Engagée dans la lutte
contre la cyberviolence et ses conséquences, Respect Zone, fondée par Philippe
Coen, défend un Internet plus sûr. Parmi les moyens mis en place par l’ONG,
celle-ci invite tout un chacun – particuliers, entreprises, institutions, etc.
– à signer la Charte Respect Zone, engagement récemment pris par le Journal Spécial des Sociétés. Prônant des règles minimales de vivre-ensemble et de tolérance à
l’égard d’autrui, Philippe Coen revient, à travers cet entretien, sur le
lancement de l’association, ses missions, et plus largement, sur la régulation
des réseaux sociaux.
Quand et comment est née l’ONG Respect
Zone ?
Respect Zone est née d’un double constat. Celui du caractère
irrespirable des échanges en ligne entre individus, et du constat qui rend
insupportable le fait de ne savoir que faire lorsqu’un individu, ou un groupe
d’individus, se fait violenter sur Internet. Le fait que la logique du
respect soit le grand oublié de la construction digitale m’inquiète au plus
haut point. Aussi, mes enfants ont été témoins de cyberviolence (notamment
contre un enseignant), et je me voyais mal leur répondre : « sur Internet, on n’a pas de recours en
pratique, trop long, trop cher, trop complexe ou en vain ». En tant que
parent, citoyen, nous n’avons pas besoin d’avoir été directement victime pour
se mobiliser contre la haine ou le harcèlement, ou même les incivilités.
Lorsque la haine gagne, l’expression se bride. La passivité a permis les pires
drames de l’histoire. Ce drame, il se déroule à petit feu sur Twitter, etc., et
à n’y rien faire, on laisse faire. Ce combat est un combat de liberté
d’expression en fait. Et d’une manière plus globale, j’ai cette conviction
qu’un citoyen est un acteur, et qu’il se doit de répondre à la devise qui
m’inspire le plus : « fais ce que dois ».
Pouvez-vous nous présenter vos
missions ? Que contient la Charte de l’association, à laquelle plus de 600 signataires
ont adhéré ?
Les usagers individuels, personnes physiques, ont accès
en licence gratuite de « creative commons
» à notre label Respect Zone qui fonctionne comme un tag, un nudge (coup de
pouce), ou un badge d’engagement, et donc de défense en ligne. Il est utilisé
sur la photo de profil ou les sites Internet des individus (plusieurs milliers)
ou des entreprises. Respect Zone compte effectivement 600 signataires de la
Charte en ligne, mais aussi 10 000 followers sur Facebook, près de 1 000 sur
Instagram et 2 000 sur Twitter. 3 500 ont déjà signé l’appel à « libérer le respect sur les réseaux sociaux »
dont Christiane Féral-Schuhl, Christian Charrière-Bournazel, Rafael Nadal,
Arnaud Clément, Philippe Santoro, Éliette Abécassis, Laura Flessel, Jean-Michel
Apathie, Emmanuel Pierrat, Bernard Cazeneuve, des chefs d’entreprise, et nombre
de juristes en entreprise qui sont à l’origine de ce mouvement.
La Charte est excessivement courte et
simple (juste 4 paragraphes compréhensibles dès l’âge de 9 ans, (voir en bas de page). Elle dit pourtant, en mots simples mais précis, les
choses essentielles de l’engagement pour le respect de la personne humaine en
ligne. Cet outil juridique, défendu par le droit des marques, opère comme un
code d’auto éthique sur les espaces de parole en ligne. Pour résumer, la charte
Respect Zone dit tout simplement : « je ne viole pas la loi du
respect de base quand je m’exprime, et lorsque je suis en charge d’un espace,
que je sois un jeune, un moins jeune, une organisation, je modère les espaces
numériques donc j’ai la charge ».
En 2018, un Cercle des juristes, composé de
70 avocats, directeurs juridiques, juristes, magistrats, étudiants… a été
créé. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Suite à la labellisation des plus hautes instances du
droit en France, avec l’AFJE (Association française des juristes entreprise),
le CNB (Conseil national des barreaux), le Barreau de Paris, l’APRAM
(Association des praticiens du droit des marques et des modèles), et bientôt le
Cercle Montesquieu, etc., cette initiative de juristes se devait de constituer
son Cercle des juristes. En juin 2018, j’ai proposé de créer un rassemblement
des juristes pour le respect en ligne. En m oins
d’un an, le nombre des juristes est passé à 70 experts de tous âges,
expériences et métiers. Des professeurs, des juristes, des avocats, des
étudiants en droit constituent ce groupe si utile à la lutte contre les
cyberviolences. Il est bien difficile en effet de lutter contre les
cyberviolences sans procéder en maillage de compétence. La défense des droits
humains sur Internet demande des compétences variées : protection des données
personnelles, pénales, civiles, consommation, cybersécurité, droit à l’image, expérience de l’atteinte à la réputation, droit de la presse, droit
international… Travailler en réseaux de compétence bénévole est assurément un
plus pour venir au secours des victimes. Notre cellule d’aide et d’orientation
gratuite des victimes de cyberviolences est particulièrement équipée avec ce réseau
ouvert de compétence. Toutes les bonnes volontés sont bienvenues.
