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Encadrer la thanatopraxie : une urgence pour les familles et les professionnels

Encadrer la thanatopraxie : une urgence pour les familles et les professionnels
Publié le 22/09/2019 à 09:30

La commission des lois du Sénat, présidée par Philippe Bas, sénateur de la Manche (circonscription de Saint-Lô), a décidé de rendre publiques, le 10 juillet 2019 au Palais du Luxembourg, les 58 propositions présentées par Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret (circonscription d’Orléans) et rapporteur, dans le cadre de la mission d’information sur la thanatopraxie. Selon l’étude, le cadre juridique actuellement en vigueur n’est pas à même de garantir un choix éclairé aux familles qui ont recours à cette technique. De plus, l’accès à la profession et son exercice manquent de contrôles.



Suite à ses observations, la Commission formule des recommandations pour :


 faire de la protection et de l’information des familles une priorité ;


 mieux prévenir les risques associés à la thanatopraxie en sécurisant les conditions d’intervention des thanatopracteurs ;


 renforcer le pilotage des pouvoirs publics sur l’activité de thanatopraxie ;


mettre fin aux dysfonctionnements dans l’accès à la profession de thanatopracteur, mieux l’accompagner dans l’exercice de son métier et accroître les contrôles publics sur les conditions dans lesquelles ce métier s’exerce.


 


Protéger les familles


Depuis 1993, un régime concurrentiel a été mis en place pour les pompes funèbres. Jean-Pierre Sueur a commencé à suivre spécifiquement ce secteur en 1991. Il œuvre pour sa régulation. En premier lieu, le sénateur estime qu’il convient de protéger les familles endeuillées. En effet, elles prennent beaucoup de décisions dans un laps de temps réduit et peinent à se concentrer sur un contrat d’obsèques alors que leurs pensées se tournent vers le défunt.


À ce propos, les textes posent que tout contrat obsèques qui n’est pas assorti d’une description détaillée, précise et personnalisée des prestations, est considéré comme non écrit et sans aucune valeur juridique. Notons que, selon le ministère de l’Économie et des Finances, cette loi n’est pas respectée dans 67 % des cas.


Par ailleurs, la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, stipule que tout reste humain, y compris les cendres après crémation, doit donner lieu au respect, à la dignité et à la décence. Elle a entraîné une jurisprudence importante. Pour le Code civil qui distingue deux catégories (les personnes et les choses), les restes humains constituent une entité médiane. En conséquence, il a fallu légiférer sur la crémation : les cendres doivent être conservées dans un cimetière ou dispersées dans la nature, mais elles ne peuvent être « privatisées ». Le principe suivi veut que chacun puisse se recueillir sur les restes de tout humain, exactement comme dans les cimetières publics communaux et laïcs.


Cette même loi insiste sur le volet financier. Elle instaure le « devis modèle » qui dresse une liste standard de prestations. Toute entreprise de pompes funèbres habilitée est tenue d’en définir le prix chaque année. Ce tarif est communiqué aux communes de plus de 5 000 habitants dans le ressort. Les maires ont l’obligation légale de rendre accessible cette information à leurs administrés, mais s’acquittent passablement de cette tâche. Pourtant, sachant qu’il est ardu pour la famille d’analyser un devis ou de faire des comparaisons dans ces instants douloureux, le « devis modèle » simplifie cette étape.


Le rapport sur la thanatopraxie commandé à Jean-Pierre Sueur par la Commission des lois du Sénat a demandé 84 consultations étalées sur un an ; il avance 58 propositions. Les premières sont techniques, elles s’opposent en particulier aux pratiques abusives et réaffirment les cas où la thanatopraxie ne se fait pas : obstacle médicolégal (autopsie) ; après prélèvement d’organe ; et si elle est sans intérêt (par exemple 24 heures avant une crémation).


