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Entretien avec Romain Dupeyré, fondateur et président du comité « Juristes en Marche ! »

Entretien avec Romain Dupeyré, fondateur et président du comité « Juristes en Marche ! »
Publié le 16/01/2020 à 10:00

Romain Dupeyré est avocat aux barreaux de Paris et New York depuis 2006. Il est associé du cabinet DWF au sein duquel il intervient en matière de contentieux d’assurance, d’arbitrage international et de litiges impliquant des investissements en Afrique. Il est le fondateur et président du think tank JUREM (Juristes en Marche !) qui anime le débat sur les questions de droit et de justice au sein du mouvement LREM. Il revient pour le JSS sur les actions entreprises au sein de cette association.


Pouvez-vous nous présenter JUREM ? Comment avez-vous eu l’idée de créer ce comité ?


J’ai créé le comité JUREM (Juristes en Marche !) il y a maintenant trois ans. Il s’agit d’un laboratoire d’idées qui œuvre en faveur de la modernisation de la justice. A l’époque, j’avais très envie de m’impliquer dans la campagne d’Emmanuel Macron. En effet, j’admirais beaucoup le personnage et trouvais sa manière de faire de la politique très intéressante. Je me suis donc rendu dans les comités locaux. Cependant, ces derniers étaient multidisciplinaires, et on y traitait de tous les sujets. Une fois on y parlait d’environnement, une fois d’éducation, une autre fois de défense, et je trouvais que ma contribution n’était pas très utile, car je ne connaissais pas bien les problématiques, les dynamiques, les acteurs concernés dans de nombreux sujets abordés. J’ai donc souhaité apporter, en tant qu’avocat, ma valeur ajoutée en termes de droit et justice. C’est pourquoi j’ai créé JUREM. Notre groupe s’est désormais beaucoup étendu. Notre bureau est constitué d’une quinzaine de personnes et nous sommes suivis par plusieurs centaines d’avocats, de magistrats, d’universitaires, d’étudiants et de directeurs juridiques.


 Comment se déroulent vos réunions ? Quelle suite est donnée à ces dernières ?


Au sein de l’association, nous traitons un très grand nombre de domaines du droit. Nous nous réunissons la plupart du temps au siège de La République En Marche. Depuis trois ans, nous avons organisé une soixantaine de réunions publiques sur des thèmes comme la législation pour le recyclage du plastique, la cybersécurité, la loi bioéthique, le projet de loi justice, la loi sur les retraites, etc.

Nous organisons des réunions publiques, mais aussi des réunions institutionnelles au cours desquelles nous rencontrons des représentants de différentes professions, les juristes d’entreprise, le Conseil national des barreaux, les ministres et les parlementaires. Récemment, nous avons rencontré le directeur du cabinet de Jean-Paul Delevoye (que nous avons également vu dans le cadre de la réforme des retraites), la garde des Sceaux et Naïma Moutchou, ancienne avocate et co-rapporteur du rapport sur l’aide juridictionnelle.

Nous faisons également paraître un certain nombre d’articles dans Les Échos, Le Monde… afin de défendre les idées que nous prônons en matière de justice progressiste.

 


« Un autre sujet que nous suivons attentivement concerne le financement de la justice. Le ministère a promis une augmentation du budget de la Justice de 25 % sur cinq ans. Cependant, il nous semble judicieux d’envisager d’autres moyens de financement de la justice.  »




 Quels sont les sujets principaux sur lesquels vous travaillez en ce moment ?


En ce moment, beaucoup de sujets sont sur la table, notamment le projet de loi justice adopté au printemps dernier.

Dernièrement, des projets de décrets sont sortis, mais ont été très tardivement communiqués, ce qui a suscité une certaine crispation de la profession. On estime en effet qu’il faut laisser le temps aux professionnels de s’approprier ces différents textes, c’est pour cette raison qu’on se réjouit qu’une partie importante de cette mise en application des décrets ait été reportée. Ce report démontre que le gouvernement n’est pas hermétique aux observations qui sont faites par la profession d’avocat.