Le Cercle des juristes assure aussi la mission de représentation de
l’ONG auprès des pouvoirs publics et suit la feuille de route qui consiste à
porter les 50 propositions de textes de droit souple pour améliorer les
systèmes de prévention du fléau du cyberharcèlement, de la cyberhaine et la de
cyberadicalisation.
Le CNB, qui a récemment adhéré à votre ONG, a
lancé, de concert avec le ministère de l’Éducation nationale, la 1re
Journée du droit dans les collèges, et dont la thématique était consacrée, pour
cette première édition aux « droits et devoirs de chacun sur les
réseaux sociaux ». Quel regard portez-vous sur cette initiative ?
Cette initiative est admirable. Avec notre partenariat
nouvellement créé, l’initiative en collège prendra, pour le CNB, une ampleur
nouvelle : celle de permettre à des juristes de rejoindre les rangs des avocats
pour ces interventions en classe, et ne plus à avoir à faire « bande à part »,
permettant aussi de pérenniser le travail du CNB. En labellisant « Respect Zone
» chaque école visitée lors de la journée du droit, le CNB peut désormais laisser
la trace positive de son passage éducatif, et lancer, à chaque intervention, le
programme scolaire « Respect Zone », qui s’inscrit sur l’année entière, avec
ses activités, son Parcours Respect, sa signalétique si caractéristique pour
sanctuariser par la règle de droit les lieux de l’éducation, son livret
d’accueil pour des établissement scolaire en ligne sur notre site Internet et
son programme d’Ambassadeurs Respect Zone pour travailler le pair à pair :
c’est-à-dire travailler en profondeur et non pas un jour par an sur
l’appropriation des concepts par les jeunes eux-mêmes pour briser le concept de
la parole verticale qui existe à l’école, et qui existait dans le concept de la
journée du droit.
Le 8?mai dernier, Respect
Zone a lancé la campagne anti-haters en ligne. De quoi s’agit-il ?
La campagne anti-haters est une manière d’isoler les haineux en
ridiculisant leurs propos tout en restant sur un message positif. L’idée de
l’encerclement positif est disruptive en soi. Nous offrons SOS Respect Zone aux
porteurs du label pour missionner des Respect Squads qui agissement sous bannière
Respect Zone et inondent d’idées et de messages positifs les comptes des
personnes trolls ou harceleurs pour déclencher ce que les individus attendent
en définitive le plus : que soit articulée la règle de droit dans l’espace
numérique et que les idées d’humanité l’emportent sur les non idées des
messages de haine. Dans un environnement non pollué, on promettra à nos enfants
une société numériquement plus respirable ; il en va de nos
responsabilités de citoyen du monde numérique.
« Le fait que la logique
du respect soit le grand oublié
de la construction digitale m’inquiète au plus haut point ».
Le 10 mai dernier, le président
de la République, Emmanuel Macron, a rencontré le fondateur de Facebook, Mark
Zuckerberg, afin d’échanger sur la régulation des contenus haineux en ligne.
Quelles sont selon vous les autres démarches qui dans ce sens vous semblent
prioritaires ?
Cette démarche en tant que telle est prioritaire. Lorsque l’ONG Respect
Zone a été consultée par le gouvernement sur l’élaboration de la Charte à
présenter au G7?à Biarritz en août prochain, nous avons, avec
satisfaction, retrouvé l’esprit de la charte Respect Zone lancée en 2014. La
régulation ne peut être que le fait des gouvernements ou que le fait des
entreprises. Le mix entre régulation et co-régulation positive est la voie que
nous dessinons pour une saine régulation de l’Internet et des réseaux sociaux.
L’appel de Christchurch est fondamental, il participe de cette prise de
conscience internationale. Les entreprises comme les GAFA connaissent
des revenus parfois supérieurs à des grandes nations. Certains créent leur
propre monnaie. On en arrive à la reconnaissance d’une forme de supra souveraineté
privée. Sans régulation claire et positive, c’est tout notre
système démocratique qui est en danger. Respect Zone est une plateforme de
résistance démocratique selon l’École de Guerre économique dirigée
par Christian Harbulot qui a inventé le concept de l’intelligence économique
auquel nous avons raccordé le concept de l’intelligence juridique pour
régler les maux du monde.
En effet, la réponse ne devrait-elle pas être
européenne ? Ou mondiale ?
