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Institut Art & Droit - Le marché de l’art en Asie : huit ans de transformation, 2010-2018

Institut Art & Droit -  Le marché de l’art en Asie : huit ans de transformation, 2010-2018
Publié le 16/04/2018 à 10:14

Gérard Sousi, le président-fondateur de l’Institut Art & Droit, a accueilli au Cercle de l’Union Interalliée, le 21 mars dernier, François Curiel, président Asie et Europe de la maison de ventes Christie’s. Celui-ci a fait part de son expérience de commissaire-priseur en Asie, où il est resté près de dix ans. Quasiment absent du marché de l’art il y a quelques années, ce continent est aujourd’hui en plein essor.




Quarante neuf ans se sont écoulés depuis que François Curiel a poussé la porte de la maison de ventes Christie’s, a rappelé en préambule Jean-François Canat, administrateur de l’Institut Art & Droit, qui a présenté l’invité. Né à Neuilly-sur-Seine il y a près de 70 ans, d’un père négociant en joaillerie dans le quartier de Drouot et d’une mère issue d’une famille de magistrats, il fait d’abord, sans convictions des études de droit à Assas. En 1969, son père lui trouve un stage au département bijoux chez Christie’s à Londres. Cette expérience va changer sa vie, car le jeune stagiaire se prend de passion pour le métier de commissaire-priseur. Alors qu’un poste se libère, les dirigeants qui ont remarqué son enthousiasme et son savoir-faire lui proposent de le reprendre. Il accepte avec joie « et n’a donc jamais quitté cette maison ».
À l’époque, Christie’s ne comptait que cent quatre-vingt-dix-huit
employés et un seul point de vente. Le jeune homme exerce ses activités en bijouterie et en joaillerie, un secteur qu’il n’a jamais complètement délaissé. Ambitieux et volontaire, François Curiel grimpe peu à peu les échelons. En 1976, il ouvre un bureau à New York, puis en 1989 il prend la présidence de Christie’s Europe et inaugure Christie’s France à Paris en 2001. En 2010, il décide de se lancer sur le marché de l’art en Asie, lequel est à l’époque, loin d’être aussi développé qu’en Occident. C’est un succès phénoménal : en 2017, 31 % (en valeur totale) de ce que la maison a vendu est parti en Asie (80 % en Chine), soit un tiers de la valeur totale des ventes. En 2017, la maison Christie’s atteint 862 millions de dollars de chiffre d’affaires, alors qu’en 1998 elle en était à 50 millions de dollars. Une hausse qualifiée de « sensationnelle » par l’invité d’honneur de l’Institut Art & Droit. À l’occasion de ce colloque, François Curiel est revenu sur son expérience en Asie, et a présenté le marché asiatique qui est aujourd’hui extrêmement actif.

 


Le marché de l’art en Asie


Afin de démontrer à quel point le marché de l’art en Asie se porte bien, l’expert a présenté à l’assistance un tableau récapitulatif des maisons de ventes les plus importantes dans le monde en 2016.


Le constat est sans appel : sept maisons de vente chinoises sont dans le top 20, et trois sont dans le top 10. Pour des maisons qui, il y a six ou sept ans, n’existaient pas, c’est exceptionnel : « les Asiatiques ont très rapidement appris les ficelles du métier », a commenté le célèbre commissaire-priseur. Douloureux bilan en revanche : seulement une maison française est dans le top 20, Artcurial, alors que l’Hexagone est sur le marché depuis 1556… Pour François Curiel, cela signifie deux choses : premièrement que la France a un peu raté le développement international, et que les maisons de ventes aux enchères chinoises talonnent les plus anciennes maisons occidentales. Très actives, elles constituent aujourd’hui des concurrentes très sérieuses pour ces dernières. En effet, il y a 10?ans, lorsqu’ils voulaient vendre, les collectionneurs hésitaient entre des maisons comme Christie’s et Sotheby’s et quelques maisons françaises, puis sont entrées dans la course des maisons chinoises comme Poly Auction, China Guardian, etc.


Ainsi, alors qu’en 2008, 12 % des ventes de chez Christie’s (en valeur totale) partaient en Chine, en 2017 c’est près d’un tiers qui est acheté par les Asiatiques, a-t-il rappelé. « Un phénomène que je n’ai jamais connu au cours de mes Quarante neuf ans chez Christie’s » a affirmé le commissaire-priseur. Entre 2008 et 2016, les biens achetés par les Chinois ont augmenté de plus de 160 %. Cette population amène donc, selon lui, beaucoup « d’oxygène » au marché de l’art. C’est à Hong Kong que se situe le centre le plus important, au Convention Center. Les plus grandes ventes y ont lieu, deux fois par an. « Là-bas, il y a entre 8 et 10 000 visiteurs par jour, et entre 1 000 et 1 500 personnes par vente, pendant une semaine » a expliqué François Curiel.