Avec la loi justice à proprement parler, nous pensons que la profession d’avocat a obtenu beaucoup d’avancées.

L’expérimentation de la cour criminelle nous semble par ailleurs particulièrement intéressante. Sur les bases de cette expérimentation, nous verrons bien s’il faut poursuivre ou pas.

On voit également qu’il y a une volonté budgétaire d’aider et de soutenir la justice, même si une part importante de ce budget est investie dans l’administration carcérale.


 

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’action du ministère de la Justice en faveur de l’administration pénitentiaire ?

L’idée du ministère est simple : il faut plus de places pour moins de détenus.

Pour cela, ce dernier a annoncé – il y a un an – un très grand programme d’immobilier pénitentiaire. Celui-ci a malheureusement pris un peu de retard, car il n’est pas facile de trouver les terrains sur lesquels bâtir ces établissements. Il faut en effet que la construction soit en adéquation avec les besoins. En outre, il y a des administrations qui veulent bien accueillir des établissements – car elles y voient des opportunités d’emplois – tandis que d’autres ne le souhaitent pas, les riverains y voyant une nuisance.

En termes de travail d’intérêt général, de nombreuses avancées sont à noter. Ainsi, une convention a été récemment signée entre le ministère et 34?organisations. Ces dernières se sont engagées à proposer des postes de travail dintérêt général.

La réhabilitation de cette peine nous tient vraiment à cœur. Plutôt que de condamner à la détention, on va condamner aux travaux d’intérêt général. Il ne faut évidemment pas que ce travail soit un travail gratuit à la place d’un employé salarié.

Ce que nous espérons chez JUREM, c’est que le barreau de Paris crée quelques postes qui s’insèrent dans cette dynamique. Le barreau organise déjà beaucoup d’actions de solidarité, il pourrait en plus créer quelques postes pour que certains individus, au lieu d’aller en prison, viennent aider les avocats du barreau qui font des maraudes, par exemple.

Enfin, une autre action qui nous tient à cœur concerne le droit de vote des détenus. Bref, on peut dire qu’en trois ans, beaucoup de choses ont changé, notamment dans le domaine carcéral et pénitentiaire.


 Et dans les autres domaines ?


Beaucoup de choses restent encore à faire. C’est l’objet des décrets de la loi justice dont une des mesures fortes concerne l’exécution provisoire des jugements en première instance.

Via cette mesure, le jugement sera désormais exécutoire pendant la durée de l’appel, ce qui n’était pas le cas auparavant. À notre avis, cela va permettre d’avoir une justice plus effective et rapide. Certaines précautions ont tout de même été prises pour permettre de demander au Premier président de suspendre l’exécution du jugement dans des cas bien précis (par exemple pour une personne en surendettement).

Un autre sujet que nous suivons attentivement concerne le financement de la justice. Le ministère a promis une augmentation du budget de la Justice de 25 % sur cinq ans. Pour nous, il s’agit d’un engagement fort au regard de l’état financier du pays.

Cependant, il nous semble judicieux d’envisager d’autres moyens de financement de la justice.

Le rapport de Naïma Moutchou et de Philippe Gosselin préconise notamment le rétablissement du timbre autour de 50 euros.

Sur ce point, je suis personnellement assez sceptique. Il est vrai que ce timbre existait autrefois à hauteur de 35 euros. Christiane Taubira l’avait supprimé. Le rétablir aujourd’hui me semble assez difficile, dans la mesure où il s’agit d’une taxe qui s’applique indistinctement à tous, même aux plus modestes.

Certes, Naïma Moutchou préconise de ne pas faire payer le timbre aux justiciables qui sont à l’aide juridictionnelle, et Philippe Gosselin indique que ces derniers le paient seulement à moitié.

Mais, pour nous, ce n’est pas une bonne idée. En effet, plutôt que de mettre en place une taxe indistincte, nous préférons une taxe proportionnelle aux montants demandés sur les gros contentieux.

