Béatrice
Delmas-Linel, responsable du mastère Droit du numérique et Propriété
intellectuelle d’HEAD, accueillait dans le grand amphithéâtre de l’école le
professeur Nicolas Binctin, de l’université de Poitiers. Enseignant en droit
des affaires et droit de la propriété intellectuelle il a exposé une
présentation du projet de l’Union européenne de marché unique du numérique
appliqué au droit d’auteur. Cette proposition de directive date de septembre
2016. Elle entre dans le cadre d’une stratégie lancée par la Commission en
2015.
Quels sont les projets de l’Union européenne autour de l’évolution du
droit de la propriété intellectuelle ? Ces projets pourraient évoluer et
sortir du modèle présenté ; ceci en raison de l’idée qui s’engage
simultanément d’une codification de la propriété intellectuelle. La fondation
pour le droit continental a lancé cette réflexion parallèle qui modifierait le
paradigme actuel. L’Union européenne a une législation très morcelée concernant
la propriété intellectuelle : régimes unifiés pour le droit des marques,
des dessins et modèles, des variétés végétales, quasi-absence de droit de
l’Union européenne pour les brevets, et puis un droit d’auteur et des droits
voisins qui se construisent « cahin-caha » par des approches
très sectorielles avec une série de directives plus ou moins bien enchaînées
les unes aux autres. Tout cela avec l’idée que pour la construction d’un marché
intérieur, il faut un cadre commun pour la propriété intellectuelle avec des
intégrations variables d’un régime à l’autre. Cette harmonisation partielle du
droit d’auteur aboutit aujourd’hui à 28 régimes sur
le territoire de l’Union. Dans cet environnement juridique géographiquement
variable, les activités économiques, qui s’étendent sur l’ensemble du continent,
exigent de lever les contraintes de la propriété littéraire et artistique sur
chaque État membre. Pour le développement d’une économie en ligne, le rapport
très territorial du droit d’auteur, État par État en Europe, est confronté à
une lecture beaucoup plus intégrée de l’économie au sein d’un environnement
numérique. L’économie numérique présente l’intérêt de faire jaillir un réel
marché intérieur de l’Union, notamment pour l’offre d’œuvres, de créations
intellectuelles, marché auparavant pratiquement inexistant. On constate des
difficultés d’articulation pour ne pas dire des conflits entre les demandes du
marché et le rythme du législateur national ou européen pour y répondre.
L’intégration, prise en considération dès le début des années 2000, a
commencé à se faire lentement. La nouvelle Commission Juncker a voulu relancer
la dynamique et proposer un marché unique du numérique dont l’envergure dépasse
très largement la question de la propriété intellectuelle, mais qui l’aborde
pour partie. La Commission a généré plusieurs projets pour favoriser une
meilleure intégration du droit de la propriété intellectuelle dans l’UE.
Les outils mobilisés sont multiples. Après plus d’une décennie de
tractations, la première véritable brèche mise en place, un peu avant la
Commission Juncker, tient dans la directive « gestion collective et
licence pour la musique transnationale ». Cette longue construction a
abouti à un texte compliqué, transposé en droit interne par une ordonnance en
décembre dernier. Les choses s’orientent vers une facilitation de l’accès aux
œuvres et une baisse des coûts de transaction, mais toujours sans harmonisation
du droit d’auteur européen.
La reprise de la directive « service média audiovisuel »
(SMA) a fait prendre conscience de la pertinence d’une approche convergente du
traitement des différents supports (télévision et web). La SMA fait l’objet
d’une mise à jour qui portera sans doute un autre outil d’intégration renforcée
du droit d’auteur sur le territoire de l’UE.
Le règlement sur la portabilité transfrontière des services de contenus
(voté le 21 mai dernier au Parlement européen) est également en
discussion après avoir été voté récemment au Parlement européen. On y
conservera l’approche très territoriale du droit d’auteur. On ne change pas
l’absence d’un droit d’auteur de l’UE, mais on autorise l’accès aux contenus
dans tout son espace. Par exemple, un abonnement souscrit en France sera
accessible en Espagne et offrira le même contenu français (non local). On
renforce le modèle d’intégration. On supprime le roaming du téléphone
pour favoriser la consommation de contenu en ligne. Là encore, il s’agit d’un
outil essentiel d’intégration d’un marché européen de la propriété
intellectuelle.