La maison de ventes Christie’s a ouvert sa première salle des ventes en Chine en 2013. Elle y a fait 25 millions de dollars de chiffre d’affaires. Mais quels sont les objets qui ont le plus de succès en Asie ? Se vendent là-bas des objets d’art chinois, mais aussi des bijoux et des montres, a précisé Maître Curiel. Par exemple, un vase du XVIe siècle a été vendu 26 millions de dollars. Depuis 2015, Christie’s fait venir en Chine des tableaux anciens, ce qui a déclenché l’intérêt des nouveaux acheteurs pour les tableaux anciens européens (Delacroix…) ou plus modernes (Modigliani).
Les bijoux sont également des pièces qui se vendent très facilement en Asie. D’ailleurs, les plus grandes ventes de bijoux et de joaillerie ont lieu là-bas. Ainsi, un rubis a été vendu pour 18
millions de dollars, un diamant rose 32,2 millions de dollars (un record du monde), un collier de perles noires 5 millions de dollars, etc. Tous ces objets ont été achetés par des collectionneurs chinois. Et non seulement l’acheteur est Chinois, mais aussi le sous enchérisseur, a ajouté François Curiel. En résumé, sur le total de ce que la maison de ventes Christie’s vend en Asie, on compte 30 % de bijoux, 30 % d’objets chinois anciens, 30 % de tableaux chinois modernes. Et les 10 % restant sont de l’art contemporain européen, des montres et des vins.


 


Les critères pour un marché de l’art réussi


Qu’est-ce qui fait qu’un marché de l’art devient prospère ?, s’est ensuite interrogé le commissaire-priseur. Pour lui, il existe cinq critères principaux : la présence de musées, de foires d’art, de marchands, de maisons de ventes aux enchères internationales, ainsi qu’une législation simple. Or, ces cinq critères sont réunis à Hong Kong, ce qui explique en grande partie pourquoi le marché de l’art y est aussi florissant. Concernant les musées, en Chine trois cent soixante musées et galeries ont ouvert en 2017, a révélé Maître Curiel, des musées souvent privés, fondés par des entrepreneurs de trente à quarante ans. Parmi ces monuments, on trouve par exemple The Yuz museum qui fait venir des artistes du monde entier. S’y est déroulée, il y a un an et demi, une rétrospective Giacometti, et en 2015, le musée a organisé l’exposition de la fameuse Rain room élaborée par le collectif anglais random International. En outre, actuellement, deux des artistes contemporains encore vivants dans le top 20 sont asiatiques, ce qui démontre l’intérêt de ce continent en général pour l’art.


Enfin, on ne peut parler du métier de commissaire-priseur aujourd’hui sans évoquer le numérique, car « sans l’arrivée du digital dans notre métier nous ne survivrions pas », a expliqué le célèbre commissaire-priseur.


 


L’impact du digital sur le marché de l’art


Chez Christie’s, depuis quelques années, au lieu d’envoyer aux collectionneurs une invitation ou un petit catalogue pour annoncer la tenue d’une vente, une vidéo est produite pour l’occasion et est adressée à plus de 25 000 personnes. Des individus qui ont, à un moment ou à un autre, souscrit à un catalogue ou acheté quelque chose. Cette stratégie a permis de multiplier par deux le nombre de visiteurs normalement présents lors des ventes. L’invitation papier c’est bien, a reconnu l’expert, mais beaucoup de clients chinois ne la reçoivent pas, et préfèrent recevoir un message sur leur smatphone. « Aujourd’hui c’est la manière de communiquer la plus efficace », a affirmé Maître Curiel.


Les jeunes collectionneurs préfèrent en effet les images digitales, et souhaitent même ne plus recevoir de catalogues. Les maisons de ventes ne font pourtant pas d’économies, a expliqué le commissaire-priseur, car certains collectionneurs préfèrent tout de même les catalogues, donc au final ils sont obligés de faire les deux. Il reste que Christie’s parvient à acquérir un grand nombre de nouveaux clients grâce au numérique. « Plus de 31 % de nouveaux clients qui entrent dans la maison aujourd’hui le font grâce au net, à l’online », s’est réjoui François Curiel. C’est la raison pour laquelle, il existe un grand département digital chez Christie’s. « Ce département permet de nous développer, surtout en Asie, de façon assez rapide ».


En conclusion, a terminé l’orateur, si les commissaires-priseurs français veulent développer leurs ventes en Chine et en Asie, ils doivent connaître quelques astuces : le plus important, pour François Curiel, c’est de développer un site en chinois, car les collectionneurs effectuent la plupart de leurs recherches en ligne. Il est également primordial de faire la promotion de ses ventes sur le réseau social Wechat, peu connu en Europe, sur lequel des millions de personnes en Asie se connectent chaque jour (en Chine un nombre restreint de personnes lit ses mails et la plupart des clients font leurs achats via ce réseau). Il est important aussi de créer une base de données de clients chinois et d’y inscrire leurs numéros de téléphone portable ; enfin dans les catalogues français, il faut penser à traduire en chinois les lots qui pourraient intéresser les acheteurs asiatiques. Des conseils pris très au sérieux par les commissaires-priseurs présents ce jour, et qui envisagent de s’installer peut-être un jour en Asie.


 


Maria-Angélica Bailly


 


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