La réponse à un fléau global se doit, pour être efficace, d’être
globale elle aussi. C’est pour cela que Respect Zone et sa charte ont été
traduites en 22 langues, et nous sommes preneurs de langues
supplémentaires. Il est vain de croire qu’une régulation supra nationale
efficace peut rassembler les voix des paix démocratiques (minoritaires) et
celles des autres pays sur le thème de la régulation de la violence en ligne.
C‘est pour cette raison que nous proposons ce concept du respect by design
aussi à porter par les opérateurs et les institutions et la société civile.
Créer un mouvement positif a des conséquences mesurables. C’est le principe de
la responsabilité sociétale des entreprises qui est en jeu. Qui aujourd’hui
aimerait consommer des biens ou services de consommation d’une entreprise anti
éthique ?
Certains considèrent que la violence du
mouvement des « gilets jaunes » serait en réalité la violence
des réseaux sociaux qui aurait traversé l’écran. Qu’en pensez-vous ?
Les réseaux sociaux ont largement aidé la mobilisation et ont permis
des inflammations. Lorsque nous avons entamé une campagne pour montrer les
menaces que subissent les journalistes au quotidien, nous avons été surpris de
la violence anti journalistes en ligne revendiquée par les gilets jaunes. En
répondant positivement et rappelant que les journalistes sont des êtres humains
qui ont également le droit au respect en ligne, nous avons pu, faire bouger les
lignes. Il reste un gros travail d’humanisation numérique à effectuer.
Récemment, en Malaisie, une jeune fille
s’est suicidée après avoir lancé un sondage sur Instagram. Quelles questions
cela pose-t-il ?
Cela questionne le manque de fondamentaux lors de la prise en mains des
portables et lors des souscriptions aux réseaux sociaux. Notre idée est
simple : contribuer, avec la communauté des juristes que nous appelons à
nous rejoindre, au permis Brevet de modérateur. Il n’est pas acceptable qu’une
famille expose ses enfants à tous les dangers en ligne sans qu’une formation
courte, même de deux minutes, ne soit prévue lors de la prise d’arme par destination qu’est l’offre
d’une tablette ou d’un portable à un mineur. Cette proposition Respect Zone,
parmi les 50 émises, a déjà été reprise par le Parlement dans ses
propositions d’amendement à la loi Avia. Une victoire de la raison contre
l’inanité de l’absence d’éducation et de prévention en ligne.
Propos recueillis
par Myriam de Montis et Constance Périn
La Charte Respect
Zone
1) Je respecte l’autre
La liberté de l’expression, de la
pensée et de la critique sont des droits fondamentaux que je défends. Aussi,
que ce soit en ligne ou dans l’espace physique, j’écoute l’autre et j’adopte
une communication non-violente et responsable, en conformité avec la présente
Charte d’auto-modération Respect Zone.
2) Je modère mes contenus
Internet et les réseaux sociaux
sont des espaces de liberté où chacun peut communiquer, partager, apprendre et
s’épanouir. Les droits de tous doivent y être respectés, pour construire un
espace d’échanges, de respect des autres et de soi-même.
Je m’engage à ne pas diffuser ni
partager tout contenu (texte, son ou vidéo) :
a) harcelant,
b) raciste, discriminant, ou stigmatisant en raison de :
l’origine, la croyance, la couleur de peau, la religion réelle ou supposée (par
exemple : chrétienne, musulmane, juive),
c) homophobe ou sexiste,
d) discriminant ou stigmatisant en raison du physique,
du handicap,
e) incitant à la haine, la violence, le terrorisme ou la
barbarie,
f) malveillant ou intime et personnel ; et néanmoins
divulgué sans le consentement de la personne concernée.
D’une manière générale, j’émets
ou je partage des contenus en responsabilité et en faisant preuve de sens
critique.
3) Je modère mes espaces
numériques
Lorsque j’ai connaissance d’un
contenu en ligne contraire à la Charte Respect Zone, sur un espace numérique
que j’administre ou dont j’ai la responsabilité (exemple ma page Facebook ou
mon site Internet), je modère très rapidement, en contexte et de manière
appropriée selon les cas, soit :
• en répondant de manière critique (contre-discours), ou/et
• en signalant ce contenu inapproprié à la plateforme (ex. YouTube,
Facebook, Twitter, etc.), ou/et
• en retirant ce contenu.
4) J’affiche le label
De manière visible, j’affiche le
label Respect Zone sur ma photo de profil, mes réseaux sociaux, mes sites, mes
zones de commentaires et espaces numériques.
À chaque insertion du label Respect Zone, je pointe vers www.respectzone.org
.
Je reconnais que le label Respect
Zone appartient à l’association Respect Zone qui autorise l’usage de cette
marque selon les termes de la présente Charte.