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Entretien avec Étienne Madranges, Avocat à la Cour, magistrat honoraire

Entretien avec Étienne Madranges, Avocat à la Cour, magistrat honoraire
Publié le 05/12/2019 à 13:54

Etienne Madranges, chroniqueur au JSS publie le Tome II d’Empreintes d’histoire chez LexisNexis. L’auteur aux mille et une vies passionné par l’histoire et la langue française nous dévoile un peu de ses secrets.


 


Étienne Madranges, vous signez vos chroniques « Avocat à la Cour, Magistrat honoraire ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre trajectoire professionnelle ?


Après un bac scientifique, j’ai fréquenté la faculté des sciences (maths-physique) puis la faculté de droit pendant cinq ans, et Sciences Po Paris jusqu’à prép’ENA après le diplôme. M’étant inscrit à plusieurs concours, j’ai finalement choisi la magistrature car cela correspondait à une vraie vocation, tenace, révélée dès mon adolescence, celle de participer activement à l’œuvre de justice. J’ai donc été magistrat pendant 40 ans, toujours au parquet, exerçant des fonctions variées, notamment dans les domaines financier, civil, des mineurs et de la famille, du terrorisme (pendant cinq ans), des stupéfiants. À plusieurs reprises en détachement, j’ai pu exercer des fonctions passionnantes dans des cabinets ministériels, dans les secteurs de la jeunesse (j’avais dans le passé encadré des jeunes, formé aux diplômes de l’animation, et enseigné dans diverses universités), ainsi que de la politique de la ville, de l’éducation, ou encore comme directeur d’administration centrale en charge de la jeunesse, de la vie associative, et de l’éducation populaire au ministère de la Jeunesse et des Sports, ce qui m’a amené à rédiger des textes de loi ou des traités, ou encore à animer des institutions internationales. J’ai pris ma retraite de la magistrature à 66 ans, mais il est parfois difficile pour un homme de robe de quitter celle-ci. J’avais obtenu mon diplôme d’avocat parallèlement à mon entrée à l’École de la magistrature, et il me semblait inenvisageable de ne plus fréquenter les Palais de Justice. Aussi, c’est tout naturellement que j’ai prêté serment et suis devenu avocat, il y aura bientôt trois ans, au barreau de Versailles, un barreau dynamique. Parallèlement, j’ai accepté d’autres missions, intégrant la réserve citoyenne de la gendarmerie comme colonel, participant à des émissions télévisées, ou contrôlant des banques comme réviseur coopératif agréé.


 


Vous avez mené une longue mission unique en son genre pour la Chancellerie. De quoi sagissait-il ?


C’était il y a 12 ans. La garde des Sceaux décidait alors de réformer la carte judiciaire. De nombreux tribunaux allaient fermer. Or, la plupart des bâtiments concernés appartenaient aux collectivités territoriales. Et par ailleurs, certains de ces tribunaux contenaient des meubles précieux, des bibliothèques historiques, des objets judiciaires rares. Il fallait donc recenser tout ce patrimoine, sauver des objets, des tableaux, des archives… J’ai reçu une lettre de mission de la ministre me confiant le recensement de tout le patrimoine du ministère. Je suis donc parti sur les routes de France afin de visiter non seulement les juridictions mais aussi les prisons, parcourant plus de 100 000 kilomètres, allant outre-mer jusqu’aux îles Marquises dans le Pacifique, aux îles du Salut en Guyane, à Wallis et Futuna. Plus de 1 200 juridictions visitées, environ 400 prisons dont 180 établissements pénitentiaires en fonctionnement visités (j’ai profité de mes déplacements pour visiter les prisons historiques fermées), tous photographiés de la cave au grenier. 200 000 clichés pris lors de ces visites, effectuées pour la plupart avec feu mon ami Jean Favard, conseiller honoraire à la Cour de cassation, qui m’a souvent secondé dans mes recherches et constats.



« Je voyage plusieurs fois par mois. Pour certaines chroniques, il m’a fallu plusieurs jours de recherches, comme pour celle sur la tapisserie d’Angers ».


Cette expérience vous a permis d’accéder à une foule d’informations originales. Quelles sont celles que vous avez préférées ? Est-ce que certaines restent secrètes ?


