Carole
Tétrel est Directrice juridique de Banque Richelieu France. Pour le Journal
des Sociétés, elle a accepté de revenir sur les problématiques actuelles
que connaît sa profession. Elle nous parle ainsi de la conformité et son rôle
de contrôle, mais aussi des enjeux numériques auxquels sa direction est
soumise.
L’univers des banques demeure plutôt masculin. Reste-t-il
des pistes à explorer pour assurer une meilleure parité ?
Oui à l’évidence. Cette amélioration est vraie aussi dans
de nombreux autres domaines. Il faut d’ailleurs soutenir le travail des hommes
et des femmes qui ont le courage de porter ces évolutions positives de la
société. Sur le plan juridique, des barrières ont déjà été levées, avec
notamment les Lois sur l’égalité professionnelle, la Loi sur l’égalité homme
femme de 2014, ou encore plus récemment en août dernier la Loi sur la liberté
de choisir son avenir professionnel. L’axe principal d’amélioration reste
l’évolution des mentalités, me semble t-il, et les femmes doivent être
convaincues de leurs forces et capacités. Un des freins principaux à la parité
dans les milieux d’affaires touche à l’organisation du travail et à
l’articulation vie professionnelle et vie personnelle. Il faut offrir les
moyens de la flexibilité de l’organisation familiale, en particulier pour
rendre le télétravail « flexible », et la confiance mutuelle doit s’installer
entre le salarié et l’employeur. Mais c’est également dans le couple que les
choses doivent changer pour que les femmes aient réellement le choix du chemin
de leur vie.
Quel est l’ADN de votre direction juridique ?
À l’heure où les sociétés ont l’opportunité de
s’interroger sur leur « raison d’être» avec le projet de
Loi Pacte, la question est pertinente pour les directions juridiques. L’ADN
signifie dans sa définition primaire « acide désoxyribonucléique ». Mon acide à
moi c’est l’énergie. L’énergie à déployer auprès des clients de la direction
juridique pour collaborer sur les projets à mener ensemble, celle nécessaire
pour animer une équipe de juristes et la porter plus haut, et enfin celle qu’il
faut pour valoriser le travail accompli et convaincre sa Direction. Ma vision
d’une Direction Juridique de qualité est qu’il doit y avoir une alchimie entre
les compétences de chaque personne composant l’équipe, que l’objectif commun
doit être de travailler en collaboration avec les opérationnels et toujours
être en recherche d’efficacité opérationnelle. La Direction Juridique doit être
un partenaire de confiance et se positionner en business partner.
La conformité est un enjeu majeur pour les banques.
Comment cette fonction s’articule-t-elle avec vos missions ?
Dans les banques, la fonction Conformité est une
obligation réglementaire avec la nomination d’un Responsable de la Conformité
des Services d’Investissement (RCSI). Coexistent alors une Direction Conformité
et une Direction juridique. La première s’assure du respect des règles établies
au sein des établissements bancaires, c’est avant tout un rôle de contrôle. La
seconde résout et prévient les potentiels problèmes juridiques, assure la
sécurité juridique des contrats, opérations, montages financiers… Elle a avant
tout un rôle de conseil. Les actions des deux directions vont dans le même sens
: protéger la banque, sa réputation, et donc sa stratégie. Dans les secteurs
d’activité où la fonction Conformité n’est pas une obligation, elle est de plus
en plus intégrée dans les règles de gouvernance et c’est souvent le Directeur
Juridique à qui est rattachée cette mission, preuve de la complémentarité de
nos métiers.
Comment la digitalisation est-elle entrée dans le
quotidien du juriste de banque ?
Le
juriste doit s’adapter à la digitalisation du droit mais aussi au nouveau «
droit du digital ».
La profession des juristes
d’entreprises est aujourd’hui face à un tournant avec le développement
croissant des technologies digitales. Nous nous interrogeons sur ce que
deviendra notre métier dans 10 ans. Un ordinateur est capable aujourd’hui de
générer automatiquement un contrat (#contract
management), un logiciel est
en mesure d’indiquer le pourcentage de chance de gagner un procès (#justice prédictive), le juriste doit adopter de
nouveaux codes de communication (#legal
design), des chatbots
peuvent répondre à des questions juridiques simples et récurrentes (#robo-advisors)… La démocratisation de ces
outils n’est plus qu’une question de temps et aura nécessairement une incidence
sur le métier. Néanmoins la profession recrute, comme le montre la 6e édition de la Cartographie des Directions
juridiques de LEXqi Conseil de juin 2018.
Au-delà du métier du juriste,
la digitalisation et l’intelligence artificielle impactent également son
contenu. Le juriste doit devenir expert du « droit du digital »,
et répondre aux questions nouvelles soulevées par la matière elle-même : comment
assurer la validité d’un contrat signé de manière électronique ? Quelle est
l’incidence sur mon dispositif contractuel de l’intégration d’une «API
»* dans mes systèmes ? La digitalisation est bien sûr incontournable
dans les banques. C’est le client qui dicte la donne et ses attentes sont
importantes. Le smartphone est devenu l’interface entre la banque et son
client, et de fait, de nouveaux sujets sont à traiter et encadrer. L’«Open-banking
»** s’est invité dans le secteur bancaire, ce qui révolutionne la
façon de penser du juriste de banque. Il doit avoir envie d’accompagner la
banque dans ces innovations. Et tout ceci, en mode agile bien sûr…
Propos
recueillis par Anne Durez