Une utilisation
en constante évolution
Ces dernières années ont vu l’essor des ventes et de l’utilisation des
drones, tant au niveau des drones de loisirs, que des drones professionnels. Selon
le cabinet de conseil Gartner, 174 000 drones à usage commercial
seront vendus cette année à travers le monde, et 2,8 millions à des
particuliers. Il est donc aujourd’hui naturel de s’interroger sur les risques
inhérents à l’utilisation de ces appareils et à la gestion des risques qui y
est associée. En effet, on constate sur l’année 2016 une augmentation
drastique de la survenance d’incidents. Selon
l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), plus de 1 400 incidents
ont été recensés en 2016 (606 sur la période 2011-2015) dont sept incidents
qui ont été considérés comme sérieux. Même s’il y a un certain nombre
d’incidents, sans conséquence grave (tels qu’un drone qui s’élève à plus de
150 mètres d’altitude due à une perte de contrôle ou encore un drone qui
s’écrase à l’atterrissage par suite d’un comportement inattendu), quelques
accidents récents ont montré les risques que l’exploitation de drones pouvait
engendrer. À titre d’exemple, le 5 janvier 2017, au Mozambique, à
l’aéroport de Tète un avion de ligne (Boeing 737-700) en phase
d’atterrissage a été percuté par un drone. L’avion a été endommagé et le drone
intégralement détruit.
Avant de s’intéresser à la gestion des risques liés aux activités des
drones, notamment par le biais des assurances, il est nécessaire de faire un
rapide état des lieux de la réglementation en vigueur afin d’appréhender les
responsabilités des différents intervenants (fabricants, exploitants,
utilisateurs).
Une
réglementation à unifier
Il y a aujourd’hui un corpus de règles relativement complexes, mais
néanmoins précises au niveau national[i]
et européen[ii]
afin de réglementer les activités liées à l’utilisation des drones. Que ce soit
dans un objectif d’aéromodélisme, de loisir ou professionnel. Schématiquement,
ces règles visent à encadrer, non seulement l’utilisation, mais aussi la
fabrication des drones avec un souci principal : la sécurité des personnes
tierces et de celles opérant les drones. À noter qu’aucune réglementation
internationale ne vient réguler ces activités.
Il est important de noter que les fabricants, exploitants et
utilisateurs de drones peuvent voir leur responsabilité engagée sur différents
fondements. Au titre tout d’abord de la réglementation aérienne pour ce qui
concerne les exploitants, dès lors que leur drone et/ou leur activité tombe
sous le coup de l’application de cette réglementation. Comme par exemple pour
ce qui concerne la responsabilité en cas de collision entre un drone et un
aéronef ou en cas de dommage à un tiers à la surface, qui sera régi par les
dispositions du Code des transports (articles L. 6131-1 et L. 6131-2).
Mais, la responsabilité des intervenants peut aussi être mise en cause au titre
du droit commun, comme par exemple la responsabilité pour vices cachés pesant
sur les fabricants. Enfin, il y a une responsabilité sur le fondement pénal,
notamment en cas de mise en danger volontaire de la vie d’autrui ou de
violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence imposée par la
loi ou un règlement. La loi du 24 octobre 2016 prévoit aussi des
dispositions spécifiques relatives aux infractions liées au survol de zones
sensibles (infractions sanctionnées par des peines d'emprisonnement et des
amendes). Ainsi, même si cet événement ne s’est pas produit en France,
nous souhaitons ici rappeler qu’un droniste chinois a été arrêté en
janvier 2017 pour avoir survolé une zone interdite, en l’occurrence un
aéroport.
Quels
risques pour les intervenants de la filière drone ?
Sans faire une liste à la Prévert des types de dommages pouvant se
produire du fait de l'utilisation des drones, nous pouvons identifier deux
grandes catégories. D’une part, les dommages causés aux tiers incluant les
dommages aux aéronefs en vol ou au sol ainsi que les dommages aux biens et aux
personnes au sol (hors aéronefs). D’autre part, les dommages causés au drone
lui-même et ses éventuels équipements embarqués (comme des appareils de prise
de vue ou de son qui peuvent avoir une valeur bien supérieure à celle du drone
en lui-même).
Par ailleurs, il ne faut pas négliger les risques d'actes malveillants
qui ont un impact sur la gestion des risques. Nous pouvons ici citer les
risques de prise de données indues (application du droit commun, en attendant
l'entrée en vigueur de la réglementation européenne qui a vocation à clarifier
les responsabilités des fabricants dans ce domaine, en instaurant un système de
protection des données dès la conception du drone). Les risques dits
« cyber » sont également à prendre en considération en cas
particulièrement de détournement des données et de préservation des données
personnelles.
Solutions de
gestion des risques
Nous constatons donc qu’il y a une pluralité de risques inhérents à
l’utilisation des drones.