Il existe une discordance quant au texte réglementaire. Il faut corriger le modèle du certificat de décès pour assurer sa mise en conformité avec les règles en vigueur sur le don du corps. La thanatopraxie a récemment été considérée compatible avec les personnes atteintes du VIH et d’hépatite B. Par suite, le don d’organe dans les mêmes conditions deviendrait possible…


Il conviendrait de renforcer la portée du document d’information sur la thanatopraxie à disposition des familles, de rendre obligatoire sa transmission avec le devis remis aux familles, de l’annexer au devis modèle déposé dans les communes et d’étendre sa diffusion aux chambres mortuaires par voie d’affichage. Les propositions 7 et 8 modifient également l’arrêté du 23 août 2010 qui définit l’ensemble des éléments qui constituent le devis modèle. Cet arrêté traite uniquement de soins de conservation. Or, il importe de distinguer trois actes fondamentaux dans la spécialité : la toilette funéraire, les soins de présentation (40 à 80 euros) et ceux de conservation (300 à 500 euros). Le terme de thanatopraxie devrait être réservé aux soins de conservation invasifs. Chaque entreprise devrait annuellement, en vertu de l’arrêté du 23 août 2010, déclarer le prix de chacune de ces trois prestations à la portée différente. Dans 40 % des obsèques, une thanatopraxie profonde est pratiquée. Descendante de l’esprit d’embaumement pratiqué par les égyptiens de l’Antiquité, elle améliore la durée et l’état de la conservation du corps du défunt.


La Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) a sanctionné les opérateurs funéraires qui présentent les soins de conservation comme obligatoire ou les imposent alors qu’il s’agit évidemment d’une prestation optionnelle ; qui facturent une toilette ou des soins de présentation lorsqu’ils n’effectuent pas ce travail déjà réalisé intégralement et gratuitement par le personnel hospitalier ; et enfin qui facturent des soins sans en préciser la nature.


Autre point, lois et règlements n’abordent pas aujourd’hui le sujet de l’explantation. Or, la technologie insère de plus en plus d’objets dans le corps. La plupart d’entre eux doivent être extraits pour les crémations. Qui doit s’en charger ? Un médecin peut s’en occuper lors de la déclaration de décès, mais cela reste rare. Les personnes compétentes pour assumer cette tâche sont les médecins, les infirmiers par délégation, ou le thanatopracteur.


 


Prévenir les risques, sécuriser les conditions d’intervention du thanatopracteur


La pratique de cette spécialité expose à des dangers. Pour protéger le thanatopracteur, il faut imposer le respect de précautions universelles standard (page 55 du rapport) : mesures d’hygiène, port de protections individuelles, matériel à usage unique, exposition accidentelle, gestion et transport des déchets. Le formol, par exemple, nocif pour la santé et pour l’environnement, reste actuellement le seul produit efficace pour la conservation prolongée d’un corps. L’État pourrait confier à la recherche publique la mission de trouver une alternative. À cela s’ajoute une obligation évidente de vaccination. Selon Jean-Pierre Sueur, l’inspection du travail devrait établir un plan de suivi médical des thanatopracteurs et centraliser au sein du ministère du Travail des actions menées en ce sens.


L’article R. 1335-2 du Code de la santé publique, sur le régime de responsabilité des producteurs de déchets d’activité de soin à risque infectieux, a besoin d’être revu pour prendre explicitement en compte les professionnels qui les collectent, dont les thanatopracteurs. Un contrôle par les agences régionales de santé sur la conformité et la traçabilité de ce traitement semble indispensable. Pour le rapporteur, il serait salutaire d’en favoriser la gestion par les chambres mortuaires par voie de convention, sans décharger les opérateurs funéraires ni les thanatopracteurs de leurs responsabilités.


Les dispositions de l’article L. 223-39 du Code général des collectivités publiques (CGCT) permettant à une chambre mortuaire d’accueillir le corps de personnes décédées hors de l’établissement de santé gestionnaire de ladite chambre mériteraient d’être élargies. Les chambres mortuaires sont dans un hôpital ou un établissement de soin, les chambres funéraires dépendent d’une société de pompes funèbres dont le statut permet d’accueillir tout corps relevant d’une autre société de pompes funèbres. À titre dérogatoire, les chambres mortuaires devraient accueillir des défunts aussi simplement.


