Romain Dupeyré est avocat aux barreaux de
Paris et New York depuis 2006. Il est associé du cabinet DWF au sein duquel il
intervient en matière de contentieux d’assurance, d’arbitrage international et
de litiges impliquant des investissements en Afrique. Il est le fondateur et
président du think tank JUREM
(Juristes en Marche !) qui anime le débat sur les questions de droit et de
justice au sein du mouvement LREM. Il revient pour le JSS sur les actions entreprises au sein de cette
association.
Pouvez-vous nous présenter JUREM ?
Comment avez-vous eu l’idée de créer ce comité ?
J’ai créé le comité JUREM (Juristes en Marche !) il y a maintenant
trois ans. Il s’agit d’un laboratoire d’idées qui œuvre en faveur de la
modernisation de la justice. A l’époque, j’avais très envie de
m’impliquer dans la campagne d’Emmanuel Macron. En effet, j’admirais beaucoup
le personnage et trouvais sa manière de faire de la politique très
intéressante. Je me suis donc rendu dans les comités locaux. Cependant, ces
derniers étaient multidisciplinaires, et on y traitait de tous les sujets. Une
fois on y parlait d’environnement, une fois d’éducation, une autre fois de
défense, et je trouvais que ma contribution n’était pas très utile, car je ne
connaissais pas bien les problématiques, les dynamiques, les acteurs concernés
dans de nombreux sujets abordés. J’ai donc souhaité apporter, en tant
qu’avocat, ma valeur ajoutée en termes de droit et justice. C’est pourquoi j’ai
créé JUREM. Notre groupe s’est désormais beaucoup étendu. Notre bureau est
constitué d’une quinzaine de personnes et nous sommes suivis par plusieurs
centaines d’avocats, de magistrats, d’universitaires, d’étudiants et de directeurs juridiques.
Comment se déroulent vos réunions ?
Quelle suite est donnée à ces dernières ?
Au sein de l’association, nous traitons un très grand nombre de
domaines du droit. Nous nous réunissons la plupart du temps au siège de La
République En Marche. Depuis trois ans, nous avons organisé une soixantaine de
réunions publiques sur des thèmes comme la législation pour le recyclage du
plastique, la cybersécurité, la loi bioéthique, le projet de loi justice, la
loi sur les retraites, etc.
Nous organisons des réunions publiques, mais aussi des réunions
institutionnelles au cours desquelles nous rencontrons des représentants de
différentes professions, les juristes d’entreprise, le Conseil national des
barreaux, les ministres et les parlementaires. Récemment, nous avons rencontré
le directeur du cabinet de Jean-Paul Delevoye (que nous
avons également vu dans le cadre de la réforme des retraites), la garde des Sceaux et
Naïma Moutchou, ancienne avocate et co-rapporteur du rapport sur l’aide
juridictionnelle.
Nous faisons également paraître un certain nombre
d’articles dans Les Échos, Le Monde… afin de défendre les idées
que nous prônons en matière de justice progressiste.
« Un autre sujet que nous suivons attentivement concerne le financement de la justice. Le ministère a promis une augmentation du budget de la Justice de 25 % sur cinq ans. Cependant, il nous semble judicieux d’envisager d’autres moyens de financement de la justice. »
Quels sont les sujets principaux sur
lesquels vous travaillez en ce moment ?
En ce moment, beaucoup de sujets sont sur la table, notamment le projet
de loi justice adopté au printemps dernier.
Dernièrement, des projets de décrets sont sortis, mais ont été très
tardivement communiqués, ce qui a suscité une certaine crispation de la
profession. On estime en effet qu’il faut laisser le temps aux professionnels
de s’approprier ces différents textes, c’est pour cette raison qu’on se réjouit
qu’une partie importante de cette mise en application des décrets ait été
reportée. Ce report démontre que le gouvernement n’est pas hermétique aux
observations qui sont faites par la profession d’avocat.
Avec la loi justice à proprement parler, nous pensons que la
profession d’avocat a obtenu beaucoup d’avancées.
