Alexandre Grellier a
fondé Drooms en Allemagne en 2001.
Drooms est une société spécialiste de la protection et des échanges de
documents sensibles et confidentiels. Cette entreprise est aujourd’hui le
leader européen des datarooms virtuelles, outils informatiques permettant, notamment lors des due diligence, l’accès contrôlé à de
grandes quantités de documents confidentiels. Lors d’un entretien exclusif avec
le Journal Spécial des Sociétés, le chef d’entreprise a présenté en détail sa société ainsi que son
point de vue sur les grands changements et évolutions que connaît actuellement
le marché de la dataroom dans le monde, du fait de l’avènement de l’intelligence artificielle.
Pourriez-vous vous présenter ?
J’ai cofondé Drooms en 2001 avec Jan
Hoffmeister. Auparavant, j’ai travaillé comme juriste chez Lehman Brothers à
Francfort et à Londres, en particulier dans les domaines Legal &
Compliance et Management de transactions.
Comment vous est venue
l’idée de créer Drooms ? Avez-vous rencontré des difficultés lors de la
fondation de votre société ?
En créant Drooms, nous souhaitions avant tout
répondre à l’objectif suivant : simplifier les échanges de documents
confidentiels via une plateforme hautement sécurisée. La gestion de la due
diligence est au cœur de nombreuses transactions et représente souvent un
examen approfondi de milliers de documents... un processus long et complexe à
gérer, surtout que plusieurs parties sont généralement impliquées.
À sa création, en 2001, Drooms s’inscrivait comme
une société de services physiques au service de la due
diligence. Autrement dit, nous organisions la logistique afin
de permettre une consultation de documents sensibles dans le cadre de
transactions, ce qui s´effectuait à l’époque souvent dans des caves remplies de
classeurs poussiéreux. Rapidement, nous avons compris le potentiel et les
avantages du numérique et avons pensé et développé une solution logicielle
intuitive centrée sur l’expérience utilisateur aux normes de sécurité
maximales. L’abandon des datarooms physiques au profit d’outils virtuels
permet de structurer, optimiser et accélérer le processus de due diligence.
Des difficultés lors la création il y en a eu !
Mon associé et moi avons créé une société informatique alors que nous venions
tous les deux d’un autre univers : le domaine juridique et de la fusion
& acquisition (M&A). Ce qui était au début un challenge
particulièrement difficile, car nous devions comprendre la technologie et ses
possibilités, s’est finalement révélé être une véritable opportunité, car nous
comprenions parfaitement les attentes des utilisateurs, les ayant vécues par
nous-mêmes.
Quels sont vos métiers,
les produits que vous proposez et comment êtes-vous organisé ?
Drooms a conçu une dataroom virtuelle
permettant l’accès contrôlé à de grandes quantités de documents. Une dataroom
virtuelle est une solution en mode cloud spécialement conçue pour le
stockage et le partage d’informations confidentielles. Elle offre des
fonctionnalités spécifiques telles que les permissions granulaires, l’outil
Q&A, les notes et marque-pages ainsi que l’authentification à double
facteur ou le filigrane dynamique.
Nous avons récemment fait évoluer notre solution
pour proposer à nos clients une due diligence intelligente et
automatisée. Nous ne mettons plus seulement une plateforme ultra-rapide
permettant l’accès aux documents confidentiels, nous définissons actuellement
les bases d’une dataroom dotée d’intelligence artificielle (IA) grâce à
des technologies d’auto-apprentissage ayant pour objectif à moyen terme la
réalisation automatique et fiable d’un rapport de due diligence à
95 % sur simple pression d’un bouton.
Comment a évolué votre
entreprise au cours du temps ?
Créée en 2001, Drooms est devenue en cinq ans
le leader européen des datarooms virtuelles. Notre solution est
aujourd’hui utilisée par plus de 25 000 entreprises dans le monde,
dont plus de 50 % des entreprises du DAX 30 ainsi que par de nombreux
cabinets d’avocats et de conseil renommés. L’outil a géré plus de
10 000 transactions d’une valeur totale de plus de 300 milliards
d’euros. Drooms compte 130 collaborateurs issus de 25 nationalités
différentes, présents à Francfort (siège), Munich, Paris, Zurich, Londres,
Amsterdam, Madrid, Milan, Sofia et Vienne.
Qui sont vos
clients ? Et quelle est votre stratégie d’expansion ?
