Après avoir
été président de commission lors du 105e puis du 110e
Congrès des notaires, Emmanuel Clerget, notaire à La Charité-sur-Loire, sera
dès le 25 mai prochain aux commandes de la 114e édition. Il nous
offre un avant-goût de cette manifestation historique qui fait cette année la
part belle au territoire.
Vous tiendrez les rênes du Congrès des
notaires d’ici quelques jours. Quels sont les apports de cet événement pour
l’intérêt général mais aussi pour la profession ?
Le Congrès, c’est d’abord un rapport, fruit d’une réflexion
indépendante menée sur deux années. Les rapports sont des photographies de
l’état de notre droit à un moment précis sur des questions, certes techniques,
mais jamais déconnectées des enjeux de société. Le développement durable, les
nouvelles formes de conjugalités, le numérique… ont permis au notariat
d’accompagner ces évolutions de la société. C’est ensuite, le temps du congrès
lui-même, la présentation de propositions, débattues et soumises au vote des
notaires. Elles résultent bien évidemment de cette analyse approfondie et
précise de notre droit, mais également des rencontres avec les acteurs de ces
évolutions. Pour le Congrès de cette année, ce sont ainsi plus de
cinquante personnalités (syndicats, associations, universitaires, élus…)
qui ont été écoutées. Par son indépendance, son analyse rigoureuse, sa
proximité avec le terrain, son sens de l’écoute, le Congrès des notaires fait
œuvre d’intérêt général. Pour la profession, cette œuvre d’intérêt général doit
être sa fierté. Le temps du congrès, c’est également pour les notaires celui de
l’unité et du rassemblement autour de valeurs fortes. Accueillir nos jeunes
confrères, débattre et contribuer à dire le droit de demain, se former,
s’ouvrir au monde par la rencontre des fondations et associations qui œuvrent
au quotidien aux côtés des plus faibles, et aussi, car c’est le sel de notre
vie, vivre ensemble des moments conviviaux.
« Demain, le territoire », c’est un thème plutôt audacieux pour cette 114e édition !
Pourquoi l’avoir choisi ?
Vous flattez mon ego ! Mais il est vrai qu’en choisissant ce thème
en avril 2016, je ne savais pas qu’il serait aussi prégnant dans notre
actualité. Agriculture, énergie, territoires ruraux, villes moyennes,
métropoles… Tous ces sujets sont bousculés et invités à se réinventer. Nous
avons été très surpris de nous entendre dire et répéter pendant
deux ans : « Nous n’attendions pas les notaires sur ce thème ».
C’est, pour moi, un grand motif de satisfaction. Ce thème, je l’ai choisi parce
qu’il oblige le juriste, mais aussi le citoyen, à répondre à des questions
cruciales : comment, sur un espace limité, offrir à une population
croissante de la nourriture en quantité et qualité satisfaisantes ?
Comment faire face à l’épuisement des énergies fossiles et diminuer la part du
nucléaire ? Comment rendre agréables à vivre nos métropoles ? Comment
lutter contre la désertification des territoires ruraux ? Toute l’équipe a
énormément changé dans la perception de ces questions et donc de notre monde de
demain.
Pendant 18 mois,
quatre commissions ont travaillé à la réalisation d’un rapport de près de
1 000 pages sur le sujet, dont les principales propositions seront
présentées aux professionnels qui se rendront à Cannes du 27 au 30 mai.
Quelles sont celles qui vous tiennent le plus à cœur ?
Toutes les propositions forment un tout cohérent. Elles racontent en
vingt chapitres une seule histoire : celle de notre territoire
de demain. Mais je cède à votre demande et vous offre pour chacune des
quatre commissions mes coups de cœur.
Première commission, « Demain, l’agriculture » :
les rapporteurs proposent une évolution des Groupements Fonciers Agricoles pour
tenir compte des changements profonds de l’agriculture. Au territoire agricole,
dont la vocation essentielle a été de produire des denrées alimentaires, il est
aujourd’hui demandé de contribuer à la transition énergétique en fournissant
des énergies nouvelles et renouvelables. Pour porter le foncier en agriculture,
et dégager l’agriculteur du poids de l’investissement dans la terre, il faut
ouvrir le capital des GFA à d’autres personnes que celles aujourd’hui admises.
Mais il faut également garantir la stabilité sur son exploitation de
l’agriculteur, sanctuariser la terre
agricole et favoriser le passage à une agriculture plus respectueuse des sols.
Cette proposition, en élargissant l’objet social et en ouvrant l’accès au
capital social, sous conditions, répond à ces objectifs.
Deuxième commission, « Demain, l’énergie » : mon
intérêt pour la forêt me porte sur la proposition visant à lutter contre son
morcellement. Les rapporteurs proposent de simplifier les dispositifs actuels
et d’unifier l’ensemble des droits de préemption et de préférence existant sur
les parcelles de bois inférieures à quatre hectares et d’en confier la
gestion à un opérateur unique. Ils prévoient également une procédure de
délaissement aux termes de laquelle l’opérateur devra acquérir cette parcelle.
Troisième commission, « Demain, la ville » : la
transition énergétique passe par le développement des énergies renouvelables,
mais également par une diminution de la consommation d’énergie. À ce titre,
l’isolation des bâtiments par l’extérieur est le moyen le plus efficace pour y
parvenir. Or, aujourd’hui, si le mur à isoler est en limite de propriété, cette
isolation est impossible. Les rapporteurs proposent que soit reconnue une
servitude légale qui permettra d’imposer au voisin cette isolation par
l’extérieur et donc d’empiéter sur sa propriété. Cela au nom d’un intérêt
supérieur : la transition énergétique.
Quatrième commission, « Demain, le financement » :
dans cette commission, je suis très attaché à la proposition visant à clarifier
la fiscalité applicable aux pas de porte. Ainsi, dans le prolongement de la
reconnaissance en 2010 au profit du bailleur du droit de percevoir lors de la
conclusion d’un bail cessible hors cadre familial (bail rural) un pas de porte,
il apparaît urgent de donner une réponse nette à la qualification fiscale de la
somme perçue : s’agit-il d’un supplément de loyer à et, à ce titre, taxé
dans les revenus fonciers, ou d’une indemnité compensant la dépréciation du
bien, et alors exonéré de toute imposition ? Personne ne peut affirmer
qu’il s’agit de l’un ou de l’autre sauf à faire prendre des risques
inconsidérés tant aux parties qu’aux praticiens. Nos rapporteurs appellent à une
clarification mais également proposent un cas particulier de bail justifiant
d’un cas particulier de dépréciation.
Vous êtes notaire à La Charité-sur-Loire.
Quelle place occupe le territoire dans votre profession ?
Les notaires ont un lien fort avec le territoire sur lequel ils
exercent. Ils le parcourent sans cesse, accompagnent ses transformations, le
connaissent par cœur. Surtout, ils entretiennent avec les occupants des liens
de proximité forts qui participent à mon avis à cet attachement de nos concitoyens
aux notaires. Quant au territoire que j’ai le bonheur d’habiter, je l’aime
parce qu’il est tout simplement magnifique. Et dire qu’il est aujourd’hui en
voie d’abandon ! Ils sont fous ces humains !
Propos
recueillis par Bérengère Margaritelli