« La première audace, en politique, est de s’engager ;
se dire que ce n’est pas que pour les autres ». Pourtant, entre la vie politique et la
concession automobile familiale, le député et chef d’entreprise Franck Riester
n’a pas voulu choisir. Invité du Club de l’Audace le 15 mai dernier, le
cofondateur d’Agir s’est fait le défenseur de la différence et de l’innovation
au sein des partis.
« En
politique, on ne tolère pas la différence »
Son engagement politique, le député, ancien maire de Coulommiers, le
motive par de profondes convictions, qu’il n’a pas peur de revendiquer. Au
risque de défendre, lorsqu’il était encore à l’UMP/LR,
des idées parfois en contradiction avec celles de sa famille
politique – la réduction du temps de travail, ou encore l’ouverture
du mariage aux couples du même sexe, pour ne citer qu’elles.
« Par expérience et observation de la vie politique, il est
souvent difficile d’imposer une ligne audacieuse, a cependant admis le
député. On l’a très bien vu avec la primaire : les citoyens ont voté
pour les politiques qu’ils connaissaient, qu’ils avaient déjà vus en action,
plutôt que de faire confiance à quelqu’un de nouveau. D’où la difficulté des
renouvellements. Et puis, les mécanismes politiques font qu’on n’aime pas, au
sein des partis, quand certains vont dans le sens contraire du courant, ou
pointent des choses qui peuvent faire mal. Globalement, en politique, on
ne tolère pas la différence dans sa propre famille ».
Pourtant porte-parole adjoint de Nicolas Sarkozy pendant la campagne
pour l’élection présidentielle de 2012, Franck Riester finit par se méfier de
l’embardée « trop à droite » prise par son camp, dont il
dénonce la ligne de plus en plus radicalisée, conservatrice et eurosceptique.
Il soutient Bruno Le Maire au premier tour lors de la primaire des
Républicains en 2016, convaincu qu’il est nécessaire de présenter un candidat
nouveau défendant une vision profondément réformatrice. Le pari tombe à
l’eau : le candidat atteint 2 % des voix à peine. Franck Riester
invite alors à voter Alain Juppé au second tour, avant d’appeler François
Fillon à se retirer de la présidentielle, en vue de sa mise en examen. À peine
un mois après l’élection d’Emmanuel Macron, il co-crée le groupe « Les
Constructifs » à l’Assemblée nationale avec l’UDI, pour lequel il est
exclu des Républicains, quelques mois plus tard.
Une exclusion vécue plutôt comme un départ par celui qui « ne se
sentait plus en phase » avec son parti – qui le lui rendait
bien. « Simplement parce que je dérangeais, j’avais une forme
d’illégitimité, mais j’étais convaincu que mon travail dans l’Hémicycle
ne pouvait pas être une opposition systématique à tout, a considéré Franck
Riester. On m’avait blacklisté des réunions. Lors des différents vœux des
maires de ma circonscription, personne ne me parlait, alors qu’il y avait là
des gens avec qui j’avais partagé des combats politiques depuis des années, a
relaté le député. Je pense qu’il faut avoir le courage d’assumer son audace.
J’ai dû assumer le chemin sur lequel je m’engageais et encaisser les coups.
J’ai été évincé, sous prétexte que je faisais un cadeau au gouvernement en
étant d’accord avec leurs réformes. Ce qui était révélateur de l’état d’esprit
des Républicains : se concentrer sur ceux qui pensent comme vous, et
défendre une ligne qui ne peut pas rassembler la totalité des sensibilités de
la droite », a déploré le député.
Après l’exclusion, partir de zéro
« Pour moi, il fallait faire le choix de
s’engager dans une autre famille politique ou d’en créer une. J’ai bien vu
qu’il y avait de la place dans le paysage politique pour des gens qui se
sentent de droite, mais pas la droite actuelle, et à condition de ne pas être
simplement dans une posture partisane mécanique », a affirmé Franck
Riester.
Sauf qu’être innovant et créer un parti, en France,
cela implique de lutter contre « des inerties, des immobilismes,
des conservatismes extrêmement forts », a estimé Franck Riester.
Prenant le contre-pied, une vingtaine de Constructifs prennent la décision de
créer Agir, la droite constructive, fin novembre 2017. Franck Riester l’a
avoué : cela n’a pas été simple de partir de zéro. Après avoir pris la
décision de former ce nouveau parti, trois mois ont été nécessaires pour
obtenir l’agrément de la Commission nationale des comptes de
campagne – et donc, pour que le parti puisse commencer à compter des
adhérents ; malgré les pré-inscriptions sur son site internet. « Une
fois que l’on a eu l’agrément, il a fallu le soutien des banques. Là aussi,
cela a été compliqué, car certaines banques vous ferment la porte, elles ne
veulent pas être partisanes », a indiqué Franck Riester. La banque
trouvée, nouvelle formalité, encore un délai : « Pour payer en
ligne, il fallait un numéro SIREN : on a dû attendre encore
deux mois ! ». Résultat, les financements en ligne ne sont
disponibles que depuis quelques jours : à côté du financement public
encadré, les adhérents et les sympathisants participent au développement du
parti sous forme de cotisations et de dons.
Un processus long, pour une visibilité encore limitée
à l’heure actuelle.
Ce qui n’empêche pas ses membres de croire en son potentiel, et de défendre,
selon leurs propres mots, « des idées libérales, sociales, européennes,
humanistes et réformistes de la droite et du centre ». Le tout avec la
volonté de rester « libres », bien que soutenant « les
réformes engagées dans de nombreux domaines par l’actuel gouvernement, mené par
un Premier ministre issu de la droite ».
« On
doit accompagner un responsable politique quand on juge qu’il prend de bonnes
décisions »
Franck Riester justifie assez facilement un tel soutien. « On
doit accompagner un responsable politique quand on juge qu’il prend de bonnes
décisions, même s’il ne fait pas partie de sa famille politique, a-t-il argué.
Personnellement, je soutiens un certain nombre de décisions que prend Emmanuel
Macron ». En matière économique et fiscale, bien que (notamment)
défavorable à l’augmentation de la CSG, le député a toutefois reconnu que les
choix récents opérés dans le contexte budgétaire et
financier – suppression de l’ISF, instauration de la flat tax,
baisse de l’impôt sur les sociétés – pouvaient s’avérer payants.
« Quand on regarde les grandes réformes fiscales entreprises, on voit
bien qu’elles sont tournées vers la favorisation de l’investissement des
entreprises et l’arrivée des capitaux. L’idée d’Emmanuel Macron, c’est de
changer l’image de la France, pour qu’on y investisse. Certes, François
Hollande le surnomme le "Président des riches", mais en termes
de politique économique, Emmanuel Macron avance avec une stratégie claire, dans
un contexte budgétaire pourtant contraint ».
Pour autant, a souligné le député, il n’est pas
forcément intéressant d’incarner le parti d’un ex-candidat devenu
président, afin d’éviter d’approuver aveuglément la politique menée :
« Le risque est de ne pas avoir les manœuvres suffisantes pour défendre
des positions différentes. J’estime que l’on peut être d’accord sur un certain
nombre de points, mais que l’on doit pouvoir s’assurer de défendre les idées
qui sont les nôtres, et développer des alternatives de politique conduites sur
tel et tel secteur d’intervention. L’audace, c’est de se dire qu’il faut
réussir un quinquennat pour la France, et non pour son parti ! ».
Bérengère Margaritelli