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Entretien avec Clarisse Sand, présidente de l’Institut du droit pénal fiscal et financier

Entretien avec Clarisse Sand, présidente de l’Institut du droit pénal fiscal et financier
Publié le 19/07/2018 à 14:38

Clarisse Sand, vous présidez l’Institut du droit pénal fiscal et financier. Pouvez-vous vous présenter brièvement et nous indiquer les raisons de la création de cet institut ?

Je suis avocate inscrite au barreau de Paris depuis plus de dix ans, et j’exerce avec mon équipe dans le domaine du droit fiscal et du droit pénal fiscal, qui inclut naturellement une dimension contentieuse très importante. Ce nouvel institut est né du constat de la nécessité de confronter les pratiques des professionnels spécialisés respectivement en droit pénal ou en droit fiscal, dont le récent alliage suppose de repenser la pratique de la défense et de la poursuite des infractions fiscales et financières.

Les États luttent contre la fraude fiscale avec plus ou moins de réussite. Que pensez-vous de l’action de la France dans ce domaine ?

Indéniablement, la France fait partie des nations qui ont pris le sujet à « bras le corps » depuis plusieurs années. Elle a, en ce sens, considérablement renforcé ces dernières années sa législation de lutte contre la fraude fiscale en instaurant de nouveaux moyens et en renforçant les sanctions déjà existantes, s’inscrivant dans la logique des préconisations des institutions européennes et internationales.

Vous présidez L’IDPF². De quoi s’agit-il ?

Il s’agit d’un nouvel institut qui vient de « sortir de terre » en mai dernier, après une longue période de réflexion entre professionnels (avocats, magistrats, universitaires, experts financiers) exerçant dans le domaine de la criminalité financière et fiscale. Sa vocation est d’apporter une « pierre à l’édifice » au titre de la compréhension et de l’appréhension de la pénalisation du droit fiscal et des délits financiers y afférents.

Que proposez-vous aux membres ?

Il s’agit de créer un laboratoire d’idées destiné à réunir des professionnels du droit et du chiffre de divers horizons au sein d’une structure dédiée au partage des expériences, à la réflexion sur l’évolution de la pratique de la défense et de la poursuite des infractions pénales, fiscales et financières. De fait, suivant des questions préalablement établies ensemble, nous travaillerons au sein de plusieurs commissions avec l’objectif de faire naître des bonnes pratiques et de décrypter l’incidence des nouvelles lois consacrées à la lutte contre la fraude fiscale au niveau national tout en étudiant la dimension européenne et internationale au sein de laquelle notre droit positif évolue. Il est également prévu, par le biais de publication, une veille juridique sur les thèmes travaillés au sein de l’institut.

Y a-t-il des conditions d’adhésion à remplir ?

Oui, il faut être un professionnel du droit et du chiffre ayant cinq ans d’ancienneté professionnelle. Les personnes désireuses d’adhérer à notre institut sont ensuite reçues par un membre afin de l’agréer définitivement. Une cotisation annuelle de 120?euros est sollicitée.

En quoi l’IDPF² est-il novateur par rapport aux autres associations consacrées à l’étude du droit fiscal et du droit pénal ?

Le thème abordé, tout d’abord : c’est le premier institut consacré exclusivement au droit pénal, fiscal et financier, matière finalement assez nouvelle qui mélange les cultures et les pratiques du droit fiscal, matière fondamentalement de droit public, et du droit pénal, matière fondamentalement de droit privé, dans un monde économique en constante évolution. Ensuite, la méthodologie de travail que nous souhaitons construire a pour objet de confronter plusieurs professions qui ne se rencontrent pas ou peu, alors même qu’elles se prononcent toutes sur le même fait juridique, à savoir la commission de la fraude fiscale par une personne ou une entreprise. Ainsi, nous souhaitons faire travailler ensemble des magistrats administratifs avec des magistrats de l’ordre judiciaire. L’apport des avocats et des universitaires, ainsi que des autres professions en lien avec la fiscalité (comme celle des experts-comptables ou des experts financiers) permettra également d’avoir une vision « de terrain » mélangée à une réflexion juridique poussée.

