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Hautes études appliquées du droit - Création du marché unique du numérique en Europe

Hautes études appliquées du droit - Création du marché unique du numérique en Europe
Publié le 22/06/2017 à 16:42

Béatrice Delmas-Linel, responsable du mastère Droit du numérique et Propriété intellectuelle d’HEAD, accueillait dans le grand amphithéâtre de l’école le professeur Nicolas Binctin, de l’université de Poitiers. Enseignant en droit des affaires et droit de la propriété intellectuelle il a exposé une présentation du projet de l’Union européenne de marché unique du numérique appliqué au droit d’auteur. Cette proposition de directive date de septembre 2016. Elle entre dans le cadre d’une stratégie lancée par la Commission en 2015.




Quels sont les projets de l’Union européenne autour de l’évolution du droit de la propriété intellectuelle ? Ces projets pourraient évoluer et sortir du modèle présenté ; ceci en raison de l’idée qui s’engage simultanément d’une codification de la propriété intellectuelle. La fondation pour le droit continental a lancé cette réflexion parallèle qui modifierait le paradigme actuel. L’Union européenne a une législation très morcelée concernant la propriété intellectuelle : régimes unifiés pour le droit des marques, des dessins et modèles, des variétés végétales, quasi-absence de droit de l’Union européenne pour les brevets, et puis un droit d’auteur et des droits voisins qui se construisent « cahin-caha » par des approches très sectorielles avec une série de directives plus ou moins bien enchaînées les unes aux autres. Tout cela avec l’idée que pour la construction d’un marché intérieur, il faut un cadre commun pour la propriété intellectuelle avec des intégrations variables d’un régime à l’autre. Cette harmonisation partielle du droit d’auteur aboutit aujourd’hui à 28 régimes sur le territoire de l’Union. Dans cet environnement juridique géographiquement variable, les activités économiques, qui s’étendent sur l’ensemble du continent, exigent de lever les contraintes de la propriété littéraire et artistique sur chaque État membre. Pour le développement d’une économie en ligne, le rapport très territorial du droit d’auteur, État par État en Europe, est confronté à une lecture beaucoup plus intégrée de l’économie au sein d’un environnement numérique. L’économie numérique présente l’intérêt de faire jaillir un réel marché intérieur de l’Union, notamment pour l’offre d’œuvres, de créations intellectuelles, marché auparavant pratiquement inexistant. On constate des difficultés d’articulation pour ne pas dire des conflits entre les demandes du marché et le rythme du législateur national ou européen pour y répondre.


L’intégration, prise en considération dès le début des années 2000, a commencé à se faire lentement. La nouvelle Commission Juncker a voulu relancer la dynamique et proposer un marché unique du numérique dont l’envergure dépasse très largement la question de la propriété intellectuelle, mais qui l’aborde pour partie. La Commission a généré plusieurs projets pour favoriser une meilleure intégration du droit de la propriété intellectuelle dans l’UE.


Les outils mobilisés sont multiples. Après plus d’une décennie de tractations, la première véritable brèche mise en place, un peu avant la Commission Juncker, tient dans la directive « gestion collective et licence pour la musique transnationale ». Cette longue construction a abouti à un texte compliqué, transposé en droit interne par une ordonnance en décembre dernier. Les choses s’orientent vers une facilitation de l’accès aux œuvres et une baisse des coûts de transaction, mais toujours sans harmonisation du droit d’auteur européen.


La reprise de la directive « service média audiovisuel » (SMA) a fait prendre conscience de la pertinence d’une approche convergente du traitement des différents supports (télévision et web). La SMA fait l’objet d’une mise à jour qui portera sans doute un autre outil d’intégration renforcée du droit d’auteur sur le territoire de l’UE.


Le règlement sur la portabilité transfrontière des services de contenus (voté le 21 mai dernier au Parlement européen) est également en discussion après avoir été voté récemment au Parlement européen. On y conservera l’approche très territoriale du droit d’auteur. On ne change pas l’absence d’un droit d’auteur de l’UE, mais on autorise l’accès aux contenus dans tout son espace. Par exemple, un abonnement souscrit en France sera accessible en Espagne et offrira le même contenu français (non local). On renforce le modèle d’intégration. On supprime le roaming du téléphone pour favoriser la consommation de contenu en ligne. Là encore, il s’agit d’un outil essentiel d’intégration d’un marché européen de la propriété intellectuelle.