Dans la même logique, les textes proposés en septembre 2016 font suite au programme annoncé par la Commission Juncker en 2015 :
on n’y trouve pas de droit d’auteur de l’Union européenne, mais plutôt une
évolution modeste des solutions préexistantes, notamment une révision de la
directive de 2001 mettant en place les mécanismes d’exception. Ces textes
sont au nombre de 4 :
une directive relative à la transmission en ligne, une autre sur le droit
d’auteur qui réforme celle de 2001, et deux textes pour transposer en droit de
l’UE le traité de Marrakech sur l’accès aux œuvres pour les personnes souffrant
de déficience physique.
Principales dispositions de la
directive
La directive avance essentiellement 3 titres :
mesures d’adaptation et de limitation pour le numérique, amélioration de
l’accès au contenu, optimisation du fonctionnement du marché.
Pour le text and data mining (fouille de texte), la question de
savoir dans quelle mesure on peut intégrer une imitation à la propriété
intellectuelle mobilise deux grands champs : d’une part le droit d’auteur
et d’autre part celui de producteur de base de données. La collecte de contenu
pour permettre une opération de text and data mining présuppose une
autorisation du titulaire des droits d’auteur ou du producteur de base de
données. C’est un enjeu important pour la recherche comme pour les activités
commerciales et les propriétaires de base de données qui entendent monétiser
leurs contenus. La Commission propose de généraliser l’exception sur tout le
territoire de l’UE. Mais l’exception reste dans un cadre restreint.
Exception
pour la recherche scientifique en coopération avec les titulaires des droits
La première difficulté est de savoir ce qu’est une
recherche scientifique. Par exemple, la recherche publique passe des contrats
et travaille pour des opérateurs privés. Le processus commence classiquement
par une phase de consultation de bases de données sur le sujet étudié.
S’agit-il là d’une recherche scientifique menée par un établissement public ou
bien est-ce totalement commercial ? On aimerait connaître la définition
d’une recherche scientifique et l’étendue de son périmètre privé/public ou
encore professoral/commercial. L’accès gratuit devra se faire dans le respect
de la structure technique. Les titulaires de droits sur les systèmes de données
risquent de multiplier les clés d’accès et de freiner la généralisation du text
and data mining.
Le texte est compliqué à mettre en œuvre. Il
ressemble à notre loi « République numérique » et serait
rapidement transposé en droit interne. Son objectif premier vise à généraliser
le text ant data mining pour des exploitations non directement
commerciales.
Exception
d’enseignement tournée vers le numérique
On doit trouver une limite au mécanisme de droit d’auteur pour autoriser
l’utilisation transfrontalière de contenus destinés à l’enseignement. Un
étudiant expatrié dans le cadre d’un échange devrait pouvoir consulter depuis
l’étranger tout ce que son université d’origine met à la disposition de ses
élèves dans son pays sans que cela ne pose de problème de droits d’auteur. La proposition
veut développer la pédagogie numérique et augmenter l’utilisation du contenu.
Il faudra toujours identifier les sources. Le mécanisme pourra être écarté face
à d’autres solutions en droit interne telles les licences légales pour
l’enseignement puisqu’il faut évidemment éviter de détruire les modèles
économiques établis dans chaque État. Dans un pays avec une licence légale
comme la France, on peut écarter la transposition. Cette exception ressemble à
une marque de respect de l’accès au contenu et du développement de la culture.
En réalité, il existe peu de conflits entre formation ou accès à la culture et
propriété intellectuelle.
Les enjeux économiques sont lourds. L’édition académique a besoin de
vendre des livres. Ainsi, le Canada a un système anglophone et francophone.
L’exception d’enseignement y a été généralisée. Le contenu pédagogique utilisé
dans les établissements et reproduit avec des photocopieurs échappe totalement
aux droits d’auteur. Si bien que l’écosystème s’est effondré et la production
nouvelle d’ouvrages universitaires canadiens en français s’est quasiment tarie.
(…)
C2M
Retrouvez la suite de cet article dans le Journal Spécial des Sociétés n°
49 du 21 juin 2017
S’abonner au journal