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L’École de la République fabrique-t-elle encore des citoyens ?

L’École de la République fabrique-t-elle encore des citoyens ?
Publié le 22/02/2018 à 17:41


Mercredi 17 janvier, le Conseil d’État a organisé la troisième conférence du cycle citoyenneté. Après « Peut-on parler d’une crise de la citoyenneté ? » et « La citoyenneté dans la tradition républicaine », la plus haute juridiction de l’ordre administratif français s’est intéressée à l’École de la République et s’est demandé si cette dernière fabriquait encore des citoyens. Pour débattre sur ce thème, Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale, mais aussi Anne Muxel, sociologue directrice de recherche au CNRS, et Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Panthéon-Sorbonne, étaient invités.





Dans sa « Lettre aux instituteurs » du 17 novembre 1883, Jules Ferry définit les missions de l’école publique comme suit : « Former une génération de bons citoyens » qui puissent exercer leur suffrage en toute conscience, enseigner la morale républicaine « dont les règles sont aussi universelles que le calcul », inculquer l’obéissance aux lois et le respect des institutions, mais aussi « faire aimer la Révolution et la République ». Les instituteurs sont ainsi érigés en « auxiliaires du progrès moral et social » chargés de transmettre « la sagesse du genre humain ». Un lourd mandat. Qu’en reste-t-il ? L’École de la République fabrique-t-elle encore des citoyens ? Pour Pierre Vermeren, la réponse est « non ». Le spécialiste en histoire contemporaine estime que « le professeur est devenu enseignant pour éduquer ». Pour lui, le « roman national » est devenu tabou car chaque communauté réécrit sa propre histoire. Il déplore une « idéologisation des discours historiques ». Pierre Vermeren observe également une ignorance de la part des élèves de collège et lycée des événements les plus élémentaires de notre histoire nationale.


Un constat qui semble relever de sa propre expérience et non d’une enquête approfondie, d’ailleurs partiellement contredit par la sociologue directrice de recherche au CNRS, Anne Muxel, qui fait état de formes d’engagements alternatifs et de la montée « d’une citoyenneté critique » dans un contexte de forte contestation de la politique et des institutions. Pour les jeunes, la citoyenneté se fonde sur la devise républicaine et le drapeau avec une prévalence en ce qui concerne les valeurs républicaines pour la liberté. La chercheuse précise que les attentats ont eu pour effet un retour de la bannière tricolore, et ajoute que les jeunes sont quasiment tous favorables au service civique.


 


« Assurer une forme de coéducation avec les parents »


La liberté, c’est justement le but recherché par Jean-Michel Blanquer dans l’enseignement. Le ministre de l’Éducation nationale évoque aussi l’idée de « progrès de l’homme », chère aux philosophes des Lumières. D’autant plus dans un monde de plus en plus technologique. « L’école transmet des connaissances et des valeurs » (liberté, égalité, fraternité et il ajoute « laïcité »), mais pas seulement. Pour le docteur en droit et agrégé de droit public, elle est aussi là pour assurer une forme de coéducation avec les parents.


Jean-Michel Blanquer a ensuite déploré les trop nombreux débats circulaires en France, quand, ailleurs, les pays avancent. C’est pour stopper cette inertie que le ministre a créé le concept d’ « école de la confiance », c’est-à-dire une pédagogie envers la société.


Il ne s’agit pas de revenir aux « hussards noirs » (l’école de Jules Ferry qui demeurait très inégalitaire), exaltés par toute une tradition littéraire et philosophique durant presque un siècle. Pour beaucoup, l’école de la Troisième République, avec pour mission fondamentale de former de « bons citoyens » en transmettant les valeurs républicaines et le « roman national », porté par un instituteur à l’autorité incontestée et respectée, est très loin.


Lors de la conférence, le Conseil d’État a distribué un dossier dans lequel l’institution explique le déclin de l’école. Pour l’institution : « le mouvement général de démocratisation de l’école, la libéralisation des mœurs, l’émancipation des adolescents, l’irruption de la télévision dans les foyers et l’avènement de la société de consommation ne pouvaient pas ne pas avoir de conséquences sur la formation du citoyen. Les attentes des élèves et des familles ne sont plus les mêmes en face d’un corps enseignant rajeuni par des recrutements massifs et féminisés, surtout dans l’enseignement primaire. » De plus « les événements de 1968 [ont] révél[é] le décalage grandissant entre le fonctionnement de l’institution scolaire et l’évolution de la société. Les fondements mêmes du rôle de l’école dans la "fabrique" de "bons citoyens" [ont été] profondément ébranlés. Les valeurs qui fondent la citoyenneté et l’engagement au service de la patrie [ont été] fragilisées : les compromissions avec l’occupant sous Vichy et les blessures héritées des conflits liés à la décolonisation [ont] conduit à un réexamen critique de l’enseignement de l’histoire et de l’instruction civique. » C’est ce qui explique la disparition de l’instruction civique en 1969. Elle n’est alors plus une discipline autonome dans l’enseignement primaire, mais se retrouve diluée dans les activités d’éveil. Il faudra attendre 1985 pour que l’éducation civique soit introduite dans l’école primaire et le collège. Au lycée, à la suite du mouvement lycéen de 1998, est créé un enseignement « d’éducation civique, juridique et sociale ». « Pour autant, les réformes successives n’ont pas suffi à éteindre les passions », précise le document du Conseil d’État qui ajoute : « À chaque fois que les valeurs communes qui fondent la citoyenneté sont ébranlées, les regards se tournent vers l’école, foyer de tensions et, en même temps, lieu de réaffirmation des repères essentiels ».


 


Victor Bretonnier


 


 


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