En juin dernier, l’assemblée générale de
l’UJA (Union des jeunes avocats) de Paris a élu Marion Couffignal à sa tête.
Cette dernière succède ainsi à Frédéric Perrin, dont elle était jusque-là la
Première vice-présidente. Avocate au Cabinet Auber depuis 2012, Marion
Couffignal représentera désormais les jeunes avocats parisiens pendant un an.
Quelles sont les priorités de son mandat ? Et comment la nouvelle
génération envisage-t-elle les changements qui chamboulent la profession ?
Entretien.
Pouvez-vous
nous présenter l’UJA de Paris ?
L’UJA de Paris
est une association à vocation syndicale créée en 1922 qui accompagne au
quotidien les jeunes avocats dans leur insertion dans la profession. L’UJA de
Paris est un vecteur de réflexions et d’actions sur les questions de justice,
d’égalité et de liberté, mais également sur le développement de l’activité des
avocats. L’UJA est la première association d’avocats à Paris, tant par le
nombre de ses adhérents que par celui de ses élus présents dans les
institutions représentatives du barreau.
En juin
dernier, vous avez été élue présidente de l’UJA Paris pour la période
2019-2020. Quels seront les axes prioritaires de votre mandat ?
Il me tient à
cœur de travailler sur l’avenir de la collaboration, notamment au regard des
attentes des plus jeunes, dont le rapport au travail s’exprime et se vit
différemment des générations précédentes, mais aussi en raison des évolutions
réglementaires comme la pluralité d’exercice, qui pourraient entraîner des mutations
de la collaboration telle que nous la connaissons.
Nous
poursuivons également bien sûr les travaux de la Commission installation et
l’association, car l’UJA peut, et doit être un accélérateur d’avocats. Il en va
de même de nos travaux sur l’égalité, avec le sujet du handicap qui sera abordé
cette année.
La protection
sociale de l’avocat est également un enjeu majeur que je souhaite placer au
cœur de nos travaux, bien sûr dans le contexte de réforme des retraites que
nous connaissons, mais aussi en raison des attentes tendant à plus de mobilité
dans la vie professionnelle, notamment.
À ce titre, la
promesse de campagne d’Emmanuel Macron qui consistait à ouvrir le bénéfice de
l’assurance chômage aux indépendants, avait convaincu de nombreux jeunes avocats
de mon entourage, préoccupés par le besoin de sécurité à une époque où les
carrières ne sont plus aussi linéaires que par le passé.
En effet, de
nombreux collaborateurs libéraux à Paris sont en réalité des professionnels
indépendants mais économiquement dépendants. Ils s’interrogent sur leur
capacité financière à quitter une collaboration qui ne leur correspond plus, à
faire un bilan de compétences, à changer de voie pour embrasser un autre métier
lorsque l’on sait que l’on ne pourra pas devenir associé mais que la structure
au sein de laquelle on excerce n’offre pas nécessairement des perspectives de
collaboration à long terme. Nous devons prendre ces préoccupations en compte
dans notre réflexion, sans que cela signifie qu’il faille nécessairement rechercher
une solution unique.
Je
souhaiterais également que l’UJA poursuive ses réflexions sur les nouveaux
modes d’exercice de l’avocat, les besoins de droit existent, c’est à nous d’y
répondre sans en négliger aucun, quel que soit le public. Par exemple, les
besoins des PME qui n’ont pas nécessairement les moyens d’internaliser des
compétences juridiques sont croissants, il nous appartient de développer des
offres permettant d’y répondre.
La transition
numérique de l’avocat est également un sujet fondamental sur lequel nous
réfléchissons. Nous devons accompagner nos confrères vers un exercice
digitalisé de la profession, mener une réflexion sur les nouvelles façons
d’exercer notre métier qui apparaissent. La disparition de certaines tâches
désormais automatisées, l’accès démocratisé à l’information, tout cela va nous
permettre d’être plus efficaces au bénéfice de nos clients, de décaler notre
plus-value vers ce qui fait le cœur de notre savoir-faire. Mais cette question
ne va pas sans celle des modes de financement des cabinets d’avocat et de
l’innovation des cabinets d’avocats, clé de voute de notre compétitivité. Le
renforcement de l’avocat dans la société se fera par l’extension de ses offres
de services, de son déploiement sur le territoire et de la communication sur
les activités de l’avocat.