La solution de dataroom est utilisée, d’une
part, lorsqu’une transaction se présente (fusion & acquisition, levée de
fonds, IPO, etc.) et, d’autre part, pour la gestion permanente d’actifs
(portefeuille immobilier, gestion de fonds, etc.) Les cas d’utilisation
sont donc multiples et les secteurs de nos clients sont très diversifiés :
immobilier commercial, finance d’entreprise, juridique, bio-tech et énergie par
exemple.
Nos interlocuteurs ne sont généralement pas des
directeurs informatiques, mais plutôt les dirigeants, DAF, juristes et
responsables M&A.
Notre stratégie d’expansion est d’une part
l’ouverture de nouveaux marchés géographiques ; d´autre part, l’approche
de nouvelles industries comme le domaine des biotechnologies.
Évoluant dans un cadre où la sécurité des données
est un critère extrêmement sensible et où la confiance pour un prestataire joue
un rôle considérable, le bouche-à-oreille et la réputation de notre solution
jouent un rôle majeur lors du choix final de nos clients.
Pouvez-vous nous en dire
plus sur le fonctionnement concret d’une dataroom ?
La dataroom de Drooms permet l’accès contrôlé
à de grandes quantités de documents confidentiels. Elle a été élaborée autour
de cinq caractéristiques qui font sa force : sécurité, rapidité,
simplicité, support et service. La dataroom facilite l’échange de
documentation. Elle se distingue des solutions cloud « classiques »,
car elle permet un transfert et un stockage hautement sécurisés des
informations, généralement encadrés par des droits de gestion des utilisateurs
élaborés.
Bien que les datarooms aient été en grande
partie développées pour soutenir les processus transactionnels, l’outil
convient à toutes les situations nécessitant un logiciel de gestion et de
partage des documents particulièrement sécurisé. Ces opérations, qui impliquent
de nombreuses parties prenantes (avocats, banquiers, juristes, experts techniques,
conseillers, etc.), comprennent généralement plusieurs centaines de
milliers de pages de documentation. La dataroom permet alors un accès
immédiat, sécurisé et simultané à tous les acteurs impliqués et l’intégralité
des activités effectuées sont documentées pour des raisons de traçabilité.
Notre domaine d’activité est en effet extrêmement sensible : une moindre
fuite au moment de lever des fonds, lors d’une fusion ou d’une cession
d’entreprise peut avoir des conséquences irréversibles.
Drooms s’appuie de plus
en plus sur l’intelligence artificielle. Quelle(s) utilisation(s) faites-vous
justement de l’IA et de ses potentialités (machine learning, NLP...) ?
Tout à fait, nous avons lancé « Findings
Manager ». Cet outil propose de remplacer des analyses manuelles par
des méthodes automatisées et apprenantes de l’IA. Notre solution est capable
d’analyser le contenu des documents et d’évaluer, de façon autonome, les
risques et opportunités présentes au sein des transactions ainsi que de
permettre l’intégration d’une estimation financière. Nous proposons ainsi à nos
clients de remplacer des tâches manuelles chronophages, telles que la lecture
et le classement des documents nécessaires aux procédures, par des processus
automatisés et auto-apprenants afin de les laisser se concentrer sur des
opérations plus stratégiques ou à plus forte valeur ajoutée.
Depuis la création de
votre entreprise en 2001, les technologies ont évolué. Selon vous, quels
sont les grands changements et évolutions que connaît actuellement le marché de
la dataroom dans le monde ?
Ces dernières années, le marché a été complètement
bouleversé. Le passage progressif des datarooms physiques aux datarooms
virtuelles a entraîné de grands changements : moins de limite spatiale et
temporelle ce qui permet d´élargir les parties prenantes potentiellement
intéressées par une transaction, réduction significative des coûts liés à un
projet et amélioration de l’emploi des ressources d’un point de vue
environnemental grâce notamment à la réduction de papier et des déplacements.
Si les fournisseurs de datarooms se sont
jusqu´à présent principalement concentrés sur le développement de technologies
permettant d’avoir un outil de dataroom toujours plus rapide, sécurisé
et intuitif, nous commençons à assister à l’éclosion d’une tendance de fond.
Les besoins de nos utilisateurs ne sont plus uniquement d’avoir accès à des
documents dans une dataroom, ils souhaitent idéalement avoir un accès
plus rapide à l’information en elle-même.
