L’Association française des juristes
d’entreprise (AFJE) a fêté ses 50 ans. Son nouveau président, Marc Mossé,
est revenu sur le travail et la croissance de l’association depuis sa création.
Durant cette journée de fête, il a également participé à l’animation des débats
qui avaient tous l’Europe pour dénominateur commun. Le JSS s’est arrêté sur deux d’entre eux.
Union européenne, Etat de droit et
sécurité juridique
Au commencement étaient des valeurs de droit, et le
projet européen fondamentalement s’est construit sur des règles communes que
les États membres ont décidé de
partager. Les représentants des nations à Bruxelles élaborent le droit sous
forme de négociations. Le cœur de ce métier tourne autour de la régulation.
L’Europe d’aujourd’hui, au-delà d’une union politique, est une union de
régulation. Et ça marche ! insiste Pierre Sellal, ambassadeur de France. La réalité du marché intérieur repose sur des règles qui
fonctionnent. Le juge national applique quotidiennement le droit
de l’union. La cour de justice de l’Union européenne n’a jamais vu ses
décisions contestées par quelque État membre que ce soit, ce qui conforte la solidité de l’État de droit en Europe. Dernièrement, le gouvernement polonais a reculé
dans sa réforme de la justice et de la Cour suprême parce qu’une décision de la
Cour de justice européenne l’en a dissuadé. Enfin, le Brexit révèle bien toute
la difficulté d’essayer de quitter 50 années de construction.
Cependant, le système connaît des limites et comporte des risques. Il
est fragile. D’abord, l’intégrité du marché unique repose sur la finalité de la
justice. Ensuite, cette union de la régulation a prospéré dans un ordre
international basé sur des règles multilatérales que l’Europe a su concevoir
puis promouvoir. Or, si les partenaires dominants récusent ses règles ou les
appliquent peu, c’est un problème. Par ailleurs, un ensemble de règles ne
constituent pas une politique à elles seules : la politique de concurrence
n’est pas une politique industrielle ; les règles de la zone ne créent pas
une politique économique… Cet écart laisse vide la définition d’un engagement à
long terme.
La production des normes, contrairement à une idée répandue, est
efficace. Les décisions se prennent principalement à la majorité qualifiée et
beaucoup plus vite qu’autrefois. Dans les années 80, les décisions se
prenaient à l’unanimité. Ainsi, la directive « coiffeur » a
demandé 15 ans de négociation !
Présentement, les processus européens de décision se caractérisent par
leur extrême transparence.
L’origine de la construction européenne s’appuie sur une volonté
politique qui s’est concrétisée par des textes, des traités internationaux et
des transpositions. Les juges veillent à leur application. Qu’ils concernent
les administrations ou les particuliers, le contrôle de l’effectivité de ces
textes est assumé par les juridictions. Le magistrat a une double fonction. Il
applique et il interprète les textes, y compris ceux de l’Union européenne.
Pour ceux qui concernent l’État de droit qu’ils soient de niveau européen ou
national, le juge doit s’assurer de leur conformité aux principes fondamentaux
et d’un usage régulier Il met en œuvre le droit.
Les juges ont contribué à la construction européenne. La Cour de justice de l’Union européenne a réglé des problèmes
essentiels, tels l’effet direct et la primauté. Ces principes ne sont pas
inscrits dans les traités, mais dans des arrêts. Leur invention participe à
l’évolution de l’UE. Au-delà des textes, il faut encore respecter l’esprit de
l’Europe, pour donner un sens à l’application du droit et engendrer la
jurisprudence adéquate.
Si l’on considère les effets de la construction
européenne par les juges, sur le Brexit, on réalise qu’elle intervient dès son
origine. Guy Canivet, président du haut comité juridique de la place financière
de Paris demande : « Personne ne conteste
les décisions de la Cour européenne de justice ? Si, les Anglais. Ils essaient
toujours de la tourner ou d’aller contre. » Une des principales
revendications du Royaume-Uni est justement de ne plus se voir appliquer la
jurisprudence européenne. Mais se soustraire à l’espace européen de liberté, de
sécurité et de justice a des conséquences. Les Anglais perdent les avantages
d’une régulation judiciaire européenne. Les décisions rendues par le juge
britannique ne seront plus directement exécutoires dans l’UE.