Enfin, il est
temps que les entreprises d’avocats s’inscrivent comme des acteurs économiques
responsables en matière de respect de l’environnement, nous allons donc
réfléchir à l’empreinte carbone de l’avocat de demain.
« l’UJA peut,
et doit être un accélérateur d’avocats ».
Que
retenez-vous des actions de votre prédécesseur, Frédéric Perrin ?
Frédéric a été
un président extrêmement dynamique, qui s’est battu avec fermeté contre le
projet de loi Justice, et qui s’est beaucoup impliqué sur le projet de réforme
des retraites. Il a également organisé un magnifique congrès de la FNUJA à
Paris et mis en place les Labs UJA, évènements permettant aux jeunes
professionnels de différentes professions de se rencontrer et dialoguer autour
de thèmes de société.
Pouvez-vous
nous en dire plus sur ce Lab ?
Nous y
convions les jeunes professionnels qui nous entourent et tous ceux qui
souhaitent partager ces réflexions avec les jeunes avocats y sont les bienvenus
(huissiers, magistrats, experts-comptables, etc.).
Le premier
thème était effectivement celui de l’engagement chez les jeunes qu’il faut
veiller à préserver, pour que le renouvellement se fasse et que chacun puisse
se sentir investi d’une parole, d’une responsabilité quant à son avenir dans
notre profession et plus généralement dans la société.
D’autres
thèmes ont été abordés, comme le bien-être au travail, et je sais que de
nombreux autres professionnels y ont été particulièrement sensibles, nous
reviendrons peut-être sur cette question, qui va de pair avec la conciliation de
la vie professionnelle avec la vie privée, la souffrance au travail, car c’est
un sujet fondamental.
Le 29
juin dernier, les jeunes avocats étaient présents, aux côtés du Conseil
national des barreaux (CNB), pour la Marche des Fiertés. À l’heure où l’homophobie
fait encore des ravages, quels messages souhaitiez-vous faire passer ?
Les propos et
agressions homophobes sont intolérables et indignes. Les avocats n’auront de
cesse de défendre les droits de tous celles et ceux qui sont stigmatisés,
attaqués en raison de leur genre ou de leur orientation sexuelle. Je suis
extrêmement fière d’appartenir à une profession dont l’institution
représentative, le Conseil national des barreaux, malgré les attaques, n’a pas
cillé dans l’affirmation de son attachement à l’égalité des droits. C’est grâce
à ce courage et cet engagement que nous avons pu être présents à la Marche des
Fiertés pour rappeler à nos confrères et à l’ensemble de nos concitoyens le
droit à la différence, le droit d’être soi-même. C’est cet engagement de
défendre chacun qui se manifeste dans le slogan « les avocats vous
protègent » qui était inscrit sur le char du CNB.
L’égalité
au droit est un sujet qui apparaît aujourd’hui prioritaire. Égalité
hommes/femmes, droit et handicap… Quelles seront, dans ce cadre, les actions de
l’UJA de Paris pour l’année à venir ?
Après un
rapport sur les congés liés à l’accueil d’un enfant, adopté au mois de mai
dernier, nous travaillons sur un rapport relatif au handicap.
Nous venons
par ailleurs d’adhérer au collectif Ensemble contre le sexisme.
L’égalité est
un combat qui est cher à l’UJA et nous allons bien sûr le poursuivre. Les
discriminations, quelles qu’elles soient, sont encore bien trop nombreuses,
nous n’aurons de cesse de continuer à les dénoncer et à travailler pour
proposer des solutions tendant à réduire les inégalités.
L’UJA de
Paris a accueilli en mai dernier le 76e Congrès de la FNUJA.