J’ai parfois découvert des merveilles, au plan patrimonial, des vitraux qu’il fallait restaurer, de lourds secrets de temps en temps, des anomalies quelquefois (abus, disparitions d’objets rares ou de pièces à conviction, travaux sans autorisation), que j’ai évidemment signalées (mais ce n’était bien sûr pas de ma compétence, le ministère étant doté de services d’inspection performants), des situations cocasses, comme ces quelques bureaux de hauts magistrats où se trouvait le portrait du président de la République que l’on se hâtait de cacher à mon arrivée, comme s’il y avait une forme de honte à cela, ou ces peluches multiples dans un tribunal, ou encore ces collections de chats peints ou dessinés par des greffiers, le greffier étant dans la littérature assimilé au chat. Cette mission m’a aussi permis de constater que d’innombrables magistrats travaillaient beaucoup, emportant des dossiers le week-end chez eux dans des valisettes à roulettes, que les locaux imposés aux juges comme aux greffiers étaient parfois dans un état déplorable, que les fuites d’eau étaient nombreuses un peu partout, que certains tribunaux d’instance n’avaient plus de papier pour les imprimantes dès l’automne, et qu’à certains endroits, les avocats qui voulaient un jugement étaient invités à apporter leur propre ramette de papier ! J’ai pu sauver des livres anciens destinés à la destruction, et ai fait transférer (non sans résistance dans certains cas) dans des cours d’appel des meubles typiquement judiciaires donc rares. Et j’ai pu fixer par l’image le décor des tribunaux fermés (dont certains sont devenus des magasins, des médiathèques, des cinémas, des théâtres, des commerces…) et des prisons en voie de fermeture (dont certaines ont été rasées depuis, mais mes clichés ont permis quelques inscriptions à l’inventaire MH après un travail commun avec les DRAC)*.


 


Vous rédigez les chroniques de la rubrique « Empreintes d’histoire » du JSS. Pouvez-vous nous décrire la façon dont vous menez vos enquêtes ? À quel point vous voyagez en France… et quels sont les éléments déclencheurs qui peuvent piquer votre curiosité ?


 


Chaque recherche est une aventure ! Je voyage plusieurs fois par mois. Pour certaines chroniques, il m’a fallu plusieurs jours de recherches, comme pour celle sur la tapisserie d’Angers, où sur place, j’ai interrogé des spécialistes, consulté des documents. Il m’arrive d’aller à la Bibliothèque nationale de France vérifier des éléments après un voyage. Parfois, j’ai le texte mais je me déplace pour l’illustration. L’idée est de toujours avoir environ une centaine de chroniques en préparation, en me servant de sources multiples. Je peux m’inspirer d’une idée recueillie lors d’une émission de télévision, ou d’une simple photo piochée dans mes archives. L’annonce d’un prix littéraire comme le prix Renaudot m’incite à aller à Loudun visiter la maison natale de Théophraste Renaudot et à rédiger un texte sur cet inventeur du journalisme français et du Mont-de-Piété. La découverte d’un plafond à caissons lors de la visite d’un château m’amène à parler de la légende de la chicheface. Lorsque je découvre le Spicilège de Montesquieu dans ses archives conservées à la bibliothèque Mériadeck à Bordeaux, je commence à rédiger une chronique sur Montesquieu en partant du Spicilège. Il m’arrive aussi de partir d’un jeu de mots pour traiter d’un sujet littéraire ou poétique. Si je vais à Charleville-Mézières découvrir le festival de marionnettes, j’en profite pour visiter le musée Rimbaud et donc… écrire sur Rimbaud. Je me sers aussi de mes connaissances dans le domaine de l’histoire de la justice et du patrimoine judiciaire. La visite d’une tour-prison à Sainte-Marie-aux-Mines m’a amené à faire des recherches sur le juge des mines en consultant le spécialiste local ayant fait sa thèse sur ce sujet. À Colmar, j’ai un ami, ancien bâtonnier local, qui est l’un de mes lecteurs réguliers. Très cultivé, il est passionnant quand il explique le sens du Retable d’Issenheim au musée Unterlinden. Cela me donne l’idée de l’enregistrer, puis, extrapolant, de rédiger une chronique sur le mal des ardents, ou ergotisme, car le Retable montre un personnage atteint de ce mal, dont la photo va me permettre d’illustrer mon texte.


 


Sujets inédits, humour et mots rares caractérisent vos articles. Les lecteurs apprécient ce partage culturel. Quelle relation entretenez-vous avec eux ?


Il est vrai que, régulièrement, des lecteurs m’écrivent pour me remercier ou m’apporter des explications complémentaires. Je réponds toujours. J’aime bien ces échanges, ce lien qui s’établit avec les lecteurs. Cela rend l’exercice dynamique et interactif, et l’encouragement prodigué par les lecteurs permet d’améliorer l’exercice car cela crée un devoir de continuer à donner du plaisir de lecture !


 


Vous publiez également des ouvrages. Vous venez d’achever un beau livre, le tome II d’Empreintes d’histoire. Comment est-il conçu ?


C’est mon 14e ouvrage. Il reprend 50 chroniques publiées dans le jss, qui en a déjà publié plus de 120, avec des illustrations issues pour la plupart de mes clichés. Il se termine par le douloureux épisode de l’incendie de Notre-Dame qui m’a beaucoup ému puisque j’avais eu la chance de visiter et photographier sa charpente médiévale et sa flèche.


 


Investigation, écriture, conférences, vous êtes un orateur confirmé. Avez-vous déjà enseigné ?


