Anciennement à la tête de
l’ACE (Avocats conseil d’entreprise) et de l’Union internationale des avocats,
membre du CNB (Conseil national des barreaux) et du Conseil de l’Ordre,
Jean-Jacques Uettwiller est depuis longtemps au service de la profession. Ce
dernier et Chloé Belloy, avocate au barreau de Paris, se présentent aux
élections du bâtonnat et vice-bâtonnat du barreau de Paris. Défendant un « bâtonnier proche pour un Ordre juste », ils exposent au JSS les priorités de leur projet. Rencontre.
Quels sont vos sentiments sur les réformes
de la justice ?
Nous sommes en phase
avec toutes les propositions portées par nos instances professionnelles, et
particulièrement celles soutenues par le barreau de Paris, qui visent à
garantir la sécurité juridique et les garanties du justiciable comme la
présence de l’avocat en CRPC, ou encore le refus de déjudiciariser la
vente forcée de l’immeuble pour ne citer que deux exemples. Surtout, cela a été
fait dans un esprit de cohésion et d’unité de la profession qu’il faut saluer.
Nous resterons
vigilants sur toutes les mesures qui consistent à restreindre l’accès au juge
dans des conditions garantissant l’état de droit. Nous pensons notamment à la
déjudiciarisation de certaines procédures, à la diminution du rôle de l’avocat
ou à l’accès au juge proprement dit.
Quelles seraient les priorités de votre
mandat ?
Nous avons défini cinq
axes dans notre plan d’action et tous sont prioritaires : recentrer
l’Ordre sur ses missions, renforcer notre équilibre vie privée/vie
professionnelle, adapter la formation initiale et continue aux réels besoins de
la profession, accompagner notre profession face aux mutations technologiques,
unifier notre représentation et opérer une refonte de notre réglementation.
Parmi eux, les deux
points sur lesquels nous devons agir, et nous agirons dès notre prise de
fonction, sont le recentrage de l’Ordre sur ses missions fondamentales et la
refondation de la formation professionnelle.
Il faudra engager sans
attendre un processus « budget base zéro », c’est-à-dire
entrer dans le détail des missions à remplir, essentiellement les missions
régaliennes et celles au service des confrères, en évaluer les moyens à y
affecter et passer ensuite à la réallocation rigoureuse des ressources. Ainsi,
nous serons dans l’action dès le tout début du mandat et voire même avant, en
coopération avec les actuels bâtonnier et vice-bâtonnier.
Cela suppose une véritable et totale transparence des comptes des
institutions ordinales et des rémunérations des avocats missionnés.
En d’autres termes,
nous voulons nous assurer que les ressources de l’Ordre seront allouées aux
missions ordinales et seulement aux missions ordinales.
L’objectif est de même
nature pour la formation professionnelle. Nous voulons transformer l’EFB en une
école où on apprend à faire l’avocat et non pas où on réapprend le droit. Cette
transformation des programmes a déjà été largement engagée par les actuels
bâtonnier et vice-bâtonnier et il faut achever cette action. La formation ne
doit porter que sur la déontologie ; la création et la gestion des cabinets ainsi que la gestion des
relations interpersonnelles ; apprendre à
acquérir et à conserver des clients ; les techniques de la plaidoirie, de la rédaction contractuelle et de la
négociation.
Une grande partie du chantier portera
sur la pédagogie. En effet, la formation dans le grand amphithéâtre se
révèle peu adaptée et doit être remplacée par des ateliers et des foisonnements
d’une trentaine d’étudiants. C’est une revendication des étudiants
eux-mêmes ! Une telle action implique de multiplier les intervenants, ce
qui, dans la pratique actuelle de l’EFB, a un coût élevé. Sans doute
faudra-t-il
revenir aux origines, lorsque les confrères acceptaient que l’enseignement soit
une charge à partager au nom de la confraternité.
Enfin, nous entendons
désenclaver l’EFB en concluant des partenariats effectifs avec l’École
nationale de la magistrature et les grandes écoles de commerce parisiennes.
Comment compteriez-vous
agir en faveur de la parité ?