L’expérimentation de la cour criminelle nous semble par ailleurs
particulièrement intéressante. Sur les bases de cette expérimentation, nous
verrons bien s’il faut poursuivre ou pas.
On voit également qu’il y a une volonté budgétaire d’aider et de soutenir la justice, même si une part
importante de ce budget est investie dans l’administration carcérale.
Pouvez-vous nous en dire plus sur l’action
du ministère de la Justice en faveur de l’administration pénitentiaire ?
L’idée du ministère est simple : il faut plus de places pour moins
de détenus.
Pour cela, ce dernier a annoncé – il y a un an – un très grand programme
d’immobilier pénitentiaire. Celui-ci a malheureusement pris un peu de retard,
car il n’est pas facile de trouver les terrains sur lesquels bâtir ces
établissements. Il faut en effet que la construction soit en adéquation avec
les besoins. En outre, il y a des administrations qui veulent bien accueillir
des établissements – car elles y voient des opportunités d’emplois –
tandis que d’autres ne le souhaitent pas, les riverains y voyant une nuisance.
En termes de travail d’intérêt général, de nombreuses avancées sont à
noter. Ainsi, une convention a été récemment signée entre le ministère et 34?organisations. Ces dernières se sont engagées à proposer des postes de travail d’intérêt général.
La réhabilitation de cette peine nous tient vraiment à cœur. Plutôt que
de condamner à la détention, on va condamner aux travaux d’intérêt général. Il
ne faut évidemment pas que ce travail soit un travail gratuit à la place d’un employé
salarié.
Ce que nous espérons chez JUREM, c’est que le barreau de Paris crée
quelques postes qui s’insèrent dans cette dynamique. Le barreau organise déjà
beaucoup d’actions de solidarité, il pourrait en plus créer quelques postes
pour que certains individus, au lieu d’aller en prison, viennent aider les
avocats du barreau qui font des maraudes, par exemple.
Enfin, une autre action qui nous tient à cœur concerne le droit de vote
des détenus. Bref, on peut dire qu’en trois ans, beaucoup de choses ont changé,
notamment dans le domaine carcéral et pénitentiaire.
Et dans les autres domaines ?
Beaucoup de choses restent encore à faire. C’est l’objet des décrets de
la loi justice dont une des mesures fortes concerne l’exécution provisoire des
jugements en première instance.
Via cette mesure, le jugement sera désormais exécutoire pendant la durée
de l’appel, ce qui n’était pas le cas auparavant. À notre avis,
cela va permettre d’avoir une justice plus effective et rapide. Certaines
précautions ont tout de même été prises pour permettre de demander au Premier
président de suspendre l’exécution du jugement dans des cas bien précis (par
exemple pour une personne en surendettement).
Un autre sujet que nous suivons attentivement concerne le financement
de la justice. Le ministère a promis une augmentation du budget de la Justice
de 25 % sur cinq ans. Pour nous, il s’agit d’un engagement fort au
regard de l’état financier du pays.
Cependant,
il nous semble judicieux d’envisager d’autres moyens de financement de la
justice.
Le rapport
de Naïma Moutchou et de Philippe Gosselin préconise notamment le rétablissement
du timbre autour de 50 euros.
Sur ce point, je suis personnellement assez sceptique. Il est vrai que
ce timbre existait autrefois à hauteur de 35 euros. Christiane Taubira
l’avait supprimé. Le rétablir aujourd’hui me semble assez difficile, dans la
mesure où il s’agit d’une taxe qui s’applique indistinctement à tous, même aux
plus modestes.
Certes, Naïma Moutchou préconise de ne pas faire payer le
timbre aux justiciables qui sont à l’aide juridictionnelle, et Philippe
Gosselin indique que ces derniers le paient seulement à moitié.
Mais, pour nous, ce n’est pas une bonne idée. En effet, plutôt que de
mettre en place une taxe indistincte, nous préférons une taxe proportionnelle
aux montants demandés sur les gros contentieux.
