Comme ses aînés avant elle, la propriété
immobilière séduit la génération Y francilienne, désireuse d’investir.
Enfin, seulement si le logement « s’adapte à la vie
qu’ils mènent et non l’inverse », a précisé la journaliste Virginie Grolleau
au Club du Châtelet, le 9 octobre dernier à Paris. Rencontre lors de
laquelle le notaire Jean-François Sagault et le directeur du département « opinion et stratégies d’entreprise » à l’IFOP,
Jérôme Fourquet, ont également apporté leur analyse.
Les millennials d’Île-de-France veulent-ils encore devenir
propriétaires ? Dans une société en pleine mutation, au cœur d’un Grand
Paris où les prix s’envolent toujours plus, le sacro-saint accès à la propriété
pourrait avoir perdu de son prestige, pour ces franciliens nés dans une
fourchette d’une quinzaine d’années avant le tournant du millénaire.
Organisateur d’une série de conférences sous la houlette de la Chambre
des notaires de Paris, le Club du Châtelet organisait le 9 octobre dernier
une rencontre dédiée à ce « concept de l’ancien monde » qu’est
l’achat immobilier face à la génération Y. Si « un simple critère
d’âge ne saurait considérer qu’il existe un ADN commun ou des réactions
systématisées » sur la question, a estimé le notaire Jean-François
Sagault, cette génération, au cœur du boom économique, « compte et
comptera de plus en plus ».
Les 30-34 ans en force sur le
marché
Objectif, donc, pour les professionnels du
secteur : adapter l’offre à la demande. Pour cela, des études réalisées
chaque année permettent d’avoir une idée assez fine de la typologie et de la
sociologie des nouveaux acquéreurs.
Surprise : alors qu’on les présente souvent comme
réfractaires à l’idée de propriété, les millennials franciliens ont pourtant
une forte présence sur marché immobilier, démontre une étude réalisée à partir
des données immobilière de la base BIEN. Jean-François Sagault l’a
souligné : les 30-34 ans sont même les acquéreurs de logements en
Île-de-France les plus nombreux et représentent 37 000 acheteurs sur
un total de 198 000. Les 25-29 ans figurent également au top 3
(juste après les 35-39 ans). Les statistiques indiquent que leur choix se
porte en majorité sur des appartements anciens (56 %), bien avant les
maisons anciennes (26 %) et les appartements neufs (17 %). « Si
l’on fait un bond de 20 ans en arrière, c’est un taux assez constant, a
observé le notaire. Il y a toujours une appétence particulière pour les
appartements anciens : le choix d’aller en maison se fait plutôt aux
alentours de la quarantaine, quand la famille s’agrandit et que l’on sature
d’une vie trop urbaine. » On constate toutefois un glissement en
termes de localisation puisque désormais, en la matière, petite couronne et
grande couronne sont au coude à coude, excepté chez les moins de 25 ans,
où la grande couronne rencontre presque deux fois plus de succès. À l’inverse,
Paris attire seulement 15 % des millennials franciliens, quand elle attire
davantage les catégories au-delà de 45 ans. « En 1998, à
30 ans, on achetait davantage intra-muros et la petite couronne était
moins prisée, ce qui va peut-être déplacer la pression sur les exigences de
logements dans ces banlieues », a considéré Jean-François
Sagault.
Les prix sont bien évidemment en cause :
aujourd’hui, les 30-34 ans qui achètent à Paris déboursent en moyenne
9 000 euros au m², contre 6 000 euros au m² dans les
Hauts-de-Seine.
En revanche, particularité notable, les moins de
25 ans achètent plus cher dans le neuf que leurs aînés (25-35 ans).
« On y voit un effet coup de pouce des parents qui croient plutôt au
neuf », a commenté Jean-François Sagault. Ce dernier a précisé que la
génération Y conservait son bien entre un et quatre ans pour les 25
et 29 ans, ou encore entre trois et six ans pour les 30 et
34 ans. Des chiffres qui croissent ensuite en même temps que l’âge des
Franciliens.
Bilan : cette étude révèle des « réflexes pas
si disruptifs », a jugé le notaire. « Si sur toute une série
de marchés, comme l’automobile, les pratiques de non-possession augmentent
beaucoup, le secteur immobilier semble donc être sanctuarisé », a
observé Jérôme Fourquet, analyste politique et directeur du département « opinion
et stratégies d’entreprise » à l’IFOP.
« Un grand scepticisme »
qui mène à investir
L’achat immobilier a donc toujours la cote, et ces
chiffres croisent les résultats d’une enquête Notaires Grand-Paris IFOP menée
mi-septembre sur un échantillon de 1 000 Franciliens de la
génération Y, présentée par l’analyste. En effet, 80 % des sondés ont
une bonne image de la propriété immobilière – quoique, sans surprise, plus l’on
habite une surface importante, plus l’on est bienveillant vis-à-vis de cette
notion. À noter toutefois qu’une majorité d’entre eux affirment en outre qu’il
est plus difficile d’avoir accès à la propriété aujourd’hui que par le passé,
et la quasi-totalité admettent qu’il est notamment très compliqué de devenir
propriétaire en région parisienne. Beaucoup considèrent à ce titre que cela est
« réservé à une élite ».