Oui. J’ai enseigné pendant plus de 15 ans des matières variées (un an la criminologie, cinq ans le droit social, trois ans la note de synthèse, cinq ou six ans la procédure pénale…), dans des universités, mais aussi dans des grandes écoles ou encore dans des écoles de police. J’ai formé des auditeurs de justice et des avocats stagiaires. Ancien « directeur de colo », j’ai formé des générations de jeunes aux diplômes de l’animation (BAFA, BAFD, brevets divers). J’assure ponctuellement des formations judiciaires pratiques (école du barreau) et anime des jurys (éloquence). Je suis toujours membre de la commission nationale OPJ de la police et de la gendarmerie.


Lorsque j’étais magistrat, je disais toujours aux auditeurs de justice qu’un vrai procureur devait parler sans micro, sans papier et sans a priori. À la réflexion, pour l’enseignant comme pour l’avocat, s’il veut captiver son auditoire, c’est pareil : il lui appartient de parler sans micro, sans papier et sans a priori… mais avec une intense conviction.


 


Vous exercez également comme avocat au barreau de Versailles. Trouvez-vous encore du temps pour plaider ?


Bien sûr ! La profession d’avocat a plusieurs cœurs de métier dont l’écoute, le conseil, et la plaidoirie ! La plupart du temps, je fais du « gratuit » (conseils à des associations par exemple). Plaider est une nécessité pour qui aime porter la robe. Même très ponctuellement. Avec des surprises au bout…
on gagne parfois des procès a priori ingagnables, et on en perd des imperdables ! Ainsi va la justice humaine, avec ses aléas. Ce qui compte, c’est, au-delà du nécessaire réalisme, le service que l’on peut rendre, l’indispensable restitution de ce qu’on a eu la chance d’acquérir ou d’apprendre, le partage des valeurs, la passion et l’humanité que l’on doit conserver à chaque étape de l’action !
En définitive, le sens que l’on donne à sa vie.



* L’auteur a publié chez LexisNexis Les Palais de Justice de France, un livre contenant 5 500 photos, montrant 750 Palais de Justice et Prisons, patrimoine de France, évoquant les richesses et le décor de 400 prisons.



Propos reccueillis par C2M




Empreintes d’histoire - Tome 2 - 50 chroniques historiques, judiciaires, drôles et tragiques

« Lire Étienne Madranges est un pur bonheur.L’esprit s’évade et gambade dans le passé ; on reste rêveur par la précision de ces chroniques où les détails foisonnent pour étonner le lecteur.

De-ci de-là, des mots rares sont disséminés pour attiser la curiosité : abotteaux, tribunalite, philalèthe, obreptice…, voilà des galets polis par le temps qu’Étienne Madranges choisit avec méticulosité pour notre joie.

La langue est, en effet, parfaite et, comme grossis au microscope,  des morceaux d’histoire revivent dans ces lignes enchanteresses.

Il n’y a qu’une chose à faire : s’asseoir dans un bon fauteuil et ouvrir ce délicieux ouvrage… » 

Bâtonnier Jean Castelain

 

Tel est le message rédigé par l’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris, fidèle lecteur du Journal Spécial des Sociétés lorsqu’il a appris que le Tome II d’Empreintes d’histoire allait révéler cinquante nouvelles chroniques d’Étienne Madranges. Celui-ci, avocat, ancien magistrat, qui a longtemps enseigné, qui a dirigé une administration centrale et présidé des associations nationales et des institutions internationales, voyage beaucoup et prend des milliers de photos dans les lieux historiques qu’il aime faire découvrir dans ses ouvrages ou lors de ses nombreuses conférences. Le succès rencontré par la publication des cinquante premières chroniques ne pouvait qu’inciter à la publication de ce second tome.

Vous y découvrirez des anecdotes inconnues, y apprendrez notamment que le mouchoir rouge de Cholet était blanc à l’origine, que Jeanne d’Arc a ressuscité un enfant mort-né, que le cardinal de Rohan a fait réaliser un louis d’or avec Louis XVI portant deux cornes sur le front, qu’il y a une ville où la Bâtonnière n’a jamais été avocate, qu’un fils de procureur est devenu roi de deux États étrangers, qu’un loup surveille à Paris la cour des Invalides, que Racine a dénoncé la tribunalite, que Lavoisier a brûlé des diamants, que Louis XIV a épousé la fille d’un brigand, que la tour Eiffel a été vendue deux fois, que le legs du peintre Caillebotte a été en partie refusé par l’État, que les brigades du Tigre avaient bien du mal à suivre les bandits en auto, que Mirabeau était un redoutable séducteur, que Buffon était en procès avec un Baboin, et qu’un roi de France était surnommé Louis des Huîtres.

Des histoires multiples, parfois incroyables, mais vraies, à déguster, un livre à savourer !


Empreintes d’histoire - Tome 2, 50 chroniques historiques, judiciaires, drôles et tragiques, Étienne Madranges, LexisNexis, 190 pages – 39 euros




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