Les opérateurs économiques se retrouvent contraints de ne plus saisir les
juridictions britanniques comme ils en avaient l’habitude.
La Cour européenne était un lieu de discussion entre la Common Law
et le droit continental qui créait en permanence un droit mixte riche de
raisonnements différents. Malheureusement, cette collaboration va disparaître.
Droit européen et compétitivité
La réglementation européenne est pléthorique. Elle compte
23 000 textes normatifs. L’UE a pris conscience de ses excès et tente
de s’améliorer. Dans le traité de Maastricht, le principe de subsidiarité a été
inscrit à la demande du Royaume-Uni. Celui-ci suggère que l’Europe ne doit
intervenir que lorsque son action s’impose. Les parlements nationaux contrôlent
l’application de ce principe et délivrent le cas échéant des cartons jaunes.
Pour faire une recherche sur les textes européens, il existe des
moteurs de recherche, en particulier EUR-Lex. Malheureusement, en fonction des
termes de la requête, les résultats ne sont pas forcément exhaustifs et
l’accessibilité aux textes n’est pas optimale. Par ailleurs, leur rédaction, comme
celle des arrêts, manque de concision, de simplicité. Avant le traité de
Lisbonne, on dénombrait une dizaine de catégories d’actes juridiques.
Aujourd’hui, il en reste quatre : règlement, directive, décision,
recommandations. Pour Fabrice Picod, professeur à l’Université de
Paris II, c’est un progrès.
La réglementation européenne centrée sur le marché unique a largement
influencé le développement de la compétitivité de notre tissu économique malgré
les réticences de quelques États membres. Parallèlement, l’adoption, par des
pays hors UE, d’environnements juridiques similaires au sien a confronté nos
entreprises à des principes qu’elles connaissaient, les a aidés dans leur
volonté d’exportation.
L’Europe fournit aussi des outils pour se défendre face à la concurrence
des géants américains ou chinois. Emploi, compétitivité, investissement et
numérique sont les priorités de la commission. Deux textes fondamentaux doivent
porter vers ces objectifs, le RGPD d’une part et le Code européen des
télécommunications d’autre part.
Nicolas Guérin, secrétaire général chez Orange, en est convaincu, le
RGPD incitera les clients à confier leurs données là où elles sont protégées et
ne font pas l’objet d’une exploitation sans contrôle. Par ailleurs, le RGPD
prévoit des dispositions pour lutter contre la réglementation américaine, son
extraterritorialité et pour protéger les acteurs européens. Le Code européen
des télécommunications repose sur la protection du consommateur et une
concurrence préservant les prix. S’y ajoutent d’autres points : pousser à
l’investissement dans les structures et le déploiement des réseaux ;
réguler de façon symétrique, etc.
Le droit de la concurrence a été créé à l’origine afin de la stimuler
au sein de l’Union européenne pour les marchés de biens et de services où les
coûts d’entrée étaient lourds (télécom). Aujourd’hui, cette approche est
totalement anachronique au regard de la réalité économique. Les marchés sont
internationaux et comptent des acteurs d’une taille phénoménale.
La commission reçoit des demandes multiples de la part de tous les
lobbyistes installés à Bruxelles.
Le nombre des demande les rend si contradictoires qu’elles ne sont plus
audibles. Il est plus efficace de se fédérer et d’adopter une position diluée
pour se faire entendre. L’initiative citoyenne européenne existe depuis les
modifications du traité de Lisbonne. Beaucoup d’initiatives ont été lancées,
peu ont passé le filtrage de la commission. Elles concernent souvent
l’écologie, l’environnement, la protection animale, les minorités. On voit
rarement d’initiative sur des débouchés économiques, la protection des
consommateurs, l’opérabilité des réseaux… Pourtant si une entreprise citoyenne
entrait dans cette démarche, elle aurait toutes ses chances auprès de la
commission.
C2M