 


Renforcer le pilotage des pouvoirs publics sur l’activité


La mission préconise également de mettre en place un plan de suivi des habilitations accordées au titre de la thanatopraxie et d’effectuer des contrôles inopinés sur le fondement de l’article L. 2213-44 du CGCT. En effet, les procédures d’habilitation dans les préfectures sont uniquement administratives et déclaratives. Aujourd’hui, des contrôles manquent sur les contrats obsèques, les devis modèles, etc. Jean-Pierre Sueur est catégorique : une entreprise qui ne répond pas volontairement au contrat modèle chaque année devrait voir son habilitation retirée immédiatement. L’administration doit davantage sanctionner les opérateurs funéraires par retrait ou suspension de leur habilitation lorsqu’ils ne respectent pas leurs obligations légales, et poursuivre pénalement les opérateurs funéraires ou les thanatopracteurs indépendants qui proposent des prestations sans y être autorisé, estime le rapport.


De plus, il est nécessaire d’en savoir plus sur la profession et de lutter contre son exercice clandestin. Cela demande d’améliorer l’organisation des pouvoirs publics impliqués dans le contrôle et la régulation de la thanatopraxie. La mise en œuvre d’un référentiel dématérialisé des opérateurs funéraires comprenant les indicateurs quantitatifs et qualitatifs afin de suivre l’exercice de la profession en améliorerait la compréhension. Basiquement, établir un formulaire unique numérique de déclaration préalable à la thanatopraxie favoriserait l’harmonisation des informations délivrées. Le sénateur propose aussi de créer un fichier national des thanatopracteurs.


 


Mettre fin aux disfonctionnements d’accès à la profession, mieux l’accompagner


Le ministère de l’Intérieur doit chapeauter le diplôme de thanatopracteur (avec l’appui du ministère de la Santé et celui du Travail).


Aujourd’hui, il existe une formation théorique validée par un examen sous forme de questionnaire à choix multiple. Les étudiants reçus sont placés dans une entreprise auprès d’un thanatopracteur afin d’acquérir un enseignement concret. Des membres du jury national des thanatopracteurs sont dépêchés quelques mois plus tard pour faire passer l’épreuve pratique. Toute cette organisation émane du comité national d’évaluation de la formation pratique de thanatopracteur (CNT), constitué par les neuf établissements de formation. Jean-Pierre Sueur demande une organisation publique pour la validation de ce diplôme, mais aussi de :


revoir le processus d’élaboration des épreuves théoriques en confiant au président du jury national la détermination du contenu des sujets en total indépendance des organismes de formation ;


relever le numerus clausus ;


contrôler les organismes de formation ;


mettre en place une formation continue et un guide des bonnes pratiques ainsi que des règles déontologiques.


Signalons enfin que l’inscription en formation théorique n’exige aucun prérequis, tout le monde peut y accéder sans connaître nécessairement la réalité du métier. Or, la profession est dure psychologiquement, le thanatopracteur se trouvant quotidiennement au contact de cadavres. En conséquence, il est constaté un écart significatif entre le nombre de diplômés et celui des praticiens. La mission conseille que tout postulant passe une semaine auprès d’un thanatopracteur avant de pouvoir s’inscrire, cela afin d’éviter de s’engager dans des études en pure perte.


 


Les 9 principales propositions

1. Clarifier la définition légale de la thanatopraxie et distinguer dans les devis modèles (désormais obligatoires) le coût des toilettes funéraires, des soins de présentation et de la thanatopraxie (soins de conservation).

2. Garantir le libre choix des familles de recourir à la thanatopraxie.

3. Assurer l’accès à la thanatopraxie pour les défunts porteurs de certaines infections transmissibles.

4. Imposer le respect de précautions universelles standard dans l’exercice de la thanatopraxie et proposer un suivi médical à tous les thanatopracteurs.

5. Faire un bilan fin 2021 de la thanatopraxie à domicile et, le cas échéant, mettre fin à cette pratique.

6. Doter les pouvoirs publics d’outils de suivi et de contrôle de la thanatopraxie.

7. Réformer la formation de thanatopracteur, préciser et élargir le contenu des enseignements, et garantir l’impartialité et l’indépendance des évaluateurs du diplôme national.

8. Relever le numerus clausus pour diversifier l’offre de thanatopracteurs sur le territoire.

9. Mettre en place une formation professionnelle continue et un Code de déontologie propre à la profession de thanatopracteur.


 


C2M


 


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