Afin de couvrir leurs risques, les exploitants, fabricants, utilisateurs
vont avoir tendance à vouloir transférer leurs risques au marché de
l’assurance. Toutefois, autant les assurances couvrant les risques liés aux
activités aéronautiques sont connues et maîtrisées, aussi bien pour les
exploitants d’aéronefs, que les fabricants (y compris les sous-traitants et
autres équipementiers), autant les assurances des risques liés à l’utilisation
des drones sont très récentes, avec très peu de retour d’expérience pour les
assureurs. Ainsi, comme nous allons le voir par la suite, il existe des
solutions d’assurance, mais limitées et qui nécessitent aussi d’être adaptées
au contexte spécifique des drones.
La première question à se poser est y a-t-il des obligations
d’assurance relatives aux drones, comme cela est le cas en matière
aéronautique ? La réponse est positive pour ce qui concerne les opérateurs
de drones d’une certaine catégorie. En effet, selon l’arrêté de 2015, il est
renvoyé à la réglementation européenne sur la question des assurances. Ainsi,
la réglementation applicable est celle du règlement européen n° 785/2004
relatif aux exigences en matière d’assurance applicables aux transporteurs
aériens et aux exploitants d’aéronefs. Cette réglementation impose des
obligations d’assurance responsabilité civile minimale pesant sur l’opérateur
aérien en cas de dommages causés aux passagers, aux bagages, au fret et aux tiers,
et ce, pour ce que l’on nomme les risques ordinaires, mais aussi les risques de
guerre et de terrorisme. Cette réglementation est applicable à tout opérateur
d’aéronefs européens ou atterrissant ou décollant d’un état européen. Sont
spécifiquement exclus de cette réglementation les aéronefs dont la masse
maximale au décollage (MMD) est inférieure à 500 kg utilisés à titre non
commercial (pour les assurances risques de guerre et terrorisme), ainsi que les
modèles réduits d’aéronefs avec une MMD inférieure à 20 kg et les drones
de loisirs.
Le règlement instaure des minima d’assurance en fonction de la MMD et du
nombre de passagers à bord des aéronefs. Ainsi, pour ce qui concerne les
drones, les drones commerciaux d’une MMD inférieure à 500 kg se voient imposer
une garantie minimum de 750 000 Droits de Tirages Spéciaux (DTS)[iii].
Hormis les drones tombant sous le coup de l’application de la
réglementation 785/2004, il n’y a pas d’obligation d’assurance
particulière liée à leur utilisation. Dans ce contexte particulier, on peut
légitimement s’interroger sur l’opportunité d’envisager une obligation légale
d’assurance. Certains y sont favorables afin de disposer pour les opérateurs
notamment de garantie leur permettant de procéder à une indemnisation adaptée
des victimes (les dommages pouvant être très élevés), sans pour autant mettre
en péril le patrimoine de l’opérateur. D’autres sont plus favorables à la
liberté de souscription ou non des assurances, et ce, d’autant plus que le coût
des assurances aujourd’hui disponible apparaît disproportionné par rapport à
l’activité concernée et au coût d’achat d’un drone.
En parallèle des assurances aéronautiques, il existe également des
assurances permettant de garantir les mises en cause de la responsabilité d’un
opérateur, utilisateur ou fabricant. Ces garanties peuvent prendre différentes
formes comme des extensions de responsabilité civile professionnelle ou des
garanties générales, mais n’excluant pas les drones (par exemple, les garanties
multirisques habitation proposent, en l’absence d’exclusion spécifique, des
garanties pour les dommages causés aux tiers du fait de l’utilisation de
drones). Il est également possible de trouver sur le marché d’assurance des
garanties spécifiques en cas de dommages survenant au drone lui-même ou au
matériel embarqué. Mais ces dernières sont à ce jour relativement rares en
raison de plusieurs facteurs, tels que le prix ou encore l’absence de retour
d’expérience pour les assureurs ne leur permettant pas de procéder à une
analyse de risques en profondeur. Enfin, les fabricants, à quelque niveau que
ce soit peuvent se garantir en cas de mise en cause de leur responsabilité
notamment pour produits défectueux après livraison.
Une
réglementation qui doit s’adapter aux nouvelles utilisations
L’activité des drones présente aujourd’hui un certain nombre de risques
qui sont identifiés, avec des possibilités de transfert de ces risques sur le
marché de l’assurance. Toutefois, les évolutions d’utilisation de ces drones,
comme par exemple, le dépôt de colis par drones tel que cela est aujourd’hui en
test par La Poste appelle des réflexions à venir sur l’encadrement
réglementaire des risques et éventuellement des assurances pouvant y être
associées. À cet effet, la résolution européenne 08/04/2014 montre la volonté
de la Commission européenne d’adapter le règlement 785/2004 afin d’inclure
spécifiquement les drones dans son champ d’application. Encore faut-il que le
marché de l’assurance soit prêt à offrir des garanties adaptées, à des
conditions et un coût raisonnable.
Cécile
Gaubert
Avocat à la cour
[i] Arrêtés du 17 décembre 2015,
modifié par l’arrêté du 30 mars 2017 et la loi du 24 octobre 2016.
[ii] Règlement CE n° 216/2008 et
projet de règlement « Prototype Rules »
[iii] A ce jour, 1 DTS équivaut à peu près
à 1,20 Euros