Drooms, par exemple, travaille actuellement sur l’optimisation des
processus de due diligence en intégrant l’IA au cœur de sa technologie
de dataroom virtuelle et en utilisant l’apprentissage machine pour
automatiser les processus manuels et répétitifs. Cela signifie que nous entraînons
nos machines à ressortir les éléments importants des documents avec pour
objectif à moyen terme la réalisation automatique des rapports de due
diligence. Grâce à cette technologie de Findings Manager développée
par Drooms, les experts pourront se concentrer sur les tâches pour laquelle
leur valeur ajoutée est la plus forte, car rien ne peut remplacer les
années d’expérience, l’instinct et les connaissances acquises.
Il y a cependant encore du chemin à effectuer, et,
d’une part, la technologie en est à ses débuts, d’autre part car il subsiste de
nombreux obstacles à l’adoption de l’IA dans ce type de processus, tel que le
manque de confiance dans la capacité d’égaler l’intelligence humaine par
exemple.
Quel est votre regard
d’ancien juriste sur l’évolution du marché actuel du droit ? Pensez-vous
que le milieu gagne à s’appuyer de plus en plus sur les nouvelles
technologies ?
Les cabinets juridiques n’ont commencé que récemment
à investir dans des technologies disruptives. Selon des études menées par mes
collaborateurs, les cabinets d’avocats français pourraient améliorer leur
productivité de 50 % s’ils utilisaient les technologies d’IA. Pour autant,
beaucoup se montrent encore sceptiques et sont parfois peu enclins à adopter
ces nouvelles méthodes, car ils se demandent s’il s’agit d’un effet de mode ou
d’une tendance de fond génératrice de valeur. Dans un récent sondage réalisé
par Drooms auprès de plus de mille utilisateurs (avocats, juristes,
analystes, banquiers, etc.), plus de la moitié d’entre eux (52 %) ont
déclaré que l’IA allait transformer complètement leurs processus de travail
tandis que seuls 23 % pensent qu’elle aura peu ou pas d’impact dans leur
domaine. Par ailleurs, 72 % des sondés estiment que ces nouvelles
technologies, comme notre solution Findings Manager, accélèrent le
processus de due diligence ; parmi ceux-ci, un sur dix déclare
qu’elles réduisent le temps nécessaire à la réalisation d’une due
diligence d’au moins 75 %.
Leur premier objectif de notre outil Findings
Manager est avant tout d’accélérer les processus afin de remplacer de
longues heures d’analyse documentaire par des processus intelligents et
automatisés.
Selon vous, certains
professionnels ont-ils raison de craindre une ubérisation des métiers du
droit ?
Le métier du droit évolue, c´est indiscutable. Si
l’IA est déjà utilisée par les professionnels du secteur financier, les
cabinets juridiques n’ont commencé que récemment à investir dans des
technologies disruptives. Même si beaucoup de professionnels se montrent encore
sceptiques et sont parfois peu enclins à adopter ces nouvelles méthodes, c´est
un tournant indéniable à ne pas sous-estimer pour rester compétitif.
L’entrée en vigueur du
RGPD en France et en Europe impose désormais de nouvelles obligations en termes
de protection des données. Cela va-t-il modifier votre manière de
travailler ? Quels impacts du règlement sur votre fonctionnement ?
Le règlement général sur la protection des données
(RGPD), considéré par certains comme le plus grand changement des lois
européennes sur la vie privée de ces vingt dernières années, a
suscité une certaine agitation en Europe. Étant donné notre secteur d’activité
particulièrement sensible, Drooms a toujours accordé la plus haute importance à
la protection de la confidentialité de ses clients, notamment grâce à des
centres de serveurs exclusivement en Europe. Les mesures de sécurité mises en
place protègent les données contre les modifications, les traitements et les
suppressions injustifiés. À notre niveau, la clarté de la structure
d’entreprise, l’absence de sous-traitants, le stockage de données sur des
serveurs européens pour éviter des transferts risqués font partie des solutions
que nous offrons pour garantir la sécurité et la confidentialité des données
critiques. Nous investissons énormément de temps dans la formation de nos
employés et aussi dans la sensibilisation de nos clients et utilisateurs sur la
problématique de la protection des données personnelles.
Quelles sont vos
perspectives d’avenir ?
Nous investissons énormément dans la R&D. Le
développement de l’IA n´en est qu’à ses débuts et nous sommes confiants sur le
fait que cette technologie va nous permettre d’automatiser la due diligence
et répondre ainsi à un réel besoin de nos utilisateurs.
Propos recueillis par Maria-Angélica Bailly