Clarisse Sand, vous présidez
l’Institut du droit pénal fiscal et financier. Pouvez-vous vous présenter
brièvement et nous indiquer les raisons de la création de cet institut ?
Je suis avocate inscrite au barreau de Paris
depuis plus de dix ans, et j’exerce avec mon équipe dans le domaine du droit
fiscal et du droit pénal fiscal, qui inclut naturellement une dimension
contentieuse très importante. Ce nouvel institut est né du constat de la
nécessité de confronter les pratiques des professionnels spécialisés
respectivement en droit pénal ou en droit fiscal, dont le récent alliage
suppose de repenser la pratique de la défense et de la poursuite des
infractions fiscales et financières.
Les États luttent contre la
fraude fiscale avec plus ou moins de réussite. Que pensez-vous de l’action de
la France dans ce domaine ?
Indéniablement, la France fait partie des
nations qui ont pris le sujet à « bras
le corps » depuis plusieurs années. Elle a, en ce sens,
considérablement renforcé ces dernières années sa législation de lutte contre
la fraude fiscale en instaurant de nouveaux moyens et en renforçant les
sanctions déjà existantes, s’inscrivant dans la logique des préconisations des
institutions européennes et internationales.
Vous présidez L’IDPF². De quoi
s’agit-il ?
Il s’agit d’un nouvel institut qui vient de
« sortir de terre » en mai
dernier, après une longue période de réflexion entre professionnels (avocats,
magistrats, universitaires, experts financiers) exerçant dans le domaine de la
criminalité financière et fiscale. Sa vocation est d’apporter une « pierre à l’édifice » au titre de la
compréhension et de l’appréhension de la pénalisation du droit fiscal et des
délits financiers y afférents.
Que proposez-vous aux
membres ?
Il s’agit de créer un laboratoire d’idées
destiné à réunir des professionnels du droit et du chiffre de divers horizons
au sein d’une structure dédiée au partage des expériences, à la réflexion sur
l’évolution de la pratique de la défense et de la poursuite des infractions
pénales, fiscales et financières. De fait, suivant des questions préalablement
établies ensemble, nous travaillerons au sein de plusieurs commissions avec
l’objectif de faire naître des bonnes pratiques et de décrypter l’incidence des
nouvelles lois consacrées à la lutte contre la fraude fiscale au niveau
national tout en étudiant la dimension européenne et internationale au sein de
laquelle notre droit positif évolue. Il est également prévu, par le biais de
publication, une veille juridique sur les thèmes travaillés au sein de
l’institut.
Y a-t-il des conditions
d’adhésion à remplir ?
Oui, il faut être un professionnel du droit
et du chiffre ayant cinq ans d’ancienneté professionnelle. Les personnes
désireuses d’adhérer à notre institut sont ensuite reçues par un membre afin de
l’agréer définitivement. Une cotisation annuelle de 120?euros est sollicitée.
En quoi l’IDPF² est-il novateur
par rapport aux autres associations consacrées à l’étude du droit fiscal et du
droit pénal ?
Le thème abordé, tout d’abord : c’est le
premier institut consacré exclusivement au droit pénal, fiscal et financier,
matière finalement assez nouvelle qui mélange les cultures et les pratiques du
droit fiscal, matière fondamentalement de droit public, et du droit pénal,
matière fondamentalement de droit privé, dans un monde économique en constante
évolution. Ensuite, la méthodologie de travail que nous souhaitons construire a
pour objet de confronter plusieurs professions qui ne se rencontrent pas ou
peu, alors même qu’elles se prononcent toutes sur le même fait juridique, à
savoir la commission de la fraude fiscale par une personne ou une entreprise.
Ainsi, nous souhaitons faire travailler ensemble des magistrats administratifs
avec des magistrats de l’ordre judiciaire. L’apport des avocats et des
universitaires, ainsi que des autres professions en lien avec la fiscalité
(comme celle des experts-comptables ou des experts financiers) permettra
également d’avoir une vision « de terrain » mélangée à une réflexion
juridique poussée.
