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Europe : compétitivité & souveraineté

Europe : compétitivité & souveraineté
Publié le 17/02/2019 à 09:30

L’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) a fêté ses 50 ans. Son nouveau président, Marc Mossé, est revenu sur le travail et la croissance de l’association depuis sa création. Durant cette journée de fête, il a également participé à l’animation des débats qui avaient tous l’Europe pour dénominateur commun. Le JSS s’est arrêté sur deux d’entre eux.



Union européenne, Etat de droit et sécurité juridique  



Au commencement étaient des valeurs de droit, et le projet européen fondamentalement s’est construit sur des règles communes que les États membres ont décidé de partager. Les représentants des nations à Bruxelles élaborent le droit sous forme de négociations. Le cœur de ce métier tourne autour de la régulation. L’Europe d’aujourd’hui, au-delà d’une union politique, est une union de régulation. Et ça marche ! insiste Pierre Sellal, ambassadeur de France. La réalité du marché intérieur repose sur des règles qui fonctionnent. Le juge national applique quotidiennement le droit de l’union. La cour de justice de l’Union européenne n’a jamais vu ses décisions contestées par quelque État membre que ce soit, ce qui conforte la solidité de l’État de droit en Europe. Dernièrement, le gouvernement polonais a reculé dans sa réforme de la justice et de la Cour suprême parce qu’une décision de la Cour de justice européenne l’en a dissuadé. Enfin, le Brexit révèle bien toute la difficulté d’essayer de quitter 50 années de construction.


Cependant, le système connaît des limites et comporte des risques. Il est fragile. D’abord, l’intégrité du marché unique repose sur la finalité de la justice. Ensuite, cette union de la régulation a prospéré dans un ordre international basé sur des règles multilatérales que l’Europe a su concevoir puis promouvoir. Or, si les partenaires dominants récusent ses règles ou les appliquent peu, c’est un problème. Par ailleurs, un ensemble de règles ne constituent pas une politique à elles seules : la politique de concurrence n’est pas une politique industrielle ; les règles de la zone ne créent pas une politique économique… Cet écart laisse vide la définition d’un engagement à long terme.


La production des normes, contrairement à une idée répandue, est efficace. Les décisions se prennent principalement à la majorité qualifiée et beaucoup plus vite qu’autrefois. Dans les années 80, les décisions se prenaient à l’unanimité. Ainsi, la directive « coiffeur » a demandé 15 ans de négociation !


Présentement, les processus européens de décision se caractérisent par leur extrême transparence.


L’origine de la construction européenne s’appuie sur une volonté politique qui s’est concrétisée par des textes, des traités internationaux et des transpositions. Les juges veillent à leur application. Qu’ils concernent les administrations ou les particuliers, le contrôle de l’effectivité de ces textes est assumé par les juridictions. Le magistrat a une double fonction. Il applique et il interprète les textes, y compris ceux de l’Union européenne. Pour ceux qui concernent l’État de droit qu’ils soient de niveau européen ou national, le juge doit s’assurer de leur conformité aux principes fondamentaux et d’un usage régulier Il met en œuvre le droit.


Les juges ont contribué à la construction européenne. La Cour de justice de lUnion européenne a réglé des problèmes essentiels, tels l’effet direct et la primauté. Ces principes ne sont pas inscrits dans les traités, mais dans des arrêts. Leur invention participe à l’évolution de l’UE. Au-delà des textes, il faut encore respecter l’esprit de l’Europe, pour donner un sens à l’application du droit et engendrer la jurisprudence adéquate.


Si l’on considère les effets de la construction européenne par les juges, sur le Brexit, on réalise qu’elle intervient dès son origine. Guy Canivet, président du haut comité juridique de la place financière de Paris demande : « Personne ne conteste les décisions de la Cour européenne de justice ? Si, les Anglais. Ils essaient toujours de la tourner ou d’aller contre. » Une des principales revendications du Royaume-Uni est justement de ne plus se voir appliquer la jurisprudence européenne. Mais se soustraire à l’espace européen de liberté, de sécurité et de justice a des conséquences. Les Anglais perdent les avantages d’une régulation judiciaire européenne. Les décisions rendues par le juge britannique ne seront plus directement exécutoires dans l’UE.