Celle-ci aurait de nombreux avantages. D’abord, elle rapporterait beaucoup plus. En outre, elle fluctuerait en fonction du montant du litige et de l’attitude procédurale des parties.

Elle pourrait ainsi être calculée comme en Allemagne, c’est-à-dire en fonction du degré de succès des parties. Par exemple, si un justiciable fait une demande très importante de 10 millions d’euros et qu’au final on lui accorde un million, il aura supporté une part des frais de justice sur les 9 millions pour lesquels il n’a pas obtenu le succès.

À terme, on obtiendrait des gains de plusieurs centaines de millions d’euros. Cette mesure aurait de surcroît un effet responsabilisant au moment d’engager le contentieux et permettrait d’apurer les tribunaux de certains contentieux abusifs.

Concernant le paramètre de cette mesure : faut-il qu’elle concerne uniquement les contentieux commerciaux ? Il nous semble que non. Il existe en effet de gros contentieux civils ou de successions sur des millions d’euros qui sont chronophages. Faire payer les justiciables pour cela nous paraît juste.

Il reste que les avantages de cette nouvelle contribution doivent être débattus avec les représentants de magistrats et d’avocats qui sont encore attachés au principe de la gratuité de la justice. Or, rappelons que ce principe n’est pas constitutionnel. C’est l’accès à la justice qui l’est. En outre, selon la CEPEJ (Commission européenne pour l’efficacité de la justice), la France est non seulement mal classée, mais est aussi le seul pays du classement à avoir une justice gratuite

Chez JUREM, nous souhaitons, en outre, que l’accès à la justice ne soit pas forcément la justice contentieuse, d’où le développement des MARD (Modes alternatifs de résolution des différends).


 

Quel est votre avis concernant la réforme des retraites ?

Pour notre think tank, la réforme dans sa globalité va dans le bon sens, car nous ne pensons pas seulement à la retraite des avocats, mais à la retraite des Français dans son ensemble.

Avec le système actuel, certains de nos concitoyens disposent d’une retraite de 600 euros alors qu’ils ont travaillé plus que d’autres qui ont plus. Le système à points nous semble, par conséquent, une meilleure solution, car il reflète mieux ce qu’a été la carrière des Français. Il permet, en outre, de relever la retraite minimum de beaucoup d’individus.

Le problème est de faire converger les 42 régimes – qui sont loin d’être uniformes – vers un régime universel.

Concernant les avocats, ces derniers ont un régime indépendant, à part, il faut donc prendre des mesures pour accompagner cette transition.

Nous avons, chez JUREM, la conviction que des moyens existent pour que celle-ci se fasse de manière apaisée, en n’asphyxiant pas les avocats les plus modestes.

Le système actuel des avocats est très redistributif – les plus aisés contribuent à payer la retraite des moins aisés. Plusieurs voies existent pour accompagner cette mutation qui va d’ailleurs s’effectuer sur un très long terme.

Les opposants à la réforme parlent de doublement des cotisations. En fait, ça ne concerne qu’une partie des avocats, et c’est un peu exagéré, à mon sens, car il existe plusieurs mécanismes d’accompagnement qui permettront d’en limiter les effets. Je pense notamment à la redéfinition de l’assiette sociale – la base sur laquelle on calcule les cotisations retraite et les autres, notamment la CSG, va être redéfinie. Ainsi, pour les avocats gagnant moins de 40 000 € par an, une grosse partie de l’augmentation de la cotisation va être compensée par une baisse de la CSG.

Nous souhaitons également que soit mis en place un fonds de solidarité au sein de la profession d’avocat qui soit abondé par une surcotisation, très modeste, des avocats les plus aisés, afin de créer une poche qui permettrait de financer l’acquisition de points pour les avocats les plus modestes.

Nous prévoyons ainsi que la cotisation des avocats, qui gagnent plus de 40 000 € par an, passe à 13 % alors qu’elle est prévue à 12,92 %. La différence viendrait ainsi alimenter ce fonds.