Envisagez-vous que l’action de
l’institut ait un écho auprès des législateurs ?
Oui, bien entendu. C’est l’un des objectifs
de l’institut à moyen terme. D’ailleurs, à ce titre, nous sommes déjà
intervenus de manière très ponctuelle auprès de parlementaires dans le cadre de
la discussion actuellement en cours sur le projet de loi de lutte contre la
fraude fiscale. Une commission dédiée aux relations avec les parlementaires
sera instaurée au sein de l’institut.
Quels seraient les points pour
lesquels vous aimeriez être entendue ?
Ils sont très nombreux !
Pour vous citer trois exemples, nous
souhaiterions d’abord que soit améliorée la cohérence du traitement des
dossiers entre les juridictions administratives et judiciaires. Aujourd’hui, en
France, un contribuable peut être condamné pour fraude fiscale par le juge
correctionnel, et être « innocenté »
ultérieurement par le juge administratif, en raison d’un calendrier non
synchronisé entre les juridictions. Cette situation est difficilement
acceptable puisqu’elle nécessite un processus correctionnel lourd (le recours
en révision) afin que la personne condamnée soit finalement innocentée.
Si le phénomène est marginal, il n’en est pas
pour le moins choquant aux vues des conséquences personnelles pour le condamné
finalement innocenté.
Ensuite, nous souhaiterions également que le
processus correctionnel lié à la fraude fiscale soit plus respectueux des
garanties du contribuable.
À titre d’exemple, il est parfois difficile de différencier, devant le tribunal
correctionnel, le parquet de la partie civile (soit l’administration fiscale),
qui est d’ailleurs souvent perçue comme la seule « sachante » de la fiscalité, alors que l’infaillibilité de
l’analyse d’une matière si complexe que la fiscalité ne peut se concevoir en
tant que telle. Cette situation blesse les principes de bonne administration de
la justice et de respect du contradictoire.
Enfin, il s’agit également pour nous de
définir les bonnes pratiques précontentieuses du fait de l’émergence des
nouveaux outils de lutte contre la fraude fiscale entrés en vigueur, comme le
dispositif du témoin fiscal, qui ressemble à s’y méprendre à l’audition libre
classique, à ceci près qu’elle ne concerne pas le fraudeur mis en cause.
Une soirée de lancement est
programmée le 20?septembre. Qui seront vos invités ? Quels sujets
prévoyez-vous d’aborder à cette occasion ?
Effectivement, dans le cadre de cette soirée
fondatrice, nous allons, avec les membres associés de l’institut, discuter des
objectifs de notre institut, en établir une vision sur les prochaines années,
et mettre en place les commissions de travail. Ce sera également l’opportunité
pour les professionnels convaincus de l’intérêt de notre institut, issus de
milieux différents, de se rencontrer dans un cadre respectueux de leurs
professions respectives et des obligations déontologiques y afférentes afin de
dialoguer sur un thème dont l’avenir est devant lui.
Imaginez-vous des projets à
long terme pour l’IDPF² ?
Oui, bien sûr. Les premières commissions que
nous souhaitons mettre en place seront complétées avec la création d’autres
commissions, suivant l’intégration des nouveaux adhérents. Par ailleurs, nous
souhaitons également mettre en place un réseau international adossé à notre
institut afin que nos membres puissent bénéficier d’un regard professionnel et
pragmatique des pratiques des autres pays en matière de lutte contre la fraude
fiscale et des délits financiers y afférents, et ce, toujours avec l’ambition
de faire avancer le droit pénal fiscal et financier et de nourrir notre
réflexion hexagonale.
À moyen et long terme, notre ambition est de
devenir l’institut référent sur le thème du droit pénal fiscal et financier,
qui constitue une nouvelle branche de notre droit. Dans dix ans, nous
souhaitons apparaître rétrospectivement comme des éclaireurs et des fondateurs.
D’ici là, une passionnante aventure humaine et intellectuelle s’ouvre à nous et
à ceux qui souhaiteront nous rejoindre.
Propos recueillis par C2M