ambitionne d’accélérer la transformation numérique de différents secteurs industriels et commerciaux.


Plusieurs banques ont par ailleurs rejoint le consortium blockchain R3, lancé par la start-up R3-CEV, pour mettre en place les bases d’une blockchain partagée entre établissements bancaires et permettre le développement de nouveaux services financiers.


 


« Chacun de vos cabinets, isolé, demain, est mort »


Face à cette « ère de la blockchain », les professions qui, eu égard à leur fonctionnement ou à leur objet, risquent d’être affectées – ou le sont déjà –, doivent dès aujourd’hui s’adapter, a estimé Xavier Simonin. Et à ce titre, la profession comptable, selon lui, n’y échappe pas. Les professionnels du chiffre ont ainsi été appelés à prendre la blockchain au sérieux et à bras le corps : « Comment allez-vous faire avec ces nouveaux systèmes basés sur blockchain ? Comment allez-vous auditer des blockchains privées, développées par des entreprises pour elles-mêmes ? Qui allez-vous choisir comme partenaires pour faire ce genre de chose ? Avez-vous les moyens de les payer ? ».


Des questionnements d’autant plus importants que la profession semblerait, à l’entendre, presque en sursis. « Quand les données sont certifiées et entrées dans la blockchain, il n’y a plus besoin de les contrôler car la traçabilité est effective de bout en bout, on peut remonter jusqu’à la donnée brute. Dans cette optique, le rôle des experts-comptables va être considérablement réduit », a averti Xavier Simonin, interpellant la profession : « Chacun de vos cabinets, isolé, demain, est mort.
Si vous vous unissez, la donne sera différente »
.


Face à des modèles qui changent, le consulting partner chez Sopra Steria a formulé deux recommandations à l’égard des experts-comptables présents à cette édition des Digital Disruptive Days, vitales pour la profession : se regrouper, donc, mais aussi se poser la question de la plus-value du métier. « Vous devez vous demander quel service vous allez apporter. Quelle est la valeur-ajoutée qui ne sera pas captée par l’intelligence artificielle ou la blockchain ? Comment étendre votre métier à d’autres éléments pour lesquels vous allez devenir agrégateur, tiers de confiance ? Comment allez-vous intervenir dans les écosystèmes, en devenant une plateforme centrale de ces derniers ? Comment allez-vous créer votre market place ? Qu’est-ce qui va faire que vous allez dépasser votre métier et aller au-delà pour apporter un service que vous n’offrez pas aujourd’hui ? » a interrogé Xavier Simonin.


Kim Dauthel a cependant tenu à rassurer son public : « Tant que l’intelligence artificielle ne peut pas reconnaître si un document est valable ou non, le rôle de tiers de confiance reste intact. Sur ce point, il y aura toujours besoin d’un expert-comptable, blockchain ou non ».


 


Bérengère Margaritelli


 


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