Quelles sont alors les raisons de cet engouement qui ne s’essouffle
pas ? « Quand on leur demande à quoi ils associent spontanément la
propriété immobilière, investissement, sécurité et accomplissement apparaissent
parmi les premières réponses données, avant l’endettement, le privilège
ou le fantasme », a noté Jérôme Fourquet.
Alors que 67 % des sondés font part d’un désir d’achat immobilier
dans les prochaines années, c’est d’abord en vue d’une constitution de capital,
d’un placement financier ou d’une transmission. Ainsi, si 6 sur 10 parmi les
futurs acheteurs souhaitent acquérir un bien pour établir leur résidence
principale, ils sont 28 % à envisager un investissement locatif.
En cause : « un grand scepticisme », a observé
l’analyste. « Les millennials ont des inquiétudes et des interrogations
sur la solidité du système financier, eux qui ont vécu de plein fouet la crise
de 2008, qui a rendu complexe l’entrée sur le marché du travail. »
Dans un univers qui manque de piliers structurants et d’éléments de
réassurance, l’immobilier peut donc donner cette stabilité, a estimé
l’analyste. Un point de vue partagé par la journaliste Virginie Grolleau, qui a
ajouté que bien que la génération Y « n’envisageait pas l'avenir
ni la retraite de la même façon que leurs parents », elle avait
toutefois « intégré que le fait d’accéder à la propriété restait une
forme de capitalisation, et que cela était plus intéressant pour eux que de
rester locataire ».
Un logement qui s’adapte à moi,
sinon rien
L’acquisition immobilière, oui, mais pas à tout prix, et sous
conditions, a toutefois nuancé Virginie Grolleau, car le logement n’est plus du
tout conçu comme il l’était par les générations précédentes. Selon la
journaliste, ce dernier est en effet perçu « de manière plus large et
souple », dans la mesure où il est possible d’y travailler, d’y créer
sa start-up, d’y recevoir, d’y vivre ou encore de le louer sur un site de
location touristique.
« Le logement est perçu comme une “boîte” dans laquelle
ils investissent, et il va falloir que cette dernière s’adapte à la vie qu’ils
mènent et non l’inverse », a rapporté Virginie Grolleau.
Alors que les destinations et les usages sont historiquement très
encadrés, cette classification est très nettement battue en brèche aujourd’hui,
a fait remarquer cette dernière. Pour la génération Y, ce n’est donc plus
le logement qui est au cœur de projets de vie, mais ce sont les projets de vie
auxquels le logement doit s’adapter, a-t-elle développé. Il est donc un élément
parmi d’autres : s’il ne convient pas, tant pis.
En outre, la génération Y voit désormais le logement comme « un
produit de consommation, dans un quartier qui est lui-même une espèce d’unité
de consommation : il faut une école, des commerces, un parc, une salle de
sport, etc. », a observé Virginie Grolleau, notamment du fait des
changements des repères : la qualité de vie mais aussi l’équilibre entre
vie personnelle et vie professionnelle sont assez différents de ce que l’on a
connu jusqu’à présent, a jugé cette dernière. « C’est d’ailleurs une
génération qui a décidé qu’elle ne sacrifierait pas tout, ni à son travail, ni
à son logement, d’où le recours à des systèmes alternatifs », et
notamment le succès croissant d’Airbnb, a-t-elle ajouté, qui, pendant ses
congés, par exemple, permet ainsi de payer ses charges.
Achat temporaire dans un « contexte
de mobilité accrue »
Le logement apparaît également davantage temporaire,
puisque bouger effraie beaucoup moins les millennials, dans un contexte de
mobilité accrue, a souligné la journaliste, eu égard, par exemple, à la
multiplication des séjours plus ou moins longs à l’étranger, au CDI qui n’occupe
plus forcément la première place dans le cœur des millennials – tout en restant
un précieux sésame pour accéder à la propriété – (on privilégiera par exemple
des missions en CDD sur tel ou tel projet), mais aussi aux parcours personnels
« plus variés, plus hachés, plus en mouvement que sur les générations
précédentes ».
En Île-de-France, la mobilité se combine à un marché
immobilier où de nombreux biens sont disponibles et où la densité de la
population permet ce mouvement, a soulevé Jérôme Fourquet. Le turn over
y est, par conséquent, très important. L’INSEE constate par exemple d’un
recensement à l’autre qu’en Île-de-France, le turn over est de l’ordre
de 15 à 30 % de la population, ce qui est « colossal, et pas
forcément aussi développé en province », a commenté l’analyste.
Toutefois, les envies d’ailleurs débordent largement
de la région. À la question « Où souhaiteriez-vous habiter d’ici dix
ans ? », la moitié des sondés pour l’étude Grand Paris - IFOP
répondent ainsi « dans une autre commune », dont 60 %
hors d’Île-de-France. Seuls 30 % indiquent se projeter toujours dans leur
commune actuelle, et 20 % indiquent qu’ils n’en ont aucune idée. « Ce
qui conditionne le souhait de partir, c’est la volonté de bénéficier d’une
meilleure qualité de vie pour une majorité de personnes, être plus proche de la
nature, puis avoir un logement plus grand », a indiqué Jérôme
Fourquet, qui a déploré « une aspiration à la fuite » malgré
les capacité des grandes métropoles à attirer des talents : « Il
faut les garder, les fidéliser ! »
Bérengère
Margaritelli