Celle-ci aurait de nombreux avantages. D’abord, elle rapporterait
beaucoup plus. En outre, elle fluctuerait en fonction du montant du litige et
de l’attitude procédurale des parties.
Elle pourrait ainsi être calculée comme en Allemagne, c’est-à-dire en
fonction du degré de succès des parties. Par exemple, si un justiciable fait
une demande très importante de 10 millions d’euros et qu’au final on lui
accorde un million, il aura supporté une part des frais de justice sur les
9 millions pour lesquels il n’a pas obtenu le succès.
À terme, on obtiendrait des gains de plusieurs centaines de
millions d’euros. Cette mesure aurait de surcroît un effet responsabilisant au
moment d’engager le contentieux et permettrait d’apurer les tribunaux de
certains contentieux abusifs.
Concernant le paramètre de cette mesure : faut-il qu’elle concerne
uniquement les contentieux commerciaux ? Il nous semble que non. Il existe
en effet de gros contentieux civils ou de successions sur des millions d’euros
qui sont chronophages. Faire payer les justiciables pour cela nous paraît
juste.
Il reste que les avantages de cette nouvelle contribution doivent être
débattus avec les représentants de magistrats et d’avocats qui sont encore
attachés au principe de la gratuité de la justice. Or, rappelons que ce
principe n’est pas constitutionnel. C’est l’accès à la justice qui l’est. En
outre, selon la CEPEJ (Commission européenne pour l’efficacité de la justice),
la France est non seulement mal classée, mais est aussi le seul pays du classement
à avoir une justice gratuite…
Chez JUREM, nous souhaitons, en outre, que l’accès à la justice ne soit pas forcément la justice
contentieuse, d’où le développement des MARD (Modes alternatifs de résolution
des différends).
Quel est votre avis concernant la réforme
des retraites ?
Pour notre think tank, la réforme dans sa globalité va dans le
bon sens, car nous ne pensons pas seulement à la retraite des avocats,
mais à la retraite des Français dans son
ensemble.
Avec le système actuel, certains de nos concitoyens disposent d’une
retraite de 600 euros alors qu’ils ont travaillé plus que d’autres qui ont
plus. Le système à points nous semble, par conséquent, une meilleure solution,
car il reflète mieux ce qu’a été la carrière des Français. Il permet, en outre,
de relever la retraite minimum de beaucoup d’individus.
Le problème est de faire converger les 42 régimes – qui sont loin d’être uniformes – vers un régime universel.
Concernant les avocats, ces derniers ont un régime indépendant, à part,
il faut donc prendre des mesures pour accompagner cette transition.
Nous avons, chez JUREM, la conviction que des moyens existent pour que
celle-ci se fasse de manière apaisée, en n’asphyxiant pas les avocats les plus
modestes.
Le système actuel des avocats est très redistributif – les plus
aisés contribuent à payer la retraite des moins aisés. Plusieurs voies existent
pour accompagner cette mutation qui va d’ailleurs s’effectuer sur un très long
terme.
Les opposants à la réforme parlent de doublement des cotisations. En
fait, ça ne concerne qu’une partie des avocats, et c’est un peu exagéré, à mon
sens, car il existe plusieurs mécanismes d’accompagnement qui permettront d’en
limiter les effets. Je pense notamment à la redéfinition de l’assiette sociale
– la base sur laquelle on calcule les cotisations retraite et les autres,
notamment la CSG, va être redéfinie. Ainsi, pour les avocats gagnant moins de
40 000 € par an, une grosse
partie de l’augmentation de la cotisation va être compensée par une baisse de
la CSG.
Nous souhaitons également que soit mis en place un fonds de solidarité
au sein de la profession d’avocat qui soit abondé par une
surcotisation, très modeste, des avocats les plus aisés, afin de créer une poche qui
permettrait de financer l’acquisition de points pour les avocats les plus
modestes.
Nous prévoyons ainsi que la cotisation des avocats, qui gagnent plus de
40 000 € par an, passe à
13 % alors qu’elle est prévue à 12,92 %. La différence viendrait
ainsi alimenter ce fonds.