Que retenez-vous de cet événement ?
J’en retiens
l’émulation intellectuelle des travaux en Commissions qui nous ont permis de
confronter nos points de vue avec des confrères d’autres UJA. C’est ce qui fait
la force de notre association, elle regroupe des confrères qui ont des modes
d’exercice et des pratiques très différentes, c’est donc une immense richesse.
Cela nous a permis d’aboutir à un certain nombre de motions sur des sujets
variés (la collaboration, la mobilité internationale des avocats, le droit des
étrangers, etc.). Au-delà du travail de fond, c’était une réelle émotion
d’organiser ce congrès sous la présidence d’Aminata Niakate, qui est une femme
de talent et d’engagement.
Réforme
de la justice, réforme du régime des retraites… La profession est en pleine
mutation. Quel regard portez-vous sur ces transformations ? Et comment la
nouvelle génération aborde-t-elle son entrée dans la profession ?
Les jeunes
avocats veulent participer à tous les débats sur les réformes en cours car nous
sommes avant tout une force de propositions. Nous voulons prendre part
activement à toute réflexion permettant de dessiner l’avocat de demain et son
environnement.
Malheureusement,
force est de constater que la technique de « concertation » du
gouvernement laisse peu de place à l’écoute et à la prise en compte des professionnels
qui sont pourtant en première ligne sur le terrain.
Or, la justice
en France a une part bien trop faible du budget de l’État. Certes, des
améliorations peuvent être apportées, sur les outils, les méthodes, mais cela
ne permettra jamais de compenser l’absence criante de moyens suffisants.
La réforme du
régime des retraites est un sujet essentiel et j’invite tous les avocats à s’y
intéresser de près. Les plus jeunes auraient tort de se dire que peu leur
importe puisque la retraite est une échéance lointaine et incertaine, car celle
du doublement de leurs cotisations à revenu constant, si les préconisations de
Jean-Paul Delevoye, qui a été nommé Haut-commissaire à la réforme des retraites
(HCRR), portent leurs fruits, va impacter considérablement leur niveau de vie à
très court terme ! Cette réforme pourrait avoir des conséquences
économiques excessives pour les avocats, dont le régime autonome remplit déjà
les objectifs de solidarité visés par le gouvernement, il est donc essentiel
que nous nous mobilisions tous pour refuser le régime universel et défendre les
spécificités de notre régime de retraite.
Ce sont
effectivement des questions qui pourraient rebuter la nouvelle génération, mais
je ne le crois pas. Les jeunes avocats sont engagés, ils ont envie que leurs
actions aient du sens, non seulement dans leur exercice professionnel, mais
aussi en tant que citoyens.
C’est ce que
nous avons pu constater lors des États Généraux de la Profession d’Avocat. De
nombreux jeunes ont participé aux groupes de travail, qu’il s’agisse
d’élèves-avocats ou de confrères, ils s’intéressent à l’avenir de notre
profession et ont envie d’apporter leur pierre à l’édifice, c’est à la fois
rassurant et galvanisant.
Legaltech,
open data… le numérique aussi apporte son lot de changements. Comment
envisagez-vous l’avocat de demain ?
Je vois ces
changements comme des opportunités formidables dont il faut se saisir. Les
avocats ont la capacité d’avancer, d’évoluer, de se remettre en question, et
nous sommes là pour les y aider.
L’avocat
d’aujourd’hui et de demain est un entrepreneur, mobile, agile, créatif,
attentif à son empreinte carbone et accessible, grâce aux outils du numérique.
Son cabinet à l’avenir sera peut-être tout aussi bien dématérialisé qu’en
vitrine, dans un immeuble haussmannien ou dans un espace de co-working.
L’important est que, quels que soient son mode et son lieu d’exercice, il
s’adapte continuellement aux besoins de ses clients et soit, collectivement, le
premier interlocuteur pour répondre aux besoins de droits des entreprises comme
des particuliers.
Propos
recueillis par Constance Périn