La presse et
les réseaux sociaux se font de plus en plus souvent l’écho d’incidents survenus
à bord d’aéronefs et provoqués par des passagers dits « indisciplinés et
perturbateurs » (ou « PAXI » dans le jargon aérien). Si ces incidents
prenaient parfois une tournure plus ou moins cocasse1, ce phénomène ne cesse de
s’amplifier2. Cela
entraîne non seulement une répercussion négative sur l’expérience de voyage des
autres passagers, mais engendre également un impact opérationnel et financier
indéniable pour les compagnies aériennes3.
De quoi s’agit-il exactement ? Dans le cadre du transport aérien
commercial de personnes, le passager perturbateur est défini comme un « passager
qui ne respecte pas les règles de conduite à un aéroport ou à bord d’un aéronef
ou qui ne suit pas les instructions du personnel de l’aéroport ou des
membres d’équipage et perturbe de ce fait le bon ordre et la discipline à
l’aéroport ou à bord de l’aéronef »4. En réalité,
ce phénomène ne se limite pas à la seule discipline, mais peut également
relever de la matière pénale dans les situations les plus sérieuses5.
En effet, la Convention de Tokyo relative aux infractions et à certains autres
actes survenant à bord des aéronefs de 1963 appréhendait déjà cette question
lorsque l’aviation commerciale s’est démocratisée. La Convention distingue
ainsi deux types de comportements entrant dans son champ d’application6 :
a) les
infractions aux lois pénales7 ;
b) les actes qui, constituant ou non des infractions, peuvent
compromettre, compromettent la sécurité de l’aéronef ou de personnes ou de
biens à bord, ou compromettent le bon ordre et la discipline à bord.
La Convention de 1963 octroie alors au commandant de bord des pouvoirs
importants lorsqu’il est confronté à l’indiscipline d’un passager puisqu’il
peut prendre des mesures de contraintes appropriées, mais aussi décider de
débarquer le passager concerné et le remettre aux autorités compétentes. Dans
une telle hypothèse, tant le commandant de bord que le personnel navigant,
d’autres passagers ou encore l’exploitant ou le propriétaire de l’aéronef
bénéficient d’une immunité. En d’autres termes, ils ne pourront être à leur
tour inquiétés pour avoir pris des mesures justifiées par l’attitude d’un PAXI.
Pourtant, et malgré les désagréments et le coût engendrés par l’indiscipline,
les compagnies aériennes ont longtemps hésité à poursuivre en justice les PAXI.
La jurisprudence en la matière demeurait en effet lacunaire, car il s’avérait
difficile de qualifier l’acte d’indiscipline8, et les compagnies
craignaient alors de ternir leur image de marque en poursuivant un de leurs
clients.
Prenant ces
hésitations en considération face à la multiplication des incidents, les États
ont finalement amendé la Convention de Tokyo en adoptant le protocole de
Montréal en 2014.
Ce protocole étend la compétence juridictionnelle obligatoire, clarifie les
comportements qui doivent être qualifiés d’infraction, et permet surtout aux
compagnies d’obtenir un dédommagement de la part du passager indiscipliné pour
les frais induits.
Ce protocole est entré en vigueur le 1er janvier 2020. Il
renforce les moyens de dissuasion offerts aux compagnies aériennes en présence
d’un comportement indiscipliné ou perturbateur de ses passagers à bord. Les
compagnies ont également pris conscience de l’intérêt d’intervenir en amont
pour prévenir et identifier ce phénomène, dès l’arrivée du passager à
l’aéroport.
Détecter et
prévenir l’indiscipline du passager
Le Protocole de Montréal n’appréhende que les comportements
indisciplinés survenant à bord, mais le plus souvent, l’indiscipline est déjà
constatée au sol, à l’aéroport, et peut être favorisée par l’enchaînement de
facteurs divers (retard de vol, surbooking, attente au contrôle de sûreté,
stress lié au voyage, consommation de drogue ou d’alcool, etc.).
Il est donc primordial pour les compagnies aériennes de pouvoir
maîtriser en amont les risques9. Cela va bien entendu passer par la
mise en place de procédures spécifiques internes en cas de détection d’un
passager indiscipliné avec pour corollaire, une formation de leur personnel au
sol comme de leur personnel navigant, pour désamorcer d’abord toute plainte de
caractère mineur émise par un passager et éviter ainsi une escalade qui
prendrait son apothéose une fois à bord de l’appareil.
