Le cancer du sein, souvent décrit comme première
cause de décès chez les femmes, fait l’objet chaque année de campagnes*
destinées à favoriser le dépistage et la prévention, qui voient fleurir dans
tous les pays de petits rubans roses (créés en 1992) aux boutonnières.
On croit souvent qu’il s’agit d’une maladie récente,
ou en tout cas ayant pris d’importantes proportions au XXe siècle. Des personnalités
ont mis à la Une leur maladie, telles Brigitte Bardot ou Jane Fonda ou, en
2013, la ministre française de la Famille elle-même concernée, répondant aux journalistes avec franchise, ou leur décision grave, telle Angelina Jolie, communiquant abondamment sur
sa double mastectomie.
Le cancer du sein, en réalité, n’est pas une maladie
récente.
Près d’Assouan, dans la nécropole égyptienne de
Qubbet el-Hawa, des chercheurs ont récemment découvert le squelette d’une femme
appartenant à l’aristocratie de la 6e dynastie, décédée il y a
4200 ans des suites d’un cancer du sein.
Le ministre égyptien des Antiquités,
Mamdouh el-Damaty (cet égyptologue a été pendant six ans directeur du musée du
Caire) a déclaré à cette occasion : « L’examen
des restes a révélé les séquelles typiques des dommages provoqués par la
propagation d’un cancer du sein métastatique. »
Cette découverte faisait suite à
la découverte un an plus tôt sur un site archéologique du Soudan proche du Nil
d’un autre squelette porteur de métastases.
En octobre 2019,
la Municipalité et les habitants de Monchaux-sur-Écaillon (Nord) ont organisé
des actions de prévention et de sensibilisation diverses tendant au dépistage
du cancer du sein, et ont en particulier mis les balconnets au balcon en réalisant
sur un mur et sur un édifice au cœur du village une « fresque octobre
rose » composée de 539 soutiens-gorges (au pluriel, plusieurs orthographes
sont admises), donc un par habitant, qui est restée en place tout le mois
d’octobre…
Vers 525?avant notre ère, l’épouse de Darius, Atossa, est
affectée d’une tumeur au sein que le médecin Démocède de Crotone réussit à
guérir par ablation. On connaît cet épisode par Hérodote qui le narre
ainsi : « Peu après advinrent ces autres
événements : une tumeur vint à Atossa, fille de Cyrus, femme de
Darius ; puis, s’étant ouverte, elle étendit ses ravages. Tant qu’elle fut
médiocre, Atossa la tint cachée, et, par pudeur, n’en dit rien à
personne ; mais enfin, se voyant en danger, elle appela Démocède et la lui
montra. Il s’engagea à la guérir, et lui fit promettre, sous serment qu’elle
lui accorderait en retour ce qu’il demanderait d’elle, pourvu qu’il ne lui
demandât rien qui pût porter atteinte à son honneur. Lorsqu’en conséquence il
l’eut soignée et guérie… »
L’impératrice Théodora de Byzance,
actrice, fille d’un belluaire, connue comme l’épouse hyperactive de l’empereur
Justinien le Grand, auquel on doit notamment les Pandectes (en 533) et Sainte
Sophie à Constantinople, meurt en 548?d’un cancer du sein.
En 1666, la reine Anne d’Autriche, veuve de Louis XIII et mère de Louis XIV, âgée de 65 ans, meurt de cette
maladie après deux années de souffrance, malgré l’amputation de l’un des seins,
de nombreuses et vaines saignées, l’application locale de ciguë et de pommade à
base de belladone… et d’innombrables prières chrétiennes.
Mais qui, au cours de l’histoire, a mis en évidence
la redoutable maladie ?
Un traité médical de 1600 ans
avant notre ère, datant du règne d’Amenhopep 1er, le papyrus
Ebers (du nom de l’égyptologue allemand qui l’a acheté en 1862), long de
20 mètres, large de 30 centimètres, décrit différentes formes de
tumeurs, notamment au sein, et évoque des soins avec des plantes et une
chirurgie « au couteau ».
Mais c’est le médecin Hippocrate (Ve-IVe
S. avant J.-C.) qui semble en être le premier vrai découvreur et qui en parle à plusieurs
reprises dans ses œuvres. Au XIXe siècle, le médecin Émile
Littré (concepteur du fameux dictionnaire), traduit les œuvres complètes d’Hippocrate.
On trouve ainsi au tome 8,
dans le chapitre consacré aux maladies des femmes, l’étonnant passage suivant : « Dans les
mamelles se forment des tumeurs dures, les unes plus grosses, les autres plus
petites ; elles ne suppurent pas, mais deviennent incessamment plus dures ;
puis il s’y forme des cancers cachés. Au moment où vont naître les cancers, la
bouche d’abord devient amère, tout ce que les femmes mangent a un goût
d’amertume ; si on leur en donne davantage, elles refusent de le prendre, et
font des choses dégoûtantes. Leur intelligence se dérange, les yeux sont secs ;
la vue est émoussée. Des douleurs passent des mamelles aux jugulaires et sous
les omoplates. Il y a soif. Le mamelon est desséché, et le corps entier est
amaigri. Les narines sont sèches et obstruées, elles ne se tiennent pas droites
; la respiration est petite ; l’odorat est éteint. Dans les oreilles il n’y a
pas de souffrance, mais il s’y forme quelquefois une concrétion. Quand le mal
est arrivé à cette époque, il ne peut plus guérir, et il cause la mort de la
malade. »
Hippocrate utilise le mot « karkinos », carcinome,
qui signifie crabe, et qui se traduit en latin par « cancer », mot conservé tel quel
dans la langue française, avec sa prononciation présumée romaine.
Cela fait donc plus de 2300 ans que l’inoffensif
crustacé (sauf pour les coquillages qu’il dévore) est associé à la terrible
maladie.
Il reste à espérer que ceux qui ont prêté le célèbre
serment attribué au médecin grec (de nombreux historiens sont néanmoins
dubitatifs quant à cette attribution) rendront très vite définitivement
inoffensif le « crabe ».
* L’auteur de cette
chronique a participé à la mise en œuvre de la campagne de 2007?alors qu’il
était directeur d’administration centrale au ministère de la Santé, et a été
particulièrement sensibilisé à cette cause par le décès dû à cette maladie de
sa secrétaire à l’âge de 48 ans et de l’épouse de l’un de ses adjoints âgée de
36 ans.
Étienne Madranges,
Avocat à la cour,
Magistrat honoraire