Une deuxième source de revenus serait le droit de plaidoirie de
13 euros, payé par les justiciables chaque fois qu’on va plaider.
Celui-ci rapporte environ 10 millions d’euros par an, qui
viendraient s’ajouter à ce fonds de solidarité.
Quoi qu’il en soit, il nous semble nécessaire de regarder cette
augmentation des cotisations retraite à l’aune de l’ensemble des charges
des avocats. Or, il semble que celles-ci sont en voie de réduction, en
particulier les impôts sur le revenu.
Quelles sont les autres mesures à mettre en
place pour une justice française progressiste et attractive ?
Il y a notamment l’exonération des charges sur les émoluments versés au
titre de l’aide juridictionnelle (AJ), mesure que 80 % des avocats ont
soutenue lors des États généraux de la profession d’avocat. Cette
défiscalisation permettrait de donner plus de marge de manœuvre aux avocats qui
font l’AJ.
Le problème que nous rencontrons concerne son chiffrement. Combien cela
va-t-il nous coûter ? On y travaille.
Concernant le statut des juristes d’entreprise, nous sommes clairement
favorables au secret des correspondances des juristes d’entreprise.
En effet, un des principes essentiels de notre mouvement est celui de
la confiance réciproque. Pour nous, il faut faire confiance aux juristes afin
qu’ils soient des acteurs de la conformité des entreprises, de la lutte contre
la corruption, etc. Or, un des moyens pour qu’ils le soient serait de leur
accorder le secret professionnel, sans lequel ils ne peuvent pas travailler.
Il ne s’agit pas de leur donner tous les autres attributs de la
profession d’avocat, mais simplement d’ajuster le statut du juriste en
entreprise.
Ensuite, il faudrait définir les personnes sur lesquelles pèserait ce
secret professionnel. Par exemple en mettant en place dans les entreprises une
liste de gens qui bénéficieraient de ce secret.
Nous entendons les critiques des autorités de contrôle, mais nous
pensons que ces dernières peuvent s’appuyer sur d’autres éléments que les avis
des juristes d’entreprise pour mener à bien leurs enquêtes.
En outre, nous prévoyons l’existence d’exceptions au principe de ce
secret professionnel.
J’aborde maintenant le sujet des legaltech qui nous tient
particulièrement à cœur. Chez JUREM, nous sommes bien entendu pour leur essor.
Celles-ci sont, pour nous, des aides à la décision, des outils de travail
modernes. Elles sont indispensables pour les justiciables, et pour
l’attractivité du droit français.
Nous attendons en outre, avec impatience, que le décret sur l’Open data
des décisions de justice sorte enfin. Ça fait trop
longtemps que nous l’attendons. Il faut que la diffusion des décisions de justice
soit la plus large possible.
Nous attendons beaucoup de la part du gouvernement à ce sujet, et nous
espérons dans ce cadre, être associés à la prochaine Vendôme Tech.
Quant aux chambres internationales du tribunal de Paris – sujet
sur lequel le barreau de Paris, le ministère et les magistrats ont travaillé
ensemble – elles nous semblent également essentielles pour l’attractivité de
notre droit.
Enfin, je reviens sur un sujet qui nous a totalement pris au dépourvu,
il s’agit bien sûr de la désignation des juges d’instruction. Au regard de
l’énergie que l’on met, dans notre association, pour défendre une justice
progressiste, c’est quelque chose qui nous a beaucoup heurtés. Nous regrettons
et dénonçons vivement cette démarche, et nous comprenons tout à fait le
mouvement que cela a créé chez les magistrats et les avocats.
Il est hors de question, en effet, que la justice soit déconnectée des
territoires et que la suppression éventuelle des juges d’instruction dépende
des résultats électoraux des uns et des autres.
Pour conclure, je dirais qu’à JUREM, nous ne perdons pas espoir de
l’avènement, dans un avenir proche, d’une justice progressiste qui soit
accessible, efficace et rapide.
Propos
recueillis par Maria-Angélica Bailly