Ensuite, il faut permettre au personnel d’identifier au plus tôt les
passagers à risque. Dans de nombreux cas, c’est la consommation d’alcool qui
est à l’origine d’un comportement indiscipliné. Des compagnies ont décidé de
supprimer toute distribution à bord de boissons alcoolisées et de refuser aux
passagers le droit d’en apporter, y compris celles acquises en Duty Free ; c’est le cas de Ryanair sur ses vols reliant le Royaume-Uni à Ibiza après une série d’incidents ayant
nécessité le déroutement de vols du fait de passagers ivres et particulièrement
agressifs10. Néanmoins, l’impact de telles mesures face à ce
phénomène croissant reste limité, puisque le passager peut
toujours consommer de l’alcool avant d’embarquer11. Or, pour des
raisons de sécurité à bord, les passagers doivent être aptes à suivre les
consignes du personnel navigant tant pour le bon déroulement de chacune des
phases de vol que dans le cadre de mesures d’urgence (évacuation de l’appareil,
etc.). Les conditions générales de transport des compagnies aériennes
rappellent d’une manière générale la possibilité pour le transporteur de
refuser de transporter un passager dans ces conditions, à l’instar des
conditions d’Air France.
Les compagnies ont alors développé une culture du rapport où chaque
« incident PAXI », quelle que soit son importance, est noté. En
fonction de la gravité des faits, les compagnies décideront des mesures à
adopter, et pourront interdire aux passagers perturbateurs de voyager sur leurs
lignes pendant une période déterminée. La pratique de la liste noire n’est pas
en tant que telle prévue par les instruments internationaux de droit aérien,
mais elle s’est développée au sein des compagnies aériennes. À cet égard,
l’élaboration de telles listes devra se conformer à la réglementation
applicable en matière de traitement des données personnelles12.
Avant l’entrée en vigueur du RGPD, Air France avait soumis à la Commission
nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) son projet de création de
liste de passagers interdits temporairement de vols, qui l’avait approuvée dans
la mesure où l’inscription sur une telle liste était justifiée et où l’exercice
des droits de la défense du passager concerné était assuré13. Ainsi,
le refus de transport pour des voyages ultérieurs, et ce sur une période de
18 mois, par la compagnie Air France, a été admis en jurisprudence14.
Dès lors qu’un incident est signalé, une compagnie sera en mesure de se
prémunir d’incidents ultérieurs avec ce même passager.
L’ensemble
de ces mesures favorise la prévention des incidents mais ne sont pas
suffisantes. Le protocole de Montréal apporte un cadre plus dissuasif pour
tenter de contenir un phénomène malheureusement croissant dans le transport
aérien.
Dissuader le comportement
indiscipliné d’un passager
L’une des mesures phares du protocole de Montréal a été d’élargir la
compétence juridictionnelle obligatoire des États15 et de
renforcer l’entraide entre États16. Jusqu’à présent, seul l’État
d’immatriculation de l’aéronef était compétent pour connaître des infractions
et actes accomplis à bord. Or en pratique, les comportements indisciplinés
restaient le plus souvent impunis. En effet, l’État sur le territoire duquel un
PAXI avait été débarqué, estimait en général que la compétence relevait d’un
autre État, celui de l’immatriculation, et ne sanctionnait pas le comportement
incriminé.
Pour pallier cette carence, la compétence juridictionnelle a été étendue
à l’État de l’exploitant (lorsque le principal établissement ou résidence
permanente de l’exploitant de l’aéronef où est survenu l’incident prend à la
location un aéronef sans équipage pour tenir compte du fait que les compagnies
recourent souvent au « dry lease »).
Elle a encore été étendue à
l’État d’atterrissage, à savoir lorsque l’aéronef atterrit sur son
territoire et que le passager en cause se trouve encore à bord. Toutefois, le
protocole a introduit deux mesures de sauvegarde dans cette hypothèse :
l’infraction reprochée doit être suffisamment sérieuse (à savoir elle doit
compromettre la sécurité de l’aéronef ou des personnes ou des biens à bord, ou
le bon ordre et la discipline à bord) et constituer une infraction dans l’État
de l’exploitant.
C’est pourquoi il est apparu nécessaire d’expliciter les comportements
qui doivent être réprimés. Sont visés tout acte de violence physique ou menace
d’accomplir un tel acte à l’encontre d’un membre de l’équipage ou le refus
d’obéir à une instruction licite donnée par le commandant d’aéronef ou en son
nom aux fins d’assurer la sécurité de l’aéronef ou des personnes ou des biens
qui s’y trouvent17. Il appartient donc aux États contractant de définir dans leurs
législations les actes réprimés.