Une deuxième source de revenus serait le droit de plaidoirie de 13 euros, payé par les justiciables chaque fois qu’on va plaider.

Celui-ci rapporte environ 10 millions d’euros par an, qui viendraient s’ajouter à ce fonds de solidarité.

Quoi qu’il en soit, il nous semble nécessaire de regarder cette augmentation des cotisations retraite à laune de lensemble des charges des avocats. Or, il semble que celles-ci sont en voie de réduction, en particulier les impôts sur le revenu.


Quelles sont les autres mesures à mettre en place pour une justice française progressiste et attractive ?


Il y a notamment l’exonération des charges sur les émoluments versés au titre de l’aide juridictionnelle (AJ), mesure que 80 % des avocats ont soutenue lors des États généraux de la profession d’avocat. Cette défiscalisation permettrait de donner plus de marge de manœuvre aux avocats qui font l’AJ.

Le problème que nous rencontrons concerne son chiffrement. Combien cela va-t-il nous coûter ? On y travaille.

Concernant le statut des juristes d’entreprise, nous sommes clairement favorables au secret des correspondances des juristes d’entreprise.

En effet, un des principes essentiels de notre mouvement est celui de la confiance réciproque. Pour nous, il faut faire confiance aux juristes afin qu’ils soient des acteurs de la conformité des entreprises, de la lutte contre la corruption, etc. Or, un des moyens pour qu’ils le soient serait de leur accorder le secret professionnel, sans lequel ils ne peuvent pas travailler.

Il ne s’agit pas de leur donner tous les autres attributs de la profession d’avocat, mais simplement d’ajuster le statut du juriste en entreprise.

Ensuite, il faudrait définir les personnes sur lesquelles pèserait ce secret professionnel. Par exemple en mettant en place dans les entreprises une liste de gens qui bénéficieraient de ce secret.

Nous entendons les critiques des autorités de contrôle, mais nous pensons que ces dernières peuvent s’appuyer sur d’autres éléments que les avis des juristes d’entreprise pour mener à bien leurs enquêtes. 

En outre, nous prévoyons l’existence d’exceptions au principe de ce secret professionnel.

J’aborde maintenant le sujet des legaltech qui nous tient particulièrement à cœur. Chez JUREM, nous sommes bien entendu pour leur essor. Celles-ci sont, pour nous, des aides à la décision, des outils de travail modernes. Elles sont indispensables pour les justiciables, et pour l’attractivité du droit français.

Nous attendons en outre, avec impatience, que le décret sur l’Open data des décisions de justice sorte enfin. Ça fait trop longtemps que nous l’attendons. Il faut que la diffusion des décisions de justice soit la plus large possible.

Nous attendons beaucoup de la part du gouvernement à ce sujet, et nous espérons dans ce cadre, être associés à la prochaine Vendôme Tech.

Quant aux chambres internationales du tribunal de Paris – sujet sur lequel le barreau de Paris, le ministère et les magistrats ont travaillé ensemble – elles nous semblent également essentielles pour l’attractivité de notre droit.

Enfin, je reviens sur un sujet qui nous a totalement pris au dépourvu, il s’agit bien sûr de la désignation des juges d’instruction. Au regard de l’énergie que l’on met, dans notre association, pour défendre une justice progressiste, c’est quelque chose qui nous a beaucoup heurtés. Nous regrettons et dénonçons vivement cette démarche, et nous comprenons tout à fait le mouvement que cela a créé chez les magistrats et les avocats.

Il est hors de question, en effet, que la justice soit déconnectée des territoires et que la suppression éventuelle des juges d’instruction dépende des résultats électoraux des uns et des autres.

Pour conclure, je dirais qu’à JUREM, nous ne perdons pas espoir de l’avènement, dans un avenir proche, d’une justice progressiste qui soit accessible, efficace et rapide.


 


Propos recueillis par Maria-Angélica Bailly


 


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