Les opérateurs économiques se retrouvent contraints de ne plus saisir les juridictions britanniques comme ils en avaient l’habitude.


La Cour européenne était un lieu de discussion entre la Common Law et le droit continental qui créait en permanence un droit mixte riche de raisonnements différents. Malheureusement, cette collaboration va disparaître.



Droit européen et compétitivité


La réglementation européenne est pléthorique. Elle compte 23 000 textes normatifs. L’UE a pris conscience de ses excès et tente de s’améliorer. Dans le traité de Maastricht, le principe de subsidiarité a été inscrit à la demande du Royaume-Uni. Celui-ci suggère que l’Europe ne doit intervenir que lorsque son action s’impose. Les parlements nationaux contrôlent l’application de ce principe et délivrent le cas échéant des cartons jaunes.


Pour faire une recherche sur les textes européens, il existe des moteurs de recherche, en particulier EUR-Lex. Malheureusement, en fonction des termes de la requête, les résultats ne sont pas forcément exhaustifs et l’accessibilité aux textes n’est pas optimale. Par ailleurs, leur rédaction, comme celle des arrêts, manque de concision, de simplicité. Avant le traité de Lisbonne, on dénombrait une dizaine de catégories d’actes juridiques. Aujourd’hui, il en reste quatre : règlement, directive, décision, recommandations. Pour Fabrice Picod, professeur à l’Université de Paris II, c’est un progrès.


La réglementation européenne centrée sur le marché unique a largement influencé le développement de la compétitivité de notre tissu économique malgré les réticences de quelques États membres. Parallèlement, l’adoption, par des pays hors UE, d’environnements juridiques similaires au sien a confronté nos entreprises à des principes qu’elles connaissaient, les a aidés dans leur volonté d’exportation.


L’Europe fournit aussi des outils pour se défendre face à la concurrence des géants américains ou chinois. Emploi, compétitivité, investissement et numérique sont les priorités de la commission. Deux textes fondamentaux doivent porter vers ces objectifs, le RGPD d’une part et le Code européen des télécommunications d’autre part.


Nicolas Guérin, secrétaire général chez Orange, en est convaincu, le RGPD incitera les clients à confier leurs données là où elles sont protégées et ne font pas l’objet d’une exploitation sans contrôle. Par ailleurs, le RGPD prévoit des dispositions pour lutter contre la réglementation américaine, son extraterritorialité et pour protéger les acteurs européens. Le Code européen des télécommunications repose sur la protection du consommateur et une concurrence préservant les prix. S’y ajoutent d’autres points : pousser à l’investissement dans les structures et le déploiement des réseaux ; réguler de façon symétrique, etc.


Le droit de la concurrence a été créé à l’origine afin de la stimuler au sein de l’Union européenne pour les marchés de biens et de services où les coûts d’entrée étaient lourds (télécom). Aujourd’hui, cette approche est totalement anachronique au regard de la réalité économique. Les marchés sont internationaux et comptent des acteurs d’une taille phénoménale.


La commission reçoit des demandes multiples de la part de tous les lobbyistes installés à Bruxelles.
Le nombre des demande les rend si contradictoires qu’elles ne sont plus audibles. Il est plus efficace de se fédérer et d’adopter une position diluée pour se faire entendre. L’initiative citoyenne européenne existe depuis les modifications du traité de Lisbonne. Beaucoup d’initiatives ont été lancées, peu ont passé le filtrage de la commission. Elles concernent souvent l’écologie, l’environnement, la protection animale, les minorités. On voit rarement d’initiative sur des débouchés économiques, la protection des consommateurs, l’opérabilité des réseaux… Pourtant si une entreprise citoyenne entrait dans cette démarche, elle aurait toutes ses chances auprès de la commission.


 


C2M


 


 


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