Le législateur français avait déjà adopté des mesures permettant de
réprimer les crimes ou délits commis à bord d’un aéronef, immatriculé ou non en
France, lorsque l’auteur ou la victime est de nationalité française, lorsque
l’appareil atterrit en France après le crime ou le délit, ou encore lorsque
l’aéronef a été donné en location sans équipage à une personne qui a le siège
principal de son exploitation ou, à défaut, sa résidence permanente sur le
territoire de la République18. Ces dispositions couvrent déjà les
situations retenues par le protocole.
Surtout, le protocole de Montréal permet aux compagnies d’exercer un
recours compensatoire à l’encontre du PAXI19. Les coûts
engendrés par un comportement indiscipliné peuvent être significatifs20. Aussi, le
droit d’obtenir un dédommagement pour un retard ou un déroutement résultant de
l’attitude d’un passager indiscipliné devrait-il être dissuasif. Il s’agissait
d’une mesure particulièrement attendue des compagnies aériennes. Désormais, les
compagnies qui devront dérouter un vol pour débarquer un passager pourront
solliciter une indemnisation en application des principes de responsabilité
civile.
Il reste que
si le commandant de bord dispose de pouvoirs étendus et est seul à décider des
mesures à prendre à l’encontre d’un PAXI, ces mesures doivent être
nécessaires : elles doivent garantir la sécurité de l’aéronef ou des
personnes ou des biens à bord, ou maintenir le bon ordre et la discipline à
bord. En cas de litige entre un passager considéré comme indiscipliné et une
compagnie, celle-ci devra justifier la décision prise par le commandant de bord
afin d’invoquer utilement l’immunité21.
Or, cette interprétation revient aux tribunaux qui apprécient la légitimité de
la décision visant un passager.
Ainsi,
l’expulsion d’une passagère lors d’une escale a été jugée comme étant une
décision exagérée, dans la mesure où son attitude n’a été à l’origine d’aucun
trouble ni danger pour les autres passagers. Le personnel se fondait sur un
« comportement inapproprié » de la passagère qui s’était rendue par
deux fois de la classe économique à la classe affaire où était assis son
compagnon durant le vol. La compagnie a dû indemniser la passagère pour le
trouble subi du fait de la retenue de son passeport l’ayant empêchée de
repartir durant 40 heures22.
En revanche, dans une autre affaire, le refus d’embarquement a été approuvé du
fait des propos injurieux tenus par le passager et de la menace qu’il a
proférée à l’encontre du personnel de la compagnie. La Cour a estimé que se
posait légitimement pour le personnel la question du caractère prémonitoire des
propos tenus, alors qu’il devait embarquer pour un vol transatlantique. Elle a
retenu l’analyse faite par le personnel eu égard à la nécessité d’assurer la
sécurité de tous les passagers au cours du vol23.
Le passager agressif s’est néanmoins montré audacieux devant la Cour en
réclamant à la compagnie le versement de l’indemnité forfaitaire prévue par le
règlement (CE) n° 261/2004 pour refus d’embarquement24.
Ce règlement prévoit en effet une indemnisation forfaitaire des passagers
aériens en cas de refus d’embarquement, annulation ou retard important de vol.
Encore faut-il ne pas être à l’origine de l’incident, ce qu’a observé la Cour
pour lui refuser toute indemnisation !
Si un PAXI
se voit à juste titre refuser une quelconque indemnisation du fait de son
attitude, qu’en est-il des autres passagers ? Il sera en pratique plus
aisé pour eux de poursuivre la compagnie25
plutôt que le PAXI pour obtenir une indemnisation du préjudice subi.
Pourront-ils néanmoins percevoir également l’indemnité forfaitaire du règlement
européen précité ou se verront-ils opposer la notion de circonstance
extraordinaire en cas de retard ? Telle est la question actuellement posée
devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)26. La décision de la compagnie de
dérouter un vol pour débarquer un PAXI repose sur un impératif de sécurité,
quand bien même elle entraînerait un retard important pour les autres
passagers. Un tel impératif de sécurité devrait, semble-t-il, permettre à la
compagnie aérienne d’invoquer valablement la notion de circonstances
extraordinaires pour s’exonérer vis-à-vis des autres passagers, conformément à
la jurisprudence récente de la CJUE en la matière27.