Dans la même logique, les textes proposés en septembre 2016 font suite au programme annoncé par la Commission Juncker en 2015 : on n’y trouve pas de droit d’auteur de l’Union européenne, mais plutôt une évolution modeste des solutions préexistantes, notamment une révision de la directive de 2001 mettant en place les mécanismes d’exception. Ces textes sont au nombre de 4 :
une directive relative à la transmission en ligne, une autre sur le droit d’auteur qui réforme celle de 2001, et deux textes pour transposer en droit de l’UE le traité de Marrakech sur l’accès aux œuvres pour les personnes souffrant de déficience physique.


 Principales dispositions de la directive


La directive avance essentiellement 3 titres : mesures d’adaptation et de limitation pour le numérique, amélioration de l’accès au contenu, optimisation du fonctionnement du marché.


Pour le text and data mining (fouille de texte), la question de savoir dans quelle mesure on peut intégrer une imitation à la propriété intellectuelle mobilise deux grands champs : d’une part le droit d’auteur et d’autre part celui de producteur de base de données. La collecte de contenu pour permettre une opération de text and data mining présuppose une autorisation du titulaire des droits d’auteur ou du producteur de base de données. C’est un enjeu important pour la recherche comme pour les activités commerciales et les propriétaires de base de données qui entendent monétiser leurs contenus. La Commission propose de généraliser l’exception sur tout le territoire de l’UE. Mais l’exception reste dans un cadre restreint.


Exception pour la recherche scientifique en coopération avec les titulaires des droits


La première difficulté est de savoir ce qu’est une recherche scientifique. Par exemple, la recherche publique passe des contrats et travaille pour des opérateurs privés. Le processus commence classiquement par une phase de consultation de bases de données sur le sujet étudié. S’agit-il là d’une recherche scientifique menée par un établissement public ou bien est-ce totalement commercial ? On aimerait connaître la définition d’une recherche scientifique et l’étendue de son périmètre privé/public ou encore professoral/commercial. L’accès gratuit devra se faire dans le respect de la structure technique. Les titulaires de droits sur les systèmes de données risquent de multiplier les clés d’accès et de freiner la généralisation du text and data mining.


Le texte est compliqué à mettre en œuvre. Il ressemble à notre loi « République numérique » et serait rapidement transposé en droit interne. Son objectif premier vise à généraliser le text ant data mining pour des exploitations non directement commerciales.


Exception d’enseignement tournée vers le numérique


On doit trouver une limite au mécanisme de droit d’auteur pour autoriser l’utilisation transfrontalière de contenus destinés à l’enseignement. Un étudiant expatrié dans le cadre d’un échange devrait pouvoir consulter depuis l’étranger tout ce que son université d’origine met à la disposition de ses élèves dans son pays sans que cela ne pose de problème de droits d’auteur. La proposition veut développer la pédagogie numérique et augmenter l’utilisation du contenu. Il faudra toujours identifier les sources. Le mécanisme pourra être écarté face à d’autres solutions en droit interne telles les licences légales pour l’enseignement puisqu’il faut évidemment éviter de détruire les modèles économiques établis dans chaque État. Dans un pays avec une licence légale comme la France, on peut écarter la transposition. Cette exception ressemble à une marque de respect de l’accès au contenu et du développement de la culture. En réalité, il existe peu de conflits entre formation ou accès à la culture et propriété intellectuelle.


Les enjeux économiques sont lourds. L’édition académique a besoin de vendre des livres. Ainsi, le Canada a un système anglophone et francophone. L’exception d’enseignement y a été généralisée. Le contenu pédagogique utilisé dans les établissements et reproduit avec des photocopieurs échappe totalement aux droits d’auteur. Si bien que l’écosystème s’est effondré et la production nouvelle d’ouvrages universitaires canadiens en français s’est quasiment tarie. (…)


 

C2M


Retrouvez la suite de cet article dans le Journal Spécial des Sociétés n° 49 du 21 juin 2017


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