L’Ordre
ici peut à la fois réglementer et inciter. Nous voulons créer les conditions de
l’égalité homme/femme avec un vrai congé paternité de huit semaines et
assurer la défense effective des avocats victimes de harcèlements ou de
discriminations. Il est aussi prévu d’encourager le travail à distance et
d’avancer le montant des prestations maternité aux cabinets.
Les
avancées doivent venir d’un mouvement positif et non d’un Ordre qui n’aurait
vocation qu’à sanctionner.
Quelle serait votre
plus-value singulière pour le barreau ?
Nous
avons une vision claire et précise de ce que doit faire l’Ordre et de ce qu’il
ne doit pas faire. Nous avons aussi la détermination chevillée au corps de
mettre en œuvre notre plan d’action, même si pour cela il faut bousculer les
usages.
Nous
ne sommes pas tenus par des coteries ou des cercles d’influence et n’avons pas
non plus d’ambitions de post bâtonnat qui viendraient limiter notre liberté
d’action. Nous sommes indépendants et revendiquons une liberté d’action totale.
Pour
ce qui concerne plus particulièrement Jean-Jacques Uettwiller, qui est investi
depuis plus de vingt ans dans les organisations professionnelles
(syndicat, CNB, Ordre, association internationale) et qui poursuit sa
participation aux travaux de ces institutions, sa connaissance des dossiers est
un gage important de l’efficacité de notre action.
Enfin,
la complémentarité de notre binôme permet une représentation de la diversité de
notre Ordre. Nous voulons rendre les avocats fiers d’être avocats à nouveau,
quel que soit leur âge ou leur forme d’exercice. C’est la première fois que
notre barreau voit un binôme permettant cette réelle représentation.
Comment imagineriez-vous
accompagner les mutations de la profession ?
Notre
plan d’action comporte sur ce sujet trois mesures concrètes : engager la
refonte de notre réglementation professionnelle qui résulte aujourd’hui d’un
empilage de textes successifs jamais, ou mal, mis en harmonie entre eux et qui
comprennent des règles obsolètes ; ouvrir nos champs d’actions dans
tous les domaines compatibles avec la déontologie ; accompagner la
profession face aux mutations technologiques en cours.
Il
faut bien garder présent à l’esprit que la profession d’avocat est victime d’un
double mouvement qui nous limite dans notre rôle de défense : d’une part
les pressions sécuritaires et d’autre part, la recherche étatique de ressources
fiscales. Toutes visent à limiter la possibilité d’action, de défense et
de conseil de l’avocat au mépris des principes de La Havane.
La profession ne doit pas
et ne peut pas se laisser faire !
Cela suppose aussi d’être crédibles. Il faut
poursuivre le mouvement engagé où la profession parle d’une seule voix, est
représentée par une seule personne, comme pratiquement toutes les autres
professions réglementées. Exprimer notre diversité à l’extérieur nous dessert.
Réglons les divergences en interne et créons le consensus.
Il y a du droit partout,
et pourtant les avocats sont inquiets quant à l’avenir de la profession. Il est
nécessaire que l’Ordre accompagne les avocats, ceux qui souffrent pour qu’ils
aillent mieux, et ceux qui vont bien pour aller encore mieux.
Nous nous attacherons
aussi à tout ce qui peut simplifier la vie de nos cabinets, comme par exemple,
et ce ne sont que des exemples, obtenir que les décisions du bâtonnier de
fixation des honoraires soient en dernier ressort jusqu’à
5 000 euros, ou obtenir la date certaine pour l’acte d’avocat.
Pour
conclure, un point mérite réflexion. Il concerne la continuité entre
chaque mandat, condition nécessaire à l’efficacité de l’action des bâtonniers
au service des avocats. Le mandat de deux ans du
bâtonnat est bien court, et chaque bâtonnier ou chaque binôme s’empresse de
mettre sous cloche les actions propres de son prédécesseur, pour mettre en
place ses propres projets. Pour limiter cette difficulté, nous entendons
travailler en partenariat avec nos prédécesseurs et nos successeurs de façon à
placer dans la durée l’action des chefs de l’Ordre.
Propos recueillis par Cécile Leseur