Il est en effet nécessaire de permettre aux passagers de voyager non
seulement en toute sécurité, mais également sereinement sans avoir à subir
l’indiscipline de son voisin de siège. Il conviendra donc de laisser une marge
de manœuvre appropriée aux compagnies pour gérer les comportements
indisciplinés et dissuader efficacement toute tentative de perturbation d’un
vol.
NOTES :
1)
« Gérard Depardieu fait pipi dans l’avion... hors des toilettes »
Libération, 17 août 2011 ; « Delarue jugé pour ses violences
en avion » Le Figaro, 28 mars 2007.
2)
Il était fait état en 2013 d’un cas en moyenne sur 1 362 vols, puis en
2014 d’un cas pour 1 289 vols.
3)
OACI, Note de travail présentée par l’IATA, A39-WP/139.
4)
OACI Annexe
17 à la Convention de Chicago de 1944, Sûreté - Protection de l’aviation civile
internationale contre les actes d’intervention illicite.
5)
Les actes terroristes quant à eux font l’objet de dispositions spécifiques, ne
relevant pas de l’indiscipline.
6)
Conv. de Tokyo, Art. 1er.
7)
Le comportement indiscipliné peut constituer une infraction réprimée par le
Code pénal : injures, menaces, ivresse publique, violences volontaires,
consommation de stupéfiants, mise en danger d’autrui, exhibition ou agression
sexuelle, détournement d’aéronef, etc. Le fait de se rendre coupable de
violences à bord d’un aéronef est également prévu par l’art. L. 6433-2 C.
transports.
8)
L’indiscipline peut prendre des formes extrêmement variées : elles peuvent
consister en des insultes ou menaces à l’encontre du personnel ou d’autres
passagers, voire en des actes de violences, état d’ivresse, mais aussi en un
refus d’obtempérer aux consignes de sécurité (attacher la ceinture, éteindre
les appareils électroniques, respecter l’interdiction de fumer, etc.). Le plus
souvent il y aura un cumul d’attitudes inappropriées.
9)
Une compagnie a ainsi été condamnée à indemniser des passagers blessés par un
autre passager. Ce dernier avait été autorisé à monter à bord malgré son
agressivité et il n’avait pas été isolé des autres passagers pour éviter le
dommage. TGI Toulouse, 20 octobre 2008, n° 06/02611.
10)
https://www.bbc.com/news/uk-england-bristol-33621040
11)
Ainsi un chef de cabine avait refusé de servir de l’alcool à un passager déjà
en état d’ébriété. Ce dernier avait alors subtilisé une bouteille puis refusé
de la rendre. Une altercation avait ensuite éclaté, au cours de laquelle tous
deux ont été blessés. Le passager a été interpellé à Hong Kong mais sa
condamnation pour violences volontaires graves a été annulée par la juridiction
d’appel locale. De retour en France, il a été condamné à indemniser le chef de
cabine de ses préjudices (fracture nasale). TGI Paris, 9 janvier 2017,
n° 14/03289.
12)
Règl. (UE) 2016/679 du PE et du Cons., 27 avril 2016, « RGPD ».
13)
Délibération CNIL n° 2016-240 du 21 juillet 2016.
14)
Dans cette affaire, un salarié d’Air France voyageait en tant que passager sur
un vol de la compagnie française. Or, au cours de ce vol, il a eu un
comportement particulièrement inapproprié puisqu’il était en état d’ivresse, il
se montrait bruyant au point de gêner les autres passagers et il s’était livré
à des attouchements sur une hôtesse. Cass. Soc. 18 janvier 2017,
n° 15-21802.
15)
Prot. de Montréal Art. IV.
16)
Prot. de Montréal Art. V.
17)
Prot. de Montréal Art. X.
18)
Art. 113-4 et 113-11 C. pénal.
19)
Prot. de Montréal Art. XIII.
20)
Ils peuvent parfois atteindre 200,000 US $ pour dérouter un avion,
selon l’IATA.
21)
Prot. de Montréal Art. IX.
22)
CA Paris, 5 septembre 2013, n° 12/00086.
23)
CA Montpellier, 7 novembre 2018, n° 16/01367.
24)
Règl. (CE) n° 261/2004 du PE et du Cons., 11 février 2004, Art. 7.
25)
En cas de blessures par exemple : op. cit. note 9.
26)
CJUE, n° C-74/19, demande de la Cour, 31 janvier 2019.
27)
CJUE, 4 mai 2017, C315/15, Marcela Pešková, Jirí Peška c/ Travel Services a.s.,
Juristourisme n° 201, octobre 2017, p. 44.
Valérie Augros,
Avocat à la Cour