Envisagez-vous que l’action de l’institut ait un écho auprès des législateurs ?

Oui, bien entendu. C’est l’un des objectifs de l’institut à moyen terme. D’ailleurs, à ce titre, nous sommes déjà intervenus de manière très ponctuelle auprès de parlementaires dans le cadre de la discussion actuellement en cours sur le projet de loi de lutte contre la fraude fiscale. Une commission dédiée aux relations avec les parlementaires sera instaurée au sein de l’institut.

Quels seraient les points pour lesquels vous aimeriez être entendue ?

Ils sont très nombreux !

Pour vous citer trois exemples, nous souhaiterions d’abord que soit améliorée la cohérence du traitement des dossiers entre les juridictions administratives et judiciaires. Aujourd’hui, en France, un contribuable peut être condamné pour fraude fiscale par le juge correctionnel, et être « innocenté » ultérieurement par le juge administratif, en raison d’un calendrier non synchronisé entre les juridictions. Cette situation est difficilement acceptable puisqu’elle nécessite un processus correctionnel lourd (le recours en révision) afin que la personne condamnée soit finalement innocentée.

Si le phénomène est marginal, il n’en est pas pour le moins choquant aux vues des conséquences personnelles pour le condamné finalement innocenté.

Ensuite, nous souhaiterions également que le processus correctionnel lié à la fraude fiscale soit plus respectueux des garanties du contribuable.
À titre d’exemple, il est parfois difficile de différencier, devant le tribunal correctionnel, le parquet de la partie civile (soit l’administration fiscale), qui est d’ailleurs souvent perçue comme la seule « sachante » de la fiscalité, alors que l’infaillibilité de l’analyse d’une matière si complexe que la fiscalité ne peut se concevoir en tant que telle. Cette situation blesse les principes de bonne administration de la justice et de respect du contradictoire.

Enfin, il s’agit également pour nous de définir les bonnes pratiques précontentieuses du fait de l’émergence des nouveaux outils de lutte contre la fraude fiscale entrés en vigueur, comme le dispositif du témoin fiscal, qui ressemble à s’y méprendre à l’audition libre classique, à ceci près qu’elle ne concerne pas le fraudeur mis en cause.

Une soirée de lancement est programmée le 20?septembre. Qui seront vos invités ? Quels sujets prévoyez-vous d’aborder à cette occasion ?

Effectivement, dans le cadre de cette soirée fondatrice, nous allons, avec les membres associés de l’institut, discuter des objectifs de notre institut, en établir une vision sur les prochaines années, et mettre en place les commissions de travail. Ce sera également l’opportunité pour les professionnels convaincus de l’intérêt de notre institut, issus de milieux différents, de se rencontrer dans un cadre respectueux de leurs professions respectives et des obligations déontologiques y afférentes afin de dialoguer sur un thème dont l’avenir est devant lui.

Imaginez-vous des projets à long terme pour l’IDPF² ?

Oui, bien sûr. Les premières commissions que nous souhaitons mettre en place seront complétées avec la création d’autres commissions, suivant l’intégration des nouveaux adhérents. Par ailleurs, nous souhaitons également mettre en place un réseau international adossé à notre institut afin que nos membres puissent bénéficier d’un regard professionnel et pragmatique des pratiques des autres pays en matière de lutte contre la fraude fiscale et des délits financiers y afférents, et ce, toujours avec l’ambition de faire avancer le droit pénal fiscal et financier et de nourrir notre réflexion hexagonale.

À moyen et long terme, notre ambition est de devenir l’institut référent sur le thème du droit pénal fiscal et financier, qui constitue une nouvelle branche de notre droit. Dans dix ans, nous souhaitons apparaître rétrospectivement comme des éclaireurs et des fondateurs. D’ici là, une passionnante aventure humaine et intellectuelle s’ouvre à nous et à ceux qui souhaiteront nous rejoindre.

 